vendredi 26 février 2010

Le Contrat

Samantha, se retournant, dit à Jason : je crois qu'il faut vendre la propriété de Père, nous n'avons plus le choix. La proposition de Monsieur Randolfsky ne peut pas se refuser. Et avec Stub, mon demi-frère qui semble ressuscité de son accident d'avion, et qui veut des parts de la Laiterie, il nous faut faire face ! Qu'en penses-tu, Jason ? Elle se mit la tête entre les mains et soupira, belle et rebelle à la fois. Mais Jason paraissait surtout fasciné par un détail sur le mur. Il s'en approcha, titilla une aspérité de la tapisserie, lentement, avec l'ongle. Il était totalement fasciné par sa découverte, et ne prêtait plus attention aux gémissements de Samantha. Jason ? M'entends-tu ? Jason raclait le bout de tapisserie, cela semblait bien collé, mais il parvint à en enlever un petit bout. Il contempla le petit bout de tapisserie coincé entre ses doigts. Les murs étaient parfaits, un beau blanc impeccable, lisse, sans le moindre défaut. Mais il tenait un bout de tapisserie dans sa main, et du côté du mur, dans le trou, il y avait une sorte de plâtre, un peu mou. Il paraissait totalement aspiré par sa trouvaille, même si le moment semblait mal choisi. Samantha s'approcha doucement de Jason, avec patience, elle lui posa une main, tendrement, sur l'épaule. Jason, tu ne sembles pas dans ton état normal. Que se passe-t-il. Stub a encore essayé de te contacter ? Il veut t'entrainer dans un crime que tu n'as pas commis ? Tu as reçu des mauvaises nouvelles de la Laiterie de Mère ? Mais Jason ne répondait pas. Il sursauta. Tu n'as pas l'air dans ton état normal, Jason, tu as subi beaucoup de stress aujourd'hui, à la Société ? Une blessure secrète de ton passé est en train de ressurgir à la surface de ton souvenir ? Jason se retourna et dévisagea Samantha. Il se saisit doucement d'un mèche blonde de ses cheveux, et la compara avec le morceau de tapisserie blafard qu'il venait d'arracher. J'ai compris quelque chose, fit Jason. Il y a quelque chose derrière ce mur. Il désigna le mur. Il y a quelque chose qui n'est pas vrai, et nous sommes enfermés à l'intérieur. Il pencha un peu la tête, félin, considéra la paroi satinée. Puis il se mit à cogner le mur, attentif, guettant un bruit sourd ou un bruit mat, ou un bruit creux. Il colla son oreille contre la cloison, et continua à sonder, éprouvant le mur de ses phalanges.

Jason, repris Samanatha, tu n'as pas l'air dans ton état normal, que se passe-t-il, tu as une liaison ? Mais non, répondit agacé Jason, haussant les épaules, voyons, qu'est-ce que tu racontes... tu vois, je commence à comprendre. Nous pourrions peut-être... (il semblait dire n'importe quoi) changer de vie ? Mais la Laiterie de Mère fit Samantha, réellement surprise, et la propriété de Père ? Samantha, désemparée, subissait ce nouveau coup du sort, avec dignité, certes, mais cela commençait à faire à la longue, à s'accumuler ; il faut dire que Jason avait coutume d'être tout le temps dans son état normal, et que cet état normal était normal pour Jason. Il était sérieux et volontaire, sous ses airs bourrus il avait un coeur d'or, une brute au coeur tendre à vrai dire, il ne fallait pas se fier aux apparences, l'habit ne fait pas le moine, mais là Jason se comportait vraiment de manière farfelue. Il se mit à jauger le plafond, puis les lampes feutrées au coin de la pièce, en proie à une suspicion maniaque, débordante. Il y a quelque chose, je le sens. Je comprends. Je suis sur le point de comprendre !

Je vais appeler Docteur Randolfsky, Jason, tu es surmené par cette histoire d'achat de parts avec ta demi-cousine et je crois qu'un peu de repos te ferait du bien, tu veux peut-être boire un brandy ? Jason la désigna avec son index. Docteur Randolfsky, fit-il. Monsieur Randolfksy et le docteur Randolfsky. Pourquoi ont-ils le même nom ? Samantha resta muette, et Jason poursuivit sur sa lancée. Simplement parce qu'il n'y a pas de docteur Randolfksy, Samantha. Tu viens de l'inventer. Il n'y a pas de docteur Randolfsky ! Puis Jason se remit à gratter le mur, avec plus d'obstination. Il y a quelque chose derrière ce mur, j'en suis sûr, il n'est pas normal, un mur aussi propre ça n'existe pas. Il y a quelque chose. Il méditait. J'ai l'impression, comment dire, que nous sommes... du mauvais côté du mur. Tu comprends ? Il faudrait approfondir cela. Il me faudrait un couteau. Si j'avais ... une masse ? Je pourrais voir, juste vérifier, ce qu'il y a de l'autre côté du mur. Jason s'illumina : tiens, appelle moi donc un garçon de chambre, qu'il me monte un brandy-coca. Il se tenait les bras croisés, comme si cette décision pouvait tout résoudre, tout prouver, tout finir.

La garçon arriva, discrètement, silhouette rouge dans l'embrasure de la porte, il entra et proposa le brandy-coca à Jason. Samantha gémissait, la tête dans ses mains, elle ne semblait pas triste, mais elle ne savait pas quoi faire, alors elle gémissait. Attendez, cria Jason au garçon de chambre. Celui-ci sursauta, il se ratatina, puis fut sur le point de s'enfuir en courant quand Jason cria : jeune homme ne partez pas, quel est votre prénom ? Le garçon confondu sembla réfléchir, puis ne trouvant rien, il chercha de l'aide, implora Samantha des yeux, puis il présenta ses mains pour s'excuser avec une affreuse grimace. Alors, fit Jason, garçon de chambre, vous êtes muet ? Mmm mmm, fit le garçon de chambre, et il lui montra son pouce en signe de triomphe romain, car visiblement il était soulagé d'être muet, cela le sortait d'une situation bien embarrassante. Mon oeil ! cria Jason, s'emportant pour de bon. Vous n'êtes pas muet du tout ! J'en ai lu un hier, chez Maitre Cameron, de contrat, je le sais, vous êtes une silhouette, et si vous parlez, ce n'est plus le même contrat, c'est beaucoup plus cher ! Alors vous ne parlez pas, bien sûr ! C'est votre contrat ! Vous êtes tous sous contrat ! Une silhouette sous contrat ! Le garçon sans pouvoir ouvrir la bouche, niait autant qu'il pouvait, agitait ses mains, suppliait, pleurait presque. Samantha, pendant ce temps, gémissait de plus en plus fort, rebelle, belle, très embêtée, elle regardait autour d'elle, cherchant une issue elle aussi, dans la pièce absolument dépouillée. Jason, en vainqueur, s'empara du verre et le gouta. Pouah. Vous parlez d'un Brandy ! Il rit. C'est du jus de fruit. Il leva ses deux poings en signe de victoire : libre ! Je suis libre ! Il se tapa le torse comme un singe. Liberté ! Liberté ! Sexe ! Ordure ! Masturbation ! Coloquinte ! Enfin, il se tourna vers le mur, et se mit à faire le tour de la pièce, joyeux, palpant les quatre murs les uns après les autres, à l'affut du moindre creux, du moindre vide, de la moindre faille, murmurant : je m'en doutais ! Je m'en doutais ! Je l'ai toujours su. La sortie est proche, la fin aussi.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...