lundi 12 novembre 2007

Mon père, ce héros du camion poubelle

"Tu sais que Kéké est persuadé que tu travailles dans un camion poubelle ?"

Depuis quelques temps, mon fils Kéké s'interroge sur mes absences quotidiennes. Où vais-je donc, le matin, quand j'enfile mon gros blouson, quand je refuse le 8ème café que me propose (de force) E. en disant "Mais non il est à peine 11 heures 23 c'est pas être en retard ça ah tu les aimais plus ingrat". La réponse, énigmatique, est : "Papa part travailler". Énigmatique, la réponse le demeure, même pour moi qui n'ai pas deux ans.

Un matin, une fois disparu, alors que j'aurai pu, par exemple, jouer aux petites voitures toute la journée, Kéké a demandé : "papa parti camion poubelle ?". Nous avions d'abord cru que le Kéké prenait ces engins considérables pour des moyens de transport. En effet, à l'instar du métro, on s'y agrippe à la barrière pour se déplacer. Des gens très occupés les empruntent, pressés par des automobilistes hystériques, un peu comme papa en retard.

Nous lui avons expliqué : "Mais non, papa prend le métro, papa aime les transports en commun, le matin, car papa est humaniste et il aime l'enfer de la chaleur humaine".

Plus tard, un autre matin, il a précisé sa pensée : "papa parti travailler camion poubelle ?" Et là, nous avons compris.

Il pense que je suis éboueur. Contrairement au vieil oncle ou au beauf de mon enfance ("si tu travailles mal à l'école tu finiras éboueur !"), pour lui, c'est le plus beau métier du monde. C'est émouvant qu'il me l'attribue. C'est émouvant, ce raccourci, dans sa petite tête. C'est le métier de ceux qui ont un gros camion. Et moi, son père, je suis bien le genre de type admirable susceptible d'avoir un gros camion. A moins que cela ne soit le seul métier existant ; l'autre ne comptant pas - docteur - ces sadiques qui mettent des cuillères dans l'oreille et des bâtons de glace sans glace dans la bouche.

Si nous sommes dehors, le soir avant le repas, nous nous arrêtons sur le trottoir pour contempler leur travail diligent. Certains sont agacés qu'on les observe comme des personnages de Disneyland tandis qu'ils triment, d'autres au contraire s'en amusent et font des clins d'oeil rigolards à Kéké.

Un jour, un éboueur lui a fait un signe du pouce (ça roule !), de loin. Une autre fois, son collègue lui a adressé la parole : "Alors, ça va petit garçon ?", avec une grosse voix de basse, majestueux dans son uniforme vert, le froid sortant de sa bouche à l'instar d'un colosse à vapeur. Tandis que les voitures saturées d'imbéciles klaxonnaient, il s'est arrêté un instant pour lui désigner le puissant véhicule, et tout était dit... puis il a ajouté "A bientôt", un salut partant du front comme celui des marins, avant de poursuivre son chemin dans le tintamarre de la nuit. Kéké en est resté interdit, la bouche en O, puis il a répondu, confus d'admiration : "...gros camion ?!".

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...