lundi 25 août 2008

Les cordes : le violoncelle

Le violoncelle ; cet objet me déchire comme si j’étais du papier toilette. Dans les illustrations de violoncelle que j’ai parcourues pour illustrer ce billet, j’ai beaucoup trouvé de photographies chics et luisantes, gloire à cet outil, façon chalet suisse. J’ai trouvé également son pesant de femmes alanguies, rêveuses, en collants. Rien n’est vrai, pourtant.

Si Rimbaud avait assis un violoncelle sur ses genoux, il l’aurait trouvé bien agréable, il en aurait joué très sérieusement, restant chez sa mère comme un bon garçon. Le violoncelle a le génie pour lui tout seul, il aspire tout tel un trou noir ; Rimbaud violoncelliste aurait dans sa chambre affiché des posters de chevaux ou d’engins à vapeur, comme tous les jeunes de son époque. Le violoncelle, c’est l’Histoire, c’est le mur de Berlin qui tombe. Jésus jouait du violoncelle pour ses disciples, devant tous les murs de Jérusalem s’effondrant aussi tandis que Judas était plutôt tenté par la guitare électrique. Si j’étais Ségoliste, je dirais que Ségolène Royal c’est comme du violoncelle, si j’étais journaliste sportif, je dirais d’un bon coup franc qu’il est tiré comme du violoncelle.

Le violoncelle est la voix de la mélancolie vivifiante, de la santé triste. C’est une bonne nouvelle, c’est apprendre que l’on prend perpétuité au lieu de la potence. C’est la queue du lézard : le membre est sectionné, mais on sait qu’on n’aura pas un moignon toute sa vie.

Je suis au lycée. Je bois du vin, dans une soirée. Brel dirait que j’énonce des « vérités qui ne servent à rien ». De son étui rigide bleu, notre amie sort son violoncelle. Nous avons lourdement insisté. Il y a un contraste saisissant entre l’impeccable manufacture de l’objet, son superbe vernis brun, sa structure tarabiscotée, et notre présence insignifiante de jeunes ivrognes. Je crois qu’à cet instant, si on avait dû choisir entre éliminer l’instrument ou les jeunes gens, le public du monde entier aurait choisi, par SMS, de conserver le violoncelle, et d’abattre les jeunes. Cela aurait semblé tellement normal.

Elle immobilise le violoncelle entre ses genoux. Elle semble visser quelque chose au bout de l’archer, le crin se tend. Rituel ésotérique, elle arrache quelques mèches blanches qui dépasse, frotte le crin sur un bonbon translucide, la colophane ; et s’accorde. Le crin est posé sur les cordes, elle inspire. Puis débute la première suite de Bach.

C’est un morceau que Dieu conserve jalousement dans sa cave pour le dépenser, sa retraite venue. C’est un cadeau, Bach le lui a fait pour son anniversaire. Dieu se dit alors que l’invention de Bach est décidément un bon investissement.

Sidéré, je me retourne : je tente de voir si un mur de Berlin n’est pas en train de s’effondrer dans mon dos. Puis je suis triste, tandis que le prélude poursuit une sorte d’aube sonore, je souhaite attaquer ma mère en justice, pour m’avoir fait. Puis je me dis qu’il faudrait tenter quelque chose, pour rattraper le temps perdu, comme terroriste par exemple. Je me sens tel un sac de compost, de l’engrais potentiel pour les petits jardins entretenus des temps futurs. Je me sens utile, en quelque sorte. Je souhaite boire une tasse d’eau de Javel. J’imagine Bach en arbitre, dans un match entre Dieu et tous les hommes, ces derniers sont là dans la mêlée, taclant rageusement le Créateur, mais Bach, bonhomme, au milieu, sourit, dans son immense mansuétude ne sort jamais le carton rouge. Il s’en dégage une certaine atmosphère de fair-play.

Il m’a semblé les années suivantes avoir fait laborieusement la cour à la violoncelliste. Les moyens d’un tel périple étaient limités. C’est aller à Calais, demander un Ferry-Boat pour Douvre, afin de découvrir l’Inde en chemin. Une sorte de pénurie logistique, fatale. J’aurais pu tout aussi efficacement envoyer une lettre à François Mitterand pour exiger la paix dans le monde.

Le prélude s’achève alors, c’est l’assomption musicale, aussi brève qu’éclatante, le bout du tunnel des gens qui meurent, l’extase et le rien. Bêtement, nous applaudissons, minuscules, inaudibles, acariens.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...