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lundi 17 mai 2010

Décalcomanie

Dix phrases pour exprimer mon état de délabrement en ce lundi matin :
  • J'ai plus de souvenirs que si j'habitais Milan.
  • Je suis dans une forme paralympique.
  • Après le temps des cerises, le temps des noyaux.
  • J'ai la pêche, mais surtout la marmelade de pêche.
  • J'ai la tête dans le musée d'art moderne du cul.
  • Après Juliette Récamier, Roméo Rétamé.
  • J'ai été rédigé à l'encre des débiles.
  • J'ai une figure de naze synchronisé.
  • J'accuse grave le coup, façon Zola.
  • Monsieur et Madame Delon ont un fils : Serge Lama. Parce que Serge Lama-Delon.

vendredi 23 avril 2010

La dorade aux mille bouches

J'existe.

Je rentre dans la banque pour déposer un chèque. La banque est encore fermée, mais les machines sont ouvertes. Je dépose le chèque dans la machine ouverte. Derrière la grille blanche, on devine des gens qui s'activent avec des formulaires. Ils s'engueulent à cause de formulaires pas remplis.

Cela me parait incongru, cette scène de bureau, pourtant c'est tellement normal. C'est sans doute le rideau de fer qui sépare l'ouvert du fermé, qui semble placer ces employés dans une situation particulière, faire de nous des observateurs, et eux des observatés. Me vient ensuite une méditation intérieure qui dure vingt secondes, comparable à la question de l'oeuf et de la poule. Est-ce que, du fait que tout soit incongru, tout nous parait normal à force, ou bien, au contraire, tout étant normal, tout nous semble étrange quand on prend un peu de recul. Puis je dépose le chèque et je disparai. Dans le métro une adolescente dit, inspirée : "mais s'est koi au font la normaliter ?"



Dans le métro, des gens s'engueulent aussi, mais non à cause des formulaires pas remplis, au contraire, à cause du wagon bien rempli. Ils s'engueulent à cause d'eux mêmes, en fait. Voilà, tout le monde s'est "rempli", et ceci est douloureux pour les pieds. Les braillards, des gens très bien au fond, sans doute, cherchent du regard des regards approbateurs, car après tout, tout le monde a raison. Je n'aime pas ça, j'ai l'impression qu'on me viole la conscience, quand on cherche mon regard approbateur, et ça me pique au niveau de l'esprit. La tête contre la barre en fer, ils machouillent : "ceux qui veulent pas prendre les transports h'en commun zon qu'à prendre le taxi hein".



Dimanche dernier, nous sommes montés avec Kéké dans la cabine du conducteur du métro. C'était très silencieux, un calme étonnant. De cette pénombre, on voyait des paquets de gens, par grappes ; le train les vendangeait. Ils ont beau brailler, derrière le pare-brise, on ne voit que le O de leur bouche, on n'entend pas grand chose, on ne déchiffre rien, et c'est tant mieux. C'est la paix. Le O inaudible sur leur visage est conservé à l'état de hiéroglyphe, on se félicite de ne pas profaner leurs mystères. Parfois le mouvement meurt sur un couple qui s'embrasse, ou bien sur un type en costard, un jeune avec des pantalons slims, un ponque, de parfaits inconnus, des qui existent aussi parmi leur normale incongruité. Le recul, le retrait, le fait d'être dans ce bocal rend toutes ces silhouettes banales soudainement romanesques.



Le métro pris était pour voir le grand aquarium à la Porte-Dorée. C'était bien. Les poissons semblent dans leur cabine à eux, ils s'approchent de la vitre, nous regardent : mais c'est une charmante illusion. Des enfants se réjouissent de cette rencontre, les parents, soudain démangés par un prurit métaphysique, font la réflexion que c'est nous, au fond, qui sommes dans des bocaux à être regardés par des poissons. En fait, les parois des aquariums sont des glaces sans teint. Les poissons se regardent eux-mêmes, ils se découvrent et s'oublient aussitôt, ils ignorent l'agitation des nez collés contre la vitre.



Plus tard, j'ai demandé à kéké de se raconter lui-même une histoire pour s'endormir, ça me changerait un peu. Alors il a improvisé quelque chose de très étonnant : l'histoire de la dorade à mille bouches. Pour être honnête, le titre complet est : l'histoire de la dorade à mille bouches qui vomit partout. Je crois que c'était très spectaculaire comme histoire. Enfin, pour sortir ces notes accumulées depuis quelques semaines, ça fait quand même un titre valable.

mercredi 3 mars 2010

La coupe

J'étais chez le coiffeur, ce midi. Je me suis dit : je vais en faire un billet. Et là, je me suis rendu compte que ma dernière visite chez le coupe-tif s'était également soldée par un billet. Tout d'un coup une architecture gigantesque se dessine, ce support est ponctué par des coupes de cheveux. Dans dix ans, je ne ferai qu'un billet par coupe, j'aurai un blog non pas de coiffeur, mais de coiffé.

Vous noterez la date précédente : 6 juin de l'an dernier. Vous imaginez après 9 mois, le résultat de cette gestation sur ma tête. Cela me ramenait peu à peu à l'adolescence, avant-hier, quand chevelu à l'extrême, on me proposait tout le temps de la drogue. Là, un inconnu a commencé à me proposer un Doliprane. Signe qu'il était temps de passer à l'action.

Je me suis installé dans le salon, le cou dans un lavabo. Il y avait une cliente qui parlait avec conviction de sa coupe à venir. Je suis toujours surpris, car les gens très friands de coiffeurs finissent par avoir les cheveux très courts, à force d'y aller. Quel intérêt ? Je me suis également perdu dans cette étrange réflexion : le patron étant chauve, que penser de sa légitimité à coiffer les gens ? Ensuite j'ai enchainé sur la vision d'un tailleur dans un village nudiste, vendant des costumes tout nu, mais je n'en dirai pas plus.

