mercredi 3 mars 2010

La coupe

J'étais chez le coiffeur, ce midi. Je me suis dit : je vais en faire un billet. Et là, je me suis rendu compte que ma dernière visite chez le coupe-tif s'était également soldée par un billet. Tout d'un coup une architecture gigantesque se dessine, ce support est ponctué par des coupes de cheveux. Dans dix ans, je ne ferai qu'un billet par coupe, j'aurai un blog non pas de coiffeur, mais de coiffé.

Vous noterez la date précédente : 6 juin de l'an dernier. Vous imaginez après 9 mois, le résultat de cette gestation sur ma tête. Cela me ramenait peu à peu à l'adolescence, avant-hier, quand chevelu à l'extrême, on me proposait tout le temps de la drogue. Là, un inconnu a commencé à me proposer un Doliprane. Signe qu'il était temps de passer à l'action.

Je me suis installé dans le salon, le cou dans un lavabo. Il y avait une cliente qui parlait avec conviction de sa coupe à venir. Je suis toujours surpris, car les gens très friands de coiffeurs finissent par avoir les cheveux très courts, à force d'y aller. Quel intérêt ? Je me suis également perdu dans cette étrange réflexion : le patron étant chauve, que penser de sa légitimité à coiffer les gens ? Ensuite j'ai enchainé sur la vision d'un tailleur dans un village nudiste, vendant des costumes tout nu, mais je n'en dirai pas plus.

Tout le personnel parlait italien. Une grande joie m'envahit à cette découverte : premièrement, dans cette atmosphère, bercé par la sonorité fantasque de cette langue, où l'accent tonique est placé un peu n'importe où, et où la langueur de la postonique vous donne la vague impression d'être un pasteur islandais, j'imaginais déjà un genre de rital power me gagner, me gonfler, je me voyais sortir du salon avec à mes trousses d'innombrables Anita Ekberg trempées, surgissant des fontaines Wallace à mon passage.

Deuxièmement, ours coincé et taiseux, je m'étais dit que, personne ne parlant ma langue, je n'aurais pas à raconter ma vie pour meubler. Ce piteux discours, je préfère le réserver à mes lecteurs de blog, les pauvres, quand il ne subsiste plus le moindre espoir de me divertir honnêtement. Je pouvais donc regarder mes cernes de lapin myxomatosé dans le néon criard à loisir, tandis que les coiffeuses échangeaient sur Dalida qui avait repris parolé parolé en français. J'étais persuadé que c'était le contraire, qu'elle avait adapté cette chanson en diverses langues. Pas grave, je n'objectai rien, j'étais juste l'objet muet sous le cliquetis sec des doigts agiles.

La coiffeuse commença par me dire, une fois engoncé face au miroir gigantesque : "je vous écoute". Je n'aime pas ce moment, parce que je ne sais pas quoi dire, chaque année. En général je dis "plus court", et je pense aussitôt : "va dire plus long, espèce d'andouille". Alors je dis : "plus court, mais pas trop court non plus". Huit mots qui font de moi un client honnête avec une opinion honnête de pourquoi il est là. Avant, je disais : "Pas les cheveux en brosse, surtout." Avec un peu trop de conviction, peut-être ai-je dit une fois : "Pas comme ces salauds de fascistes mussoliniens !", mais vu le passé douloureux de ce pays, je n'ai pas voulu froisser la coiffeuse. Alors j'ai failli dire pour ne pas la heurter: "Plus court, pas en brosse, sauf votre respect et sans faire d'amalgame avec le passé des italiens, pas forcément tous fascistes à vrai dire."

Mais en vérité, pour me faire comprendre, j'ai simplement ajouté ce mot, qui coute un peu au début, mais de moins en moins tandis que l'on se rapproche de la mort et de la putréfaction : "court, en fait, une coupe classique". Immédiatement, j'ai vu un jardin à la française sur mon crâne, des violonistes en livrée dans une partie fine avec des experts-comptables. Finie, trahie, reniée, la frénésie sexuelle d'un Robert Plant torse nu sur scène avec son jean moule bite, fini, jouer de la basse avec mes dents avant de les ramasser par terre, mes dents (les cordes sont grosses, c'est ballot). Le mot était lâché, et je n'ajoutai plus rien, me transformant en buisson symétrique selon mes propres consignes.

A la fin, elle sortit un miroir pour la nuque : il y avait moi sous tous les angles. "Qu'en pensez-vous ?" me fit elle. Eh bien, ne sachant que dire, et pour honorer son travail sur mon ciboulot de gendre idéalisé, je fis cette brève et présomptueuse réponse : "C'est très bien !"

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...