mercredi 13 mai 2009

le Grand collisionneur de hadrons

(sur une sorte de brouillon de septembre 2008)

Walter Wagner et Luis Sancho ont porté plainte devant un tribunal de Hawaï. Animés d'une colère toute procédurière, ils n'ont pas envie que des laborantins suisses détruisent le système solaire par inadvertance, en bricolant des trous noirs dans leur cave. Ils n'ont pas envie que notre monde disparaisse d'un coup, telle une matière moulée au fond des toilettes. On les comprend, on imagine bien le préjudice matériel et moral d'un tel saccage. Quelle perte pour le monde serait la perte du monde lui même. La Grande Muraille de Chine, la Divine Comédie, Moi.

A la frontière franco-suisse, à cent kilomètres sous terre, au fond d'un puits qualifié de "grand comme une cathédrale", le CERN a lancé le "Grand collisionneur de hadrons". C'est un couloir en boucle, un tunnel, un tore. Un métropolitain pour les particules. Avec deux arrêts, début et fin du monde. Terminus, tout le monde s'écroule. Le petit stagiaire à qui on demanderait, pour le bizuter : "va donc chercher l'huile de coude au fond du Grand collisionneur de hadrons" pourrait tourner pendant des jours, dans ce conduit, avant de choir, épuisé, ne se sachant pas revenir sur ses pas, incessamment, ce qui est le danger avec les chemins infinis.

Le principe de ce dispositif est de lancer à toute vitesse des hadrons en sens contraire, et à un moment donné, de les faire se percuter. Se percutant, à une vitesse proche de la lumière, ils pourraient produire des choses inconnues, choses qui - si elles étaient connues - et bien ça ne serait pas la peine de construire un Grand collisionneur de hadrons cent mètres sous terre pour les connaitre. Un hadron est composé, si l'on se documente, de "gluons", ce qui me remplit toujours d'une grande nostalgie, de quand j'étais enfant et que je regardais "Téléchat". Les "hadrons" se télescopant produiraient des choses disponibles à l'état initial de l'univers, au moment du Big Bang, quand le cosmos tenait dans la main, infiniment dense, chaud, avant la création même du temps.

Nostalgie - dis-je à propos du gluon - et voilà qu'une sorte de faille, de trou gris, m'est venue en divaguant, causant une accrétion de sentiments, et ma gravité s'accroit alors, provoque des effets macroscopiques tels l'oeil vitreux ou la babine tremblante - trou bleu, diraient les américains - cela me prend aussi lorsque j'évoque le "boson de higgs", qui se transforme vite en "boson de Higgins", le célèbre employeur de Magnum, ses chiens, sa petite moustache. Ses petites chemises Hawaïennes. Hawaï, le tribunal, la plainte de Luis Sancho et Walter Pança contre la fin du monde, moulin englouti mu par le vent cosmique, la boucle est bouclée, le tore est toré. Je me souviens, j'ai eu la varicelle une semaine, et je suis resté à regarder à la télévision la "5ème", avec "Shérif fais moi peur", moment doux, moment trou, vide, je languissais paisiblement sur le canapé, comme si j'étais l'ancêtre préhistorique d'un spectateur d'Arte. On grandirait dans la merde qu'on aurait la nostalgie de la merde, irrépressiblement.

Dans cet interminable corridor souterrain, il serait également possible de lancer outre des hadrons, pourquoi pas, un second stagiaire en sens contraire, à qui on demanderait d'aller chercher de l'huile de coude, mais de l'autre côté du tunnel. Parfois, tous les dix kilomètres, les deux stagiaires se croiseraient, se salueraient, échangeraient quelques remarques convenues sur leurs conditions de travail précaires (cent mètres sous terre, à proximité de potentiels trous noirs, risquant à tout moment une fin du monde). Lancé à la vitesse du stagiaire, le stagiaire pourrait, en percutant l'autre, reproduire les conditions initiales du cinéma muet.

Si j'étais parmi l'équipe du CERN, je tenterais cela, la nuit, sur mon temps libre. Dans ce manège enfoui, il y aurait le claquement des talons des jeunes étudiants, leur percussion comique, et l'avènement d'un inconnu, docte et drôle.

"Les propriétés bien établies de la gravité, décrites par la relativité d’Einstein, excluent que des trous noirs microscopiques puissent être produits au LHC. Quelques théories de type spéculatif prédisent toutefois la production de telles particules au LHC. Toutes ces théories prévoient que de telles particules se désintégreraient aussitôt. Ainsi, ces trous noirs n’auraient pas le temps d’amorcer l’accrétion de matière et resteraient sans effets macroscopiques." [source]

Cette menace est-elle sérieuse ? Les scientifiques répondent qu'elle est improbable, mais on ne sait jamais avec les scientifiques. On peut toujours craindre une application militaire de ces expériences. Rien n'empêcherait l'Iran se lancer un trou noir au dessus d'Israël, provoquant ainsi la fin du système solaire sioniste. Ou à défaut, quelques stagiaires avec des hadrons dans la poche. Parachutés quelque part sur un terrain vague, ils courraient très vite, l'un face à l'autre, se percuteraient, recréant ainsi des conditions initiales de je ne sais plus trop quoi.

En attendant, l'interrupteur a été enclenché, ronronne ce Germinal pour les molécules. Au nord c'était les hadrons. Tic-tac de l'horloge suisse, à la frontière franco-suisse, en prévision d'une fin de monde qui ne vient pas. Rôdent autour, sans doute, effarés, quelques destructeurs de plantations de protons, ou d'autres faucheurs de champs magnétiques.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...