samedi 1 novembre 2008

Les cuistots de l'espérance

Parfois, quand je termine un billet de blog, quand j’y ai passé du temps, et que j’en suis vraiment content, je me sens comme dans Barton Fink. Je tends les bras en l’air, en hurlant, les yeux exorbités : « je suis tout puissant ! » et j’ai envie de descendre danser dans des cabarets toute la nuit, les bras encore en l’air, à hurler : « je suis le Créateur ! je suis le Créateur ! ».

Parfois, je suis normal. Je suis, comme à midi, dans une vaste cantine déserte, à 14h05, face à trois saucisses roses et quarante-sept frites. Les tables vides s’alignent, c’est une sorte d’entrepôt pour manger, avec juste des brocs d’eau marron, interminables rangées des vases sans fleur. Je mange mes saucisses, en silence, et je trouve qu’à ce point là, ma normalité, ça ressemble vraiment à de la normalitude. C’est vertigineux, c’est même un peu grandiose, c’est presque extravagant, ce néant à la mi journée, tandis qu’un cuistot fatigué range les brocs d’eau dans un chariot, ça se dresse dans l’espace, c’est une pyramide, une obélisque, un Taj Mahal de normalité. Je me lève, j’arpente des couloirs blancs, sans croiser personne, à part des meubles où sont stockées des ramettes de papier. Dans ce labyrinthe, je me demande si la théorie de l’évolution n’est pas un vaste mensonge, s’il n’y a pas des bureaux aux couloirs blancs dressés depuis toujours, avec sur la moquette, des petits têtards qui se transforment en homme.

Parfois, quand je suis enthousiaste, j’oublie les débats alanguis sur les blogs, leur vacuité, leur vanité, les plaintes lascives sur les commentaires, et les courtisans, et la flatterie ; les yeux exorbités, les bras tendus en l’air de triomphe, je tape sur mon clavier (non, en fait, ça n’a aucun sens). Et les doigts posés sur mon clavier, plutôt, je tape sur mon clavier. Je pense au peintre qui fustigerait son pinceau, à cause d’une toile qui lui est impossible. Je pense aux peintres, qui, devisant dans un café romantique, parleraient d’envoyer tous les pinceaux dans des maisons de redressement, parce que le pinceau, c’est tellement prétentieux. Alors certains parleraient de peindre avec leurs mains, d’autres de se couper les mains, parce que les mains, c’est tellement prétentieux, d’autre parleraient non plus de peindre, mais de se pendre, parce que soi, c’est tellement prétentieux. Parfois j’y crois, je m’y crois, avec candeur, avec oubli, avec confiance.

C’est la marée haute, et puis c’est la marée basse. Après les métaphores, ce sont les métafaibles. Je me perçois comme l’individu sur sa planche à voile, dans une immensité de sable ; je me dis que descendre de la planche pour marcher me ferait avancer plus vite. C’est l’occasion idéale pour rendre un hommage au cuistot d’à midi.

A midi, j’avais très faim. Le cuistot, un jeune homme avec un calot blanc, a déposé deux saucisses dans le plat. Puis il m’a dit : « je vous en mets une troisième ? ». Emu, j’ai répondu : oui. Ce garçon aime son métier. Il n’est pas mesquin. Il est généreux. Cette générosité, c’est une force, c’est un printemps dans l’automne qui nous embrume. Puis il m’a ajouté des frites, non pas à côté, comme un petit tas ridicule de patates, mais au dessus, plein, dans toute l’assiette, des tonnes de frites, des montagnes de frites, en veux-tu, en voilà, comme des fondations miraculeuses bouchant le trou béant de ma faim pour y construire une nouvelle après-midi. Il m’a tendu l’assiette, magnifique, fabuleuse, et je l’ai remercié. Dignement, virilement, je lui ai dit : « Monsieur, passez un bon week-end ». Il m’a répondu : « Monsieur, vous aussi ». Nous nous sommes compris. Nous nous sommes regardés, Atlas momentanés de toute une civilisation. Cet homme là, c’est l’avenir de la France, du monde, c’est l’espérance.

Je te le dis solennellement : cuistot d’à midi, et tous les cuistots du monde entier, qui nourrissez les gens errant dans les bureaux déserts tandis que l’univers s’écroule, levons tous ensemble les bras en signe de triomphe ! Dansons dans les cabarets pour l’amour du travail bien fait, la science, la joie et l’harmonie ! Victoire ! Victoire ! Victoire !

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Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...