Célébrons les deux ans de mon blog avec moi. Lorsque j'ai démarré ceci, c'était dans l'idée de faire une sorte de forum. Une sorte de forum où un inconnu ne viendrait pas effacer ma tirade sur les rillettes nucléaires un mois après, jugeant qu'il fallait nettoyer, trier, archiver, compacter, les conversations. Une sorte de forum-jouet dont je serais maitre de tous les boutons. Brouillon. Publier. Supprimer.
Les rillettes nucléaires.
Dans les forums, il y a des messages inconséquents, sur la choucroute et le Parlement Européen, il y a des débats où l'on s'emporte, qui ne servent à rien, où personne n'est d'accord, où l'on fait valoir son expérience en choucrouterie et ses diplômes en parlement européen ; où quelqu'un part, alors, pour toujours avant de revenir à jamais, et claque la porte, en partant, et puis en revenant aussi.
Où le contradicteur traite l'autre de nazi, où le type de passage dit ironiquement que tous, autant qu'ils sont, sont bien vains de perdre leur temps dans de tels échanges et s'en va rejoindre, tel un prince, la vraie vie qui n'est pas vaine, elle, avant de revenir sur ses pas constamment, continuellement, inconfortablement de passage.
Il y a ceux qui disent que c'était mieux avant, s'en vont sans claquer la porte, et réapparaissent pour faire des clubs d'anciens. Il y a les nouveaux qui trouvent les anciens hautains et vitupèrent contre ces cercles fermés, fustigent les élites et les puissants et leur soif de pouvoir, avant d'entrer dans le cercle et d'égrener des anecdotes de vétérans, le commentaire entendu. Ceux qui sont dedans, ceux qui sont dehors. J'aimais bien les forums.
Ce que j'aimais bien, dans les forums, aussi, c'est qu'au fond, ils n'appartiennent à personne. Il y a, bien sûr, les modérateurs, qui modèrent, qui organisent, tempèrent, ou sanctionnent, ceux qui menacent et prennent des mesures de rétorsion. Il y a les modérés, qui coopèrent, ou qui se rebellent, les modérés oppressés, qui luttent et brisent leurs chaines incessamment, les modérés outragés, oui mais les modérés libérés. Partent en claquant la porte. Puis reviennent du vide, où il fait peur, et deviennent modérateurs à leur tour. Les modérateurs et les modérés, main dans la main ; mais au fond, le forum n'appartient à personne.
J'avais envie d'en avoir un, mais concrètement j'étais paralysé par le ridicule du forum où l'on est tout seul. C'est ainsi. Comme dans la station balnéaire glaciale, en décembre, où un DJ emmitouflé lance dans la salle béante du Macumba Night : alors ça va ? C'est déprimant.
Le blog appartient à quelqu'un : vous. Vous vous dites : je suis seul, et ils sont tous.
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J'avais envie d'avoir un forum, parce que je n'ai rien à dire de particulier. Un forum vous sied comme une pantoufle pour ce genre d'existence. Un blog est déjà plus chaussure neuve, dans l'esprit. Déjà plus l'attitude réveillon : vous dites, me voilà, et maintenant. Vous existez comme pour marquer le coup.
Je n'ai rien à dire de particulier. Parce que j'aime surtout le bruit de la conversation. Le bruit des autres, de moi. Ce flot de syntaxe qui ronronne comme un boulevard périphérique, bruyant, lumineux, épuisant, lancinant, hypnotisant.
Le blog, cette sorte de plein de vide, vide-grenier verbal, est en fait un genre de liquide qui ne fait qu'épouser la forme du contenant, il est si fidèle à l'état des choses : un bruissement. Je ne comprends pas pourquoi tout le monde est en colère contre cette contingence. Contre cette superficialité. Contre ce puzzle d'égos. Contre ce langage, primitivement là, qui se branche fiévreusement, qui s'emballe. Comme s'il y avait autre chose ! Je me sens en l'aise dans ce simulacre haute fidélité du rien total, ce simulacre du simulacre. D'où d'ailleurs l'amusante ambition panique que l'on sent frémir parfois, ici ou là, en réaction, ce désir de notabilité, de respectabilité, d'expertise.
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Le blog, en ce moment, m'agace surtout, me plait pas mal, aussi. En tout cas, il est toujours aussi fascinant. Fatiguant à force d'être fascinant, comme une grosse bestiole tapie quelque part, dont je serais le Frankenstein. Personne ne me demande rien, cette bestiole est là, c'est comme si Caïn avait fabriqué son Oeil, il ne se sent pas de l'écraser du pied, comme ça. Je prends le petit coffret où je l'ai rangé, je l'ouvre, et évidemment, il est là, l'Oeil, c'est son travail de l'ouvrir, de me regarder. Il me teste.
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Comme tout le monde, les raisons de le faire sont multiples. Elles coïncident ou se succèdent, elles se combinent. Elles évoluent, aussi. Envie de s'amuser. Envie d'être aimé (insister, qu'en s'exposant ainsi, l'on se moque du regard des autres). Envie de se distinguer, de choquer, de provoquer ; le grand corps mou de l'univers, frigide ; la grande copulation incontrôlable. Le formidable réflexe libidineux d'introduire, d'engendrer, de croitre. Plaire. Déplaire. Beaucoup nier, en bloc. Faire semblant que tout vient tout seul.
En ce moment, honnêtement, j'ai quitté l'atmosphère, je suis content avec mon blog, je suis en orbite, je tombe dans le vide comme un corps absolument céleste. Je ne suis pas toujours visible à l'oeil nu. Je suis dans la masse cachée du cosmos. Je peux écrire tout ce qui me passe par la tête, comme là, n'importe quoi, je suis la vache qui me regarde passer avec stupéfaction. En fait je n'attends plus rien du tout, du blog : ça semble triste comme phrase, c'est ce que disent les gens désespérés, mais c'est ce que disent également ceux qui sont comblés.
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Je n'aime pas l'authenticité, c'est dégoutant. Se livrer, se raconter, en toute sincérité, en toute franchise, chasser le naturel pour accrocher sa grosse tête taxidermée au dessus du lit. Chasser le style pour trouver le véritable, le simple, le pur, le brut, le primitif, le primordial ; au secours, pitié.
Il n'y a rien de moi dans ce blog, rien de vrai, rien d'authentique, rien de sincère, rien de profond, il n'y a que la joie de l'artefact, le culte du masque, l'angoisse amoureuse du superflu, la terreur fascinée du vide, de la construction, du Lego, du Mecano ; en définitive, me nichant exactement dans ce mensonge aimé, il y a pour ainsi dire tout de vrai.
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