vendredi 11 septembre 2009

Le bon

L’homme, à l’entrée de la galerie marchande, examinait le bon dans sa main, avec une sorte d’angoisse. Je dis angoisse, parce qu’en général, on ne regarde pas les bons ainsi, enfin, les gens normaux, le reste du monde. Les gens regardent les bons placides, neutres, ils ont une légitime absence d’implication, un vide d’eux mêmes lorsqu’ils regardent les bons ; ils ne regardent même pas les bons, ils les pincent furtivement en examinant autre chose digne d’intérêt, la mine altière, le visage serein, et glissent agilement le bon dans la poche, et le ressortent le moment adéquat, avec dextérité, en harmonie, et la vie passe ainsi.

L’homme, malheureusement, scrutait le bon, la tête se tassant de plus en plus, le corps, avec lenteur, se compactant sur lui même, et l’homme semblait aspiré par la puissance de ce bon, le bon comme un carré d’angoisse. Il se dit qu’il n’avait pas fait ce chemin pour rien, et entra finalement dans la galerie marchande. Les gens le regardaient fixement, enfin, pas exactement, puisqu’ils vaquaient à leurs occupations, mais le bon toujours entre le pouce et l’index du bras droit ballant, l’autre bras, ballant, les jambes ballantes jusqu’au sol, tout était matière à l’observation, mais en vain, puisqu’on l’ignorait jusqu’à présent. A gauche, il fut effrayé par un salon de coiffure. Les dames, la tête enclenchée dans un réacteur, contemplaient des magazines comme l’homme avait contemplé son bon, l’angoisse en moins, un calme ennui à la place. A droite, un homme mi vendeur mi vigile se dressait superbement, colosse en costume à l’entrée d’un magasin de semblables costumes, secondé par des hommes en plastique dont les costumes uniformes rendaient le tout d’une cohérence à la frontière de l’hystérie.

Arrivé à ce qui était certainement l’Accueil, ou la Caisse Centrale – c’était un comptoir majestueux en contre plaqué où des femmes étaient assises loin derrière, maniant des ronds magnétiques antivol parmi des alcôves de casques de moto - l’homme vit quelques personnes faire la queue en désordre. Une queue commençait d’un côté, une autre de l’autre, les deux fusionnant devant la région d’une employée dissimulée. Où se placer sans devoir négocier un ordre de passage avec un inconnu, peut-être violent, une main handicapée par la préhension du bon, il ne le savait pas, et commença à faire la queue à quelques mètres derrière, sans vraiment faire la queue, ainsi des gens se plaçaient devant lui, légitimement, et pour se donner contenance, il vérifiait, avec méticulosité, le bon qu’il avait légèrement élevé devant lui. L’employée, dont on percevait à peine le nez derrière le comptoir, était fortement maquillée, avec un regard très noir et sévère, elle lui rappelait Cléopâtre l’impératrice, enfin, telle qu’il se l’imaginait, lui posant des énigmes, à l’instar du sphinx, et il se demandait si les réponses seraient dans son bon, et regarda son bon et vit peut-être des réponses, mais non des questions, qui refusaient de venir avec, et ce monde ainsi soudainement renversé lui fit monter tous les flux au crâne et s’imagina le sort des dinosaures dévastés d’un coup se tortillant au sol de douleur et privés d’oxygène.

Quelque chose se brisa en lui, ou s’alluma, et il y eut un effondrement, il put le percevoir comme l’effondrement d’un mur, le mur d’une pièce emmurée, libérant soudain la vision pour un paisible paysage de campagne et son clocher et ses vaches et ses vélos dévalant la vallée au loin, et il fit un petit sourire de contentement, mit le bon dans sa poche, haussa discrètement les épaules, et partit, se disant qu’il pourrait toujours passer un peu plus tard, avec le bon.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...