vendredi 23 novembre 2007

Androïde Paranoïaque

Longtemps, je me suis couché super tard. Je regardais la télévision après minuit, étudiant inscrit en fac de Rien, en me plaignant, affalé : "C'est dur la vie, rien le temps de rien faire". Manger des chips. Traîner, regarder la nuit qui tombe, le temps qui passe. De temps en temps, prendre les transports en commun, se deviner dans le reflet des larges vitres, sa dignité bousculée par l'acné. Parfois s'autoriser de rester couché, terrassé par la mélancolie du pas grand chose.

La nuit, à la télévision, je regardais des musiciens riches avec des femmes en short danser sur des limousines, alors j'émettais des sarcasmes sur ce monde décadent, tout en poursuivant, ennuyé, ma contemplation. Parfois je suivais des documentaires animaliers. Le renard de Charente chasse astucieusement quand vient la nuit... Quand arrive la saison de la reproduction, le pingouin de Tasmanie... Takito Tanagachi va tenter le coup du roulé-boulé-renversé, très ardu au billard anglais... Plus que sept-cent kilomètres à parcourir pour le champion du monde de marathon qui va franchir l'océan à la marche... Ce superbe masseur d'ongle électrique est vendu avec en cadeau un puissant anti-limace...

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Longtemps, à partir de mes dix ans, j'ai été un prolongement de mon ordinateur, un Amstrad à cassette, j'en étais une sorte de rallonge, de périphérique, je passais mon temps à programmer en Basic. J'étais bon en physique, mes parents, qui n'avaient pas fait d'études étant jeunes, fervents croyants en l'ascenseur social, me prédisaient une carrière de chef de l'arsenal nucléaire, ou de capitaine des mathématiques. Puis à quinze ans, dans la foule compacte des idées folles et des gens fumant leurs premières cigarettes, je me suis dit qu'une carrière de poète maudit ne serait pas si mal, voire un truc cool. J'ai cherché à faire des études de poète maudit, donc, les débouchés étant souvent, malheureusement, maudit tout court.

Ah, si je me déplaçais à cet époque, dans le vaisseau en forme de citrouille qui avait le pouvoir de remonter le temps et que conduisait Jacques Martin (je l'admirais beaucoup, enfant, je croyais qu'il remontait vraiment le temps, Jacques Martin, c'était bien pratique pour son émission d'Histoire, ça légitimait beaucoup son propos, cet engin), je lui en aurais mis des tartes dans la gueule, et des coups de pieds aux fesses, à ce moi du passé. Mais bouge toi un peu l'oignon, nom d'un moule frite ! Fais quelque chose de ta vie ! Avec mon emploi du temps actuel de non-rentier, où même le loisir doit être optimisé, tu sais ce que j'en pense de tes tergiversations, de ton errance, glandu ?

A l'époque, j'étais maudit de ne pas l'être, et le soleil se couchait d'un coup, intégralement, pour le monde entier, même pour les chinois.

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Alors, à trois heures du matin, tandis que je méditais, la cheminée s'est mise à faire des bruits de forge. Le soupirail de l'enfer. La fumée sifflait, noire, comme eternuée, colérique, mauvaise ; il se passait quelque chose. J'ai réveillé mes parents, mes frères, qui dormaient paisiblement, et nous avons appelé les pompiers. Ils sont montés sur le toit, énormes guerriers sans sommeil, ont glissé un tuyau et inondé la maison. Le conduit aurait éclaté, ont-ils dit, oui, le conduit prêt du lit de mes frères, la maison aurait brûlé rapidement. Impossible d'y échapper, à trois heures du matin. Mais j'étais celui qui veille, dans la nuit, le gardien misérable et ténébreux, le préposé à la sécurité du feu, aux antipodes du jour clair, comme un phare dans la mer déchaînée de l'ennui. Je me suis autorisé ce mythe de poche, disant qu'il en faut des glandus scrutant l'obscurité, telles des ombres nourris de télévisions silencieuses, pour protéger ceux que l'on aime.

Une autre nuit, tandis que je veillais, j'ai croisé ce clip, et je suis resté saisi. Je l'ai trouvé magique, comme si on l'avait fait pour me faire plaisir. Il a semblé se conclure comme une silhouette que l'on croise, mystérieuse, qui disparaît et qu'on veut retrouver en passant une annonce dans le Libé, en vain, bien sûr.

Puis hier, de nombreuses années après, je l'ai cherché sur YouTube, tout simplement. Je l'ai trouvé, dans la seconde. C'est magique, internet, c'est comme Jacques Martin dans sa citrouille à remonter le temps. J'espère que cela vous intéressera :




Radiohead, Paranoïd Androïd

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...