Dans le métro il y a parfois des fous qui parlent tout seul. La probabilité d'en rencontrer un n'est pas négligeable, au sein des grandes villes. La probabilité d'en croiser deux dans le même wagon semble beaucoup plus faible ; et bien cela m'est arrivé aujourd'hui. A deux stations d'écart, deux fous qui parlent tout seul sont entrés pour s'accrocher chacun à une barre, devant moi. C'était un peu rare, ce phénomène, comme une conjonction d'astres, sauf que c'était une conjonction de fous. Ils se sont mis à parler tout seul, mais côte à côte. J'écarquillai les yeux, témoin de cet accident harmonieux. Ils avaient l'air soudain d'entretenir une conversation, certes indéniablement décousue pour l'expert en conversations cohérentes, mais qui offrait l'illusion d'un dialogue normal. Les nouveaux venus d’ailleurs se collèrent à eux, en toute confiance, sans laisser ce léger cordon de vide dans les rames pourtant bondées, cet espace du malaise signalant les inquiétants et les imprévisibles. Quand ils se sont séparés, les voyant toujours parler tout en s'éloignant l'un de l'autre, je me suis dit que leur conversation subissait une sorte de fission ; leur dialogue s'est tendu durant l'éloignement, tendu, encore tendu, un élastique de dialogue, s'étirant sur des distances inimaginables, des distances sidérales, sans savoir en fin de compte si le lien avait cédé ou pas. Durant ce moment curieux, ce fut comme si leurs folies s'étaient annulées, en s’emboîtant l'une dans l'autre tel l'arrimage agréable de deux stations spatiales dans le froid absolu du vide, ou les charges contraires des particules, si nocives isolées, mais qui, se combinant, forment notre matière.
Avenue de Wagram, devant un hôtel trois ou quatre étoiles, quelques barrières ont été installées de part et d'autre pour que s'accumulent des jeunes filles en fleur et en short. Elles semblent attendre depuis un moment, immobiles et compactes, et ce regroupement, provoqué manifestement par une prochaine épiphanie de vedette, emplit ce fragment d'avenue du bruissement électrique de la Célébrité. Des touristes et passants intrigués s'arrêtent pour scruter les jeunes filles qui scrutent l'entrée de l'hôtel, et moi je scrute à mon tour les passants curieux. Cela aurait été un triangle parfait de scrutement si les jeunes filles m'avaient regardé moi, mais en vérité je suis informaticien.
Chacun y trouve son compte, dans ce grand drame de l'attente ; par exemple moi-même, n'y comprenant rien, j'observe la scène tel un contempteur bien au dessus de tout ça. Si ces jeunes filles ont décidé d'être une foule dense à raison de huit par mètre carré, com…
Chacun y trouve son compte, dans ce grand drame de l'attente ; par exemple moi-même, n'y comprenant rien, j'observe la scène tel un contempteur bien au dessus de tout ça. Si ces jeunes filles ont décidé d'être une foule dense à raison de huit par mètre carré, com…
Et ils ont echange leurs monologues ?
RépondreSupprimerAh, bonne question.
SupprimerAh, bonne question.
SupprimerTrès drôle et très frais ce billet! Les fous!
RépondreSupprimerFinalement c'était peut être bien la base d'un Dialogue
RépondreSupprimerEst-ce que quand la distance a été assez grande, les gens qui s'étaient agglutinés sans méfiance ont eu un mouvement de recul avec le pauvre fou resté dans la rame ?
RépondreSupprimerCes gens qui parlent tout seuls dans le bus...
RépondreSupprimerC'est terrible, mais depuis que j'ai commencé à bloguer, je me dis à chaque fois que j'en vois un : "regarde, ma p'tite, tu es comme ça".
(c'était le commentaire originel. Dernier essai avant désintégration totale. Qu'on détruise mon blog et tous ses billets dans les huit jours.)
U DID IT ! :)
Supprimerje suis si fier !
SupprimerBeau billet de rentree, surtout après une longue année d'absence ici !
RépondreSupprimerPendant ce temps, on monoblogue.
RépondreSupprimer"Pendant ce temps, on monoblogue."
RépondreSupprimerJoli !
J'aime vraiment beaucoup cette allégorie sur le mariage et la vie de couple !
RépondreSupprimerJe dis : lol.
SupprimerMais en fait, une vraie allégorie serait quelqu'un qui parle tout seul, et un muet.
tu viens de t'inscrire sur twitter, c'est ça?
RépondreSupprimerJ'ai pas vraiment fait exprès de faire ce rapprochement, mais j'y ai tout de même pensé un petit peu.
SupprimerEt t'as _vraiment_ pas vu les caméras cachées ?
RépondreSupprimerTu as l'esprit mal placé, comme tous les gens du nord.
SupprimerEn fait, moi, très souvent, je parle tout seul et je le fais tellement vite, qu'on a l'impression que je suis au moins deux. C'est un trait de caractère car les femmes qui font l'amour avec moi ont aussi cette impression là.
RépondreSupprimer"Ma vigueur sexuelle est telle que les femmes pensent souvent que je suis deux."
SupprimerJe vais chercher dans les textes saints des informations sur la légalité de cette assertion.
Mais moi, je parle tout seul aussi... !
RépondreSupprimerCertains monologueurs utilisent un iphone pour monologuer, des simulateurs, certainement
RépondreSupprimerOn joli résumé des "monologues du wagon" (je n'ai pas pu m’empêcher)
RépondreSupprimerC'est un joli texte, aussi bien dans le récit que dans la prise de recul. Quand je lis cela, je me dis que je devrais souvent parler tout seul, pour me faire des éphémères compagnons de détresse. Il est vrai que, seul sur mon scooter, ce n'est pas gagné...
RépondreSupprimerMerci Georges, votre apparition me fait bien plaisir, car figurez vous que moi aussi je continue de vous lire !
SupprimerJe ne suis pas trop fan quant au fait d'appeler les malades psychiatriques des fous mais ce texte m'a plu.
RépondreSupprimerC'est fun.
Sympa cette histoire et comme toujours c'est bien raconté!
RépondreSupprimerà bientôt
Non content d'avoir retrouvé votre blog dont j'avais oublié l'existence depuis des années et dont je pensais qu'il était à l'arrêt, je découvre que nous avons des histoires de double-fou en commun : https://unoeil.wordpress.com/2010/07/05/etre-plus-fou-que-le-fou/
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