lundi 30 juin 2008

Fins de moi

Ce sont des barres grises, on y habite, c’est comme ça. Ce n’est ni triste, ni gai, un peu impressionnant quand même parce que remplies d’inconnus, et les inconnus, ça intimide. J’ai huit ans, je me dis c’est juste comme ça. Il y a un ascenseur pour les étages pairs, un autre pour les impairs. Nous habitons au quatrième, l’ascenseur des impairs, c’est l’inconnu, c’est en face, c’est de l’autre côté du mirroir. Parfois, je le prends, je sors au cinquième et je descends d’un étage, vite, c’est le frisson, c’est comme si j’étais une souris dans les rouages du monde ; je glousse. J’ai du mal à écrire que ça sentait la pisse, parce que ça fait glauque expliqué ainsi, ça ne l’était pas, ça puait juste, ce n’était pas agréable, c’était juste comme ça. Pour aller à l’école, on prenait l’ascenseur pair, on se disait bonjour quelle horreur ça sent encore la pisse monde de merde.

J’imaginais le type qui part du quatorzième, le grand frisson, il se dit allez, quitte au double, banco, bingo, alors je la sors et je pisse sur le mur de moquette, tandis que l’ascenseur dévale, la pisse s’écoule entre les jambes, j'écarte les chaussures, si ça s’arrête à l’étage et que le colonel ouvre la porte, c’est mort, foutu, mais non, la voie est libre, c’est bon, j’ai tout pissé, et le type il sort de la cabine et court sur la pelouse pelée comme s'il avait scalpé l'immeuble.

Il y a les parkings souterrains. Vastes hangars sombres, silencieux, ponctués de voyants faiblards. J’y rentre, seul, suite à un cache-cache ou un jeu de guerre. Des portes métalliques en rangs, comme une allée des tombeaux de rois. Les lueurs qui vacillent, mes pas résonnent. C’est le frisson. Il n’y a plus rien de rien, je suis dans les rouages. Je descends d’un niveau. Encore un. Encore un. On peut commencer à imaginer des monstres telluriques, des gens mi-fantôme égarés au triage infernal, cherchant leur chemin vers leurs supplices, parmi les grottes et les tunnels. Il n'y a tellement rien que ça ne serait même pas drôle de pisser contre un mur, même si on trimballait des pleins seaux d’urine. Il n’y a plus d’escalier pour descendre. C’est le fin fond de l’univers. C’est le grand frisson. Je ne trouve pas d’Eurydice, juste un extincteur. C’est comme ça.

Les portes des garages, ordonnancées, scellées, caveaux de tôles. Sauf un. Un garage ouvert, tout au fond. Un espace obscur, on voit trainer un chiffon graisseux par terre. Des planches. Je m’approche, est-ce qu’on n’entendrait pas un sabbat sous un soupirail ? Rien. C’est comme ça. On dirait que le silence va me taper sur l'épaule. Alors je cours, je fuis, je monte les étages vers le jour, je m’évade, avec mon short et mes sandales, et je suis de retour sous le ciel.

Je le connais, moi, le ventre du monde. Pinocchio dans la baleine de pierre. J’appuie sur le bouton de l’ascenseur des pairs. Je lorgne du côté des impairs. J’échafaude l’ombre d’un plan, peut-être un jour, y pisser, moi aussi. Sortir sauvagement mon zob et pisser sur la moquette de mur, en murmurant triomphe et puissance. J’étudie l’entrée des impairs farouchement, comme un opulent casino.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...