samedi 29 décembre 2007

Nocturne #1

Mon chat, avec ta tête de Don Quichotte, hanté par la faim.

Mon chat, grosse créature au visage maigre, regard dément de la bête perdue dans sa quête sans fin pour ses croquettes. Tu vis entre peu de murs, tu ne connaîtras pas autre chose, ni Java, ni Sumatra, ni Honolulu, ni Teotihuacan, la Cité des Dieux, ni même Nogent-sur-Marne, non, juste la rumeur inextinguible du boulevard Barbès, au loin.

Mon chat, ta grosse tête de Don Quichotte absurde, ton errance sans répit sur les lattes du plancher, à la recherche de la croquette idéale comme le sculpteur ivre de beauté. Tu n'es pas un privilégié, mon chat. Moi j'écoute de la bonne musique, toi tu écoute de la musique minable de chat. Moi je mange de la bonne viande fraîche, en me tapant le ventre, toi tu manges des yeux de brebis, dans tes croquettes, en te grattant l'oreille. Moi je me déplace, souple, libre, j'arpente les métros, je tâte du boulevard, toi tu as ta carte orange du canapé, trajet immobile, terminus sommeil. Moi je vis longtemps, et je meurs triomphant, dans un lit entouré par mes dix enfants, et toi tu meurs castré, prés de ta gamelle.

Dieu ne t'as pas réservé de paradis pour les chats, avec son océan de croquettes, sa litière toujours propre, sa résurrection tranquille, non, pour toi, il n'y a que le canapé du néant, et la litière du vide, l'équarrissage et la fin du monde. Avec ta tête maigre de Don Quichotte. Pas de bol. Mon ombre d'appartement. Mon fantôme soyeux, spectre orange de poils. Figurant de nos vies.

Ce soir, je m'assois avec toi, dans la cuisine, parmi tes croquettes et ta caisse. Tu as décoré ta litière de crottes noires, comme un sapin de Noël puant. Je m'assois à côté de toi, c'est ça l'effet étrange d'une soirée arrosée entre amis. Tu me regardes avec surprise. Je te murmure : brave chat ! C'est ça d'avoir dégusté quarante cinq verres de vin. Je t'explique l'ordre du monde. Compagnon hébété, nous serons égaux dans le néant, tête à claque, tronche de Don Quichotte avec tes yeux énormes. Je te serre dans mes bras, tu ronronnes, tu es bien, tu me regardes, tes yeux noirs ouverts, inconsolable mais consolé ; tu es content. Le néant ! Doux endroit, peuplé de mélancoliques animaux de compagnie.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...