mardi 2 septembre 2008

le crépuscule des demi-dieux

C’était la rentrée des classes pour Kéké, aujourd’hui, je fus infiniment triste en me levant ; poisseuse et déraisonnable tristesse. Z. dut me faire la morale, on dirait que c’est toi qui rentres à l’école. J’enchaînais, lorsque mon fils avait le dos tourné, sarcasme sur sarcasme. « Ouais on va tous crever », pour donner une idée. Je me sentais tripoté par le temps qui passe, ce n’était pas grave, ça irait mieux.

Alors, tout alla mieux.

Je mis un pantalon propre. Je me sentais bien dedans. Les poches n’étaient pas encore déformées par les centaines de pièces de un centime ou les tickets de Champion jamais jetés. Je mis une chemise blanche, aussi, je m’adressai à Kéké, occupé comme d’habitude à organiser ses camions ; tu vois comme je suis bien habillé, qui c’est le plus beau, ah ben c’est ton père, tiens, tu sais c’est comme un jour de fête même si… (regard noir de Z.) .. j’achevais alors dans mes pensées : …même si on va tous crever. Je lus le dernier billet d’Olivier qui, certainement sous l' emprise d’hallucinogènes, alla jusqu’à m’attribuer un terme plus prisé dans les blogs que « procrastination » ou « miscellanées » : le terme d’influent. Ragaillardi par tant d’attentions, neuf dans mes habits propres, je me figurai tout à coup comme une sorte de demi-dieu, chassant le daim en sandales dans les forêts, tirant des flèches sur des biches avec des cordes de violon.

Je savais que j’allais, en attendant la sortie de l’école, pontifier dans un café avec ma compagne, me la jouer, bavarder de mille choses, avoir toujours raison, oisive après-midi d’étudiants.

En classe, Kéké se précipita vers les jeux, surexcité. Nous sortîmes de l’endroit, vite, tandis que notre enfant entretenait encore des illusions avec sa pâte à modeler. Il faisait beau, la vie était belle, il y avait tant d’endroits où aller. Rien, ni personne ne pouvait entamer cette confiance qui m’échauffait. Je me sentais invincible. Pour me faire de l’ombre dans cette journée splendide, pour me casser ma baraque, pour me concurrencer dans mon radieux triomphe, il aurait fallu au moins me coltiner Brad Pitt, sur le boulevard Barbès !

Dans le magasin presque désert « la Grande Récré », boulevard Barbès, Brad Pitt faisait la queue à la seule caisse ouverte, juste devant moi. Qu’est-ce qu’il fout là, lui, pensais-je, horrifié ? Qu’est-ce qu’il vient faire dans ma journée parfaite ? Il portait un petit chapeau, comme mon personnage de blog, tenant sa fille dans ses bras, il attendait la monnaie. Z., qui poursuivait inlassablement sa longue phrase débutée le matin au réveil, l’aperçut, se tourna vers moi avec une expression déchirant son visage entre « le cri » de Munch et un personnage de Guernica : « Oh la la ! murmura-t-elle en hurlant de toutes ses forces, tu as vu ? C’est Brad Pitt ! A cinquante centimètres de nous !
- Bah, je grognais, il fait bien caca comme tout le monde, non ? »

Le caissier transpirait, il n’arrivait pas à rendre la monnaie à Brad Pitt. L’acteur, blindé, murmurait des douceurs à sa fille, comme dans une bulle, derrière ses lunettes noires, évitant le regard des quelques curieux autour. La sucette de l’enfant tomba par terre, près des pieds de Z. Celle-ci, tétanisée, ne se baissa pas, et l’autre dut se tordre pour attraper la friandise au sol. Je lui reprochai doucement : c’est un truc que tu regretteras peut-être toute ta vie, ça, ne pas avoir donné une sucette à Brad Pitt. Elle me rendit une mine de désespoir entre Francis Bacon et Yves Klein. Brad salua les gens, en français, tandis que les femmes envoyaient des SMS pour divorcer de leur mari. Il regagna dehors une berline noire contenant huit vigiles et cinq avocats. Les juristes avaient apparemment demandé qu’on ne prenne pas de photo, car l’acteur était avec son enfant, vie privée. Les vigiles, eux, comparaient les innombrables clichés pris sur leur téléphones portables.

Au comptoir des papiers cadeaux, quelques clientes s’adossaient, abasourdies, encore sous le choc, un air d’extase sur la figure. Comme des Bernadette Soubirou, elles répétaient : « Mon Dieu qu’il est beau ! Ah oui quand même ! Oh, en vrai, il est plus beau qu’au cinéma, il est plus beau en vrai qu’en vrai ! ». Moi et mes habits propres. Et dire qu’elles ont obtenu le droit de vote ! Un livreur, la main sur le cœur, avec un lyrisme patriotique, clama : « Après on dit du Boulevard Barbès, hein, mais vous voyez qui le fréquente ! » Je grommelai, tout doucement, oh hein, il fait bien caca comme tout le monde.

Au café, quand même, je tentai de me la péter un peu, de pontifier comme prévu, mais ma compagne écoutait d’un air distrait. Elle lançait, parfois : « Tu as vu comme il a l’air baraqué dans sa chemise ? » ou bien : « Il avait vraiment des fesses très musclés, dis donc. Son nez, je ne dis pas. Je n’aime pas son nez. Mais le reste ! Le reste ! ». Ce fut 16 h 15, il fut temps de récupérer Kéké. Avant, j’allai au cabinet, et, vindicatif, je fis caca, oui, pareil que Brad Pitt.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...