mardi 13 novembre 2007

Culte de ma personnalité

(Hier, j'ai pris un gros brouillon, et tel un gigot, je l'ai coupé en deux, une part à consommer sur le champ, la seconde moitié à faire réchauffer le mardi. Voilà donc la suite).

Ce que je n'ai pas avoué dans mon précèdent billet, c'est que j'use de subterfuges particulièrement condamnables pour me faire passer pour un héros, auprès de mon fils.

Ainsi, alors qu'il croit que je travaille dans un camion poubelle, au lieu de le détromper, je détaille mes pérégrinations. Papa a eu beaucoup de travail, avec le gros camion. Ah ah, il est allé très vite, les collègues de papa ont du beaucoup courir pour le rattraper, ça leur a fait les pieds. Mon épouse me regarde comme un escroc, et je me cache derrière le canapé.

Kéké a deux ans, il a une confiance absolue et naïve en nous, il n'a pas d'ami, pas de copine, il ne sait pas faire des courses, il ne sait pas faire à manger, il me regarde de tout en bas avec des grands yeux humides. Alors, tel un dictateur du Turkménistan j'emploie des méthodes très soviétiques pour cultiver le culte de ma personne. "Regarde ce carton de livres, seul papa peut le soulever aussi haut dans l'air." - Démonstration - oh c'est lourd ! "Papa est fort", dis-je pour insister. Ça fait bien rigoler maman. Quoi ? Il y a des vérités, la nuit c'est noir, le bain c'est chaud, papa c'est fort.

Porter le réfrigérateur ? Facile pour papa. Il le prend avec les deux mains, il le soulève, puis se demande "Tiens, quelle heure est-il ?", il fouille dans sa poche pour chercher son téléphone portable, le frigo sur une main, puis il fouille l'autre poche, avec l'autre main, le frigo maintenu en l'air par la force de sa pensée. Parfois papa emploie un copain figurant qui a l'honneur de mettre une main sur le réfrigérateur, pour imiter papa et reprendre confiance en lui, et goût à la vie ; parfois papa magnanime laisse même un second copain porter le frigo avec lui, car papa est tellement fort qu'il n'a plus rien à prouver, qu'il est revenu de tout, et qu'il peut s'asseoir sur le canapé pendant que les copains portent le frigo.

Autre exemple : regarde, papa jongle. Je prends trois balles, j'exécute deux ou trois mouvements de jonglerie, c'est magnifique, les balles partent aux quatre coins de la pièce. Papa a fait exprès de balancer toutes les balles, c'est exactement ce qu'il voulait faire, car papa aime le désordre, et papa est déjà las de jongler au bout de deux secondes. Papa est un prince, il se lasse facilement comme les grands de ce monde. Papa recommence avec deux balles. Papa y arrive bien. Papa aime la simplicité. Papa jongle maintenant avec une seule balle. Oui, papa, comme le Pape, n'est pas dupe des artifices de ce monde. A quoi bon jongler avec trois balles quand une seule suffit ? C'est bon, c'est beau, comme la balle s'envole, comme la balle retombe par terre, comme papa la ramasse.

Papa fait à manger. Papa est le meilleur cuisinier de pâtes et de steak de France. Papa a inventé la cuisson du steak, papa a inventé l'animal du steak, qui est tout comme la gentille vache dans le livre de Tchoupi, mais sauf qu'elle n'est pas vraiment gentille, et qu'elle naît déjà steak, et qu'on peut donc la cuisiner sans problème moral. Lorsque Kéké a faim, papa arrive avec l'assiette qui fume, il dit miam on va vraiment se régaler. Parfois papa lit beaucoup ses emails, il rafraîchit ses emails, il n'y en a pas de nouveau alors il les rafraîchit une troisième fois, et il fait à manger des légumes noirs. Alors papa se fait juge comme Saint Louis sous son arbre et décrète : les légumes c'est mal, ils ont tort, ils ont échoué l'épreuve de la cuisson, ils purgeront une peine de cent ans dans le sac poubelle.

Souvent, tel un créateur, papa construit des meubles suédois. Il les élève, majestueux dans l'espace, comme des cathédrales de contre-plaqué. Papa sait construire des meubles, il sait aussi construire des murs et des immeubles, mais il préfère les louer car ce n'est pas très intéressant. Impitoyable, papa démonte les meubles aussitôt construit car apparemment ils sont à l'envers, ou de traviole, alors papa emploie des mots interdits, boit des boissons interdites, puis recommence, mais peut-être que trop de boissons interdites n'aident pas à faire des meubles suédois droits, mais maman n'a qu'à s'occuper de ses affaires, car c'est papa le chef de la perceuse. Quand la semaine s'est écoulée et que le meuble suédois est enfin monté, papa s'accroupit et dit : "Regarde, papa va baptiser le meuble qu'il a fait avec ses mains, il va s'appeler Billy, ou Skvdodotrk. C'est papa qui l'a fait."

Pendant ce temps, les adolescents du dessus traitent leurs parents de connards. Papa profite un maximum de son bloc soviétique, avant son effondrement.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...