Tout le personnel parlait italien. Une grande joie m'envahit à cette découverte : premièrement, dans cette atmosphère, bercé par la sonorité fantasque de cette langue, où l'accent tonique est placé un peu n'importe où, et où la langueur de la postonique vous donne la vague impression d'être un pasteur islandais, j'imaginais déjà un genre de rital power me gagner, me gonfler, je me voyais sortir du salon avec à mes trousses d'innombrables Anita Ekberg trempées, surgissant des fontaines Wallace à mon passage.

Deuxièmement, ours coincé et taiseux, je m'étais dit que, personne ne parlant ma langue, je n'aurais pas à raconter ma vie pour meubler. Ce piteux discours, je préfère le réserver à mes lecteurs de blog, les pauvres, quand il ne subsiste plus le moindre espoir de me divertir honnêtement. Je pouvais donc regarder mes cernes de lapin myxomatosé dans le néon criard à loisir, tandis que les coiffeuses échangeaient sur Dalida qui avait repris parolé parolé en français. J'étais persuadé que c'était le contraire, qu'elle avait adapté cette chanson en diverses langues. Pas grave, je n'objectai rien, j'étais juste l'objet muet sous le cliquetis sec des doigts agiles.

La coiffeuse commença par me dire, une fois engoncé face au miroir gigantesque : "je vous écoute". Je n'aime pas ce moment, parce que je ne sais pas quoi dire, chaque année. En général je dis "plus court", et je pense aussitôt : "va dire plus long, espèce d'andouille". Alors je dis : "plus court, mais pas trop court non plus". Huit mots qui font de moi un client honnête avec une opinion honnête de pourquoi il est là. Avant, je disais : "Pas les cheveux en brosse, surtout." Avec un peu trop de conviction, peut-être ai-je dit une fois : "Pas comme ces salauds de fascistes mussoliniens !", mais vu le passé douloureux de ce pays, je n'ai pas voulu froisser la coiffeuse. Alors j'ai failli dire pour ne pas la heurter: "Plus court, pas en brosse, sauf votre respect et sans faire d'amalgame avec le passé des italiens, pas forcément tous fascistes à vrai dire."

Mais en vérité, pour me faire comprendre, j'ai simplement ajouté ce mot, qui coute un peu au début, mais de moins en moins tandis que l'on se rapproche de la mort et de la putréfaction : "court, en fait, une coupe classique". Immédiatement, j'ai vu un jardin à la française sur mon crâne, des violonistes en livrée dans une partie fine avec des experts-comptables. Finie, trahie, reniée, la frénésie sexuelle d'un Robert Plant torse nu sur scène avec son jean moule bite, fini, jouer de la basse avec mes dents avant de les ramasser par terre, mes dents (les cordes sont grosses, c'est ballot). Le mot était lâché, et je n'ajoutai plus rien, me transformant en buisson symétrique selon mes propres consignes.

A la fin, elle sortit un miroir pour la nuque : il y avait moi sous tous les angles. "Qu'en pensez-vous ?" me fit elle. Eh bien, ne sachant que dire, et pour honorer son travail sur mon ciboulot de gendre idéalisé, je fis cette brève et présomptueuse réponse : "C'est très bien !"

mercredi 17 février 2010

Vétérinaire pour les poissons



Nous sommes avachis avec Kéké sur le canapé, nous parlons de poissons. C'est le grand sujet du moment. Aux voitures de courses, Ferrari, Porsche et autres Renault Twingo ont succédé les créatures des océans ; requins blancs, globicéphales, bélugas, dauphins vrilleurs. Il me confie qu'il veut être vétérinaire pour les poissons, plus tard. Et pour les chiens ? Non juste les poissons. Et si on t'apporte un adorable petit toutou mignon blessé et qui gémit avec ses grands yeux plein de supplications, tu le soignerais quand même bien sûr ? Non, juste les poissons. Il est catégorique.

(J'ai la vision funeste d'un cabinet vétérinaire au bord de mer, dans un phare, avec mon fils ombrageux en train de dire : "Non, je fais pas dans les chiens. On n'a qu'à le piquer, madame, votre bête, là. C'est marqué sur la pancarte. Je fais juste les poissons. Les poissons !")

Évoquant les vertus du vétérinaire guérisseur de sardines, une inspiration métaphysique s'empare de lui. Il me demande : s'il s'occupe des poissons, qui de son côté soigne le vétérinaire quand il est malade ? Je réponds, rassurant : mais mon enfant, il y a les docteurs, pour soigner les vétérinaires !

Et le sujet semble clos. Mais non. C'est sans compter sur la puissance intellectuelle qui habite mon enfant-mais-où-va-t-il-donc-chercher-tout-ça-toute-cette-intelligence-peut-être-dans-ses-gènes-du-côté-de-son-père-allez-savoir. Ma réponse le trouble encore. Après un temps de réflexion, il poursuit : mais dans ce cas, si les docteurs soignent les vétérinaires, qui soigne les docteurs quand ils sont malades ? Moi aussi, je produis du silence. C'est une sacré bonne question en fait. Vu sous cette angle, je m'en gratouille la barbiche. Je réponds, au hasard : d'autres docteurs. Les docteurs se soignent entre eux, en fait. Ils se débrouillent. Ils font leur sauce. Entre eux.

Le médecin prend son téléphone, il tutoie un confrère. Ils plaisantent à propos de médicaments. Peut-être que, se faisant examiner, le docteur malade n'a pas à se sentir comme un petit garçon en slip