vendredi 30 avril 2010

Se faire du souci

Avant, j'avais une autre façon de m'en faire, quelque chose d’un peu creux, d’un peu grandiloquent ; comment nommer ceci ? De l’angoisse acnéique ? De la névrose égotique, du doute satisfait ? J'ai toujours bien aimé convoquer l’infiniment grand, l’infiniment petit, Dieu et la mort, la littérature, l’art et l’oubli, le cosmos et les martiens, toute une scène de sentiments énormes, et me complaire dans ma petitesse narcissique, les bras écartés, comme le romantique face aux éléments déchainés.

C’est plaisant, finalement.

Maintenant, j’ai attrapé quelque chose de nouveau ; se faire du souci. Se faire du souci, pour des proches, leur santé, leur sort. C’est quelque chose de tout à fait nul. De petitloquent.

Voir le médecin froncer des sourcils avec son masque de science, et nous, notre sac d’ignorance sur la tête. L’entendre doctement dire qu’il ne sait rien, mais que ne sachant rien, on va en savoir plus en faisant des examens. Programmer des prises de sang. Evoquer négligemment une radio. Attendre le jour d’y aller.

Attendre. Regarder un endroit du plafond où ça avance plus vite. Y aller, accompagner l'autre, et attendre encore le résultat. Attendre. Se dire que lorsqu’on aura attendu, les chances seront faibles de trouver, dans une enveloppe, la vérité sur le sens de la vie, avec le mode d’emploi du monde. Lire des chiffres incompréhensibles. Ne pas savoir comment interpréter des termes comme négatif ou positif, se demander si c’est positif ou négatif, en fin de compte. Attendre leur interprétation par un autre fronceur de sourcils. S’entendre dire que, n’étant sûr de rien, on va encore faire des examens, et attendre.

Attendre. Voir le médecin froncer son être tout entier par réflexe, et dire de sa voix caverneuse d’outre-tombe de spectre à l’haleine formolé : tout va bien. Ne vous inquiétez pas. Normalement, il n’y a pas de souci à se faire. Toutefois, pour être sûr, nous allons faire des examens complémentaires, et...

Comment ça, toutefois ? On ne sait pas trop quel endroit gratter en attendant. Etre un gros ongle, un ongle intégral, et se ronger tout entier. Aller sur internet, pour en savoir plus, et en savoir moins ; ne retenir que le superflu. Un cheveu qui pousse, oui, c’est certainement un signe de tumeur. La langue humide, le nombril creux, l’urine jaunâtre, les selles malodorantes, le doigt mobile, en général ce n’est rien, mais souvent c’est très mauvais signe, et il ne faut pas s’inquiéter, mais consulter. En attendant, se dire qu’on n’a pas trop envie de carper le moindre diem.

Se dire que le moment venu, quand tout ira officiellement bien, que l’on aura proclamé solennellement l’effondrement de toute inquiétude, il y aura quelque chose de terrible, boire une bière fraiche l’été, respirer l’air joyeux, mâcher des mouches, avoir du temps, du vrai, sans attente, convoquer l'univers et les atomes, les dinosaures, les vampires, le passé, et l'oubli, sa joyeuse finitude, dépenser sur le champ le temps gagné.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...