vendredi 15 mai 2009

chien à roulettes

La grande piste cyclable qui parcourt le boulevard Barbès pourrait être une sorte de Champs-Elysées pour les vélos. Rectiligne, en pente douce vers le nord, on imagine un chemin joyeux où l'on glisserait plein d'allégresse, comme une comète, fredonnant à l'instar de Joe Dassin :

"Au boulevard Barbès
Tada tada tada
Au boulevard Barbès
Tada dada
A minuit, ou à minuit..."

Au lieu de cela, les cyclistes arrivent au bout à bout, posent le pied au sol, et, les dents serrées, ont envie de tuer des gens.

Car les piétons errent. Dérivent. S'ils sont en groupe, touristes ou invités d'un mariage, ils se meuvent gauchement, par grappe, lents, se bousculent comme des quilles mais sans tomber, des pingouins hébétés. Ils regardent au sol, constatent un pictogramme allongé, vélocipède en anamorphose ; font un grand O d'étonnement avec la bouche, et disent :"Oh une piste cyclable", telle une poule ferait : "Oh, j'ai trouvé un couteau".

Puis ils lèvent la tête, au ralenti, empotés. Il arrive, le vélo sur la piste en question.

Le cycliste à toute berzingue regarde impuissant l'équipe molle le dévisager. Lui vif, eux engourdis. Le biclou rouspète et couine de toute sa colère avec la sonnette, drelingue drelingue. Mais il se fait engueuler sacrément. On n'a pas idée, hé sauvage ! Chauffard ! Barbare ! Vandale ! Inconscient ! On est quand même en démocratie.

Alors le Poulidour fait le tour, râle, maugrée, de toute façon je n'aime personne ; il les traitent tous de conards jusqu'à la quatrième génération.

Je condamne avec la plus grande fermeté les piétons qui errent sur les pistes cyclables. J'avoue quand même qu'il n'y a rien de plus délicieux que la mauvaise foi qui consiste à engueuler un cycliste. Je m'y laisse doucement aller, parfois. "Mais poussez-vous ?!" L'homme-deux-roues, outré, lève le poing, se déconcentre, vacille, sa compagne énervée qui tente de le suivre malgré son allure mesquinement démonstrative (qui c'est-ti le plus vite ? qui c'est-ti qu'avait le plus de poil ?) le percute, ils chutent sur la route, se font aplatir par un autobus, il y a des organes répandus, les passagers dans les transports en commun vomissent beaucoup.

Un jour que je me baladais gaiement sur la piste cyclable, j'étais empli d'un vert lyrisme, toutes ces voitures, tous ces camions. J'étais sur le point d'écarter les bras d'aise quand un affreux aboiement derrière moi me fit bondir hors de la piste. Je me retournai, et je vis passer un vélo. Un instant stupéfait, je tentai de faire le lien entre l'aboiement et le bicycle, lorsque je le vis approcher un groupe de grand-mères. Le cycliste aboya encore, un aboiement de roquet, ou de loulou, très strident. Les mamies se sautèrent dans les bras les unes des autres, et la voie fut libre aussi sec. Il s'éloigna, filant bon train, aboyant beaucoup.

Manifestement, la technique marchait, une technique sure, maîtrisée, sans humour. Il fendait la foule craintive sans entrave. Par une sorte de darwinisme urbain, le cycliste avait évolué, et abandonné la sonnette au profit du jappement.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...