mercredi 17 février 2010

Vétérinaire pour les poissons



Nous sommes avachis avec Kéké sur le canapé, nous parlons de poissons. C'est le grand sujet du moment. Aux voitures de courses, Ferrari, Porsche et autres Renault Twingo ont succédé les créatures des océans ; requins blancs, globicéphales, bélugas, dauphins vrilleurs. Il me confie qu'il veut être vétérinaire pour les poissons, plus tard. Et pour les chiens ? Non juste les poissons. Et si on t'apporte un adorable petit toutou mignon blessé et qui gémit avec ses grands yeux plein de supplications, tu le soignerais quand même bien sûr ? Non, juste les poissons. Il est catégorique.

(J'ai la vision funeste d'un cabinet vétérinaire au bord de mer, dans un phare, avec mon fils ombrageux en train de dire : "Non, je fais pas dans les chiens. On n'a qu'à le piquer, madame, votre bête, là. C'est marqué sur la pancarte. Je fais juste les poissons. Les poissons !")

Évoquant les vertus du vétérinaire guérisseur de sardines, une inspiration métaphysique s'empare de lui. Il me demande : s'il s'occupe des poissons, qui de son côté soigne le vétérinaire quand il est malade ? Je réponds, rassurant : mais mon enfant, il y a les docteurs, pour soigner les vétérinaires !

Et le sujet semble clos. Mais non. C'est sans compter sur la puissance intellectuelle qui habite mon enfant-mais-où-va-t-il-donc-chercher-tout-ça-toute-cette-intelligence-peut-être-dans-ses-gènes-du-côté-de-son-père-allez-savoir. Ma réponse le trouble encore. Après un temps de réflexion, il poursuit : mais dans ce cas, si les docteurs soignent les vétérinaires, qui soigne les docteurs quand ils sont malades ? Moi aussi, je produis du silence. C'est une sacré bonne question en fait. Vu sous cette angle, je m'en gratouille la barbiche. Je réponds, au hasard : d'autres docteurs. Les docteurs se soignent entre eux, en fait. Ils se débrouillent. Ils font leur sauce. Entre eux.

Le médecin prend son téléphone, il tutoie un confrère. Ils plaisantent à propos de médicaments. Peut-être que, se faisant examiner, le docteur malade n'a pas à se sentir comme un petit garçon en slip, fautif de son ignorance. Dans ce cas, le docteur soignant peut lui en imposer tout de même, en donnant une explication sur un sujet incompréhensible ("la larve du gastéropode est pourvue d'une petite coquille spirale operculée et d'un voile cilié... il me semble..."). Soit, ému de se sentir égal face à un égal, il peut lui confier quelque chose, qu'il aurait voulu être un artiste, par exemple.)

Je crois que Kéké vient de pointer une faille organisationnelle assez préoccupante dans l'univers du monde. A un moment, l'escalade des responsabilités s'élève jusqu'au flou le plus total. Si, tout en bas, les poissons glissent dans les obscures profondeurs, l'oeil rond, dans leur paix froide et opaque, tout en haut, les dieux sont seuls avec eux-même, dieux pour d'autres dieux, tuteurs intérimaires, instigateurs en roue libre, chefs-orphelins désemparés, et il y a sur leur front beaucoup d'inquiétudes.

Puis la conversation se poursuit, en vrac, ce doute est momentanément mis de côté, sans réelle conclusion ; du coup, trouver une chute à cette histoire n'est pas vraiment une sinécure.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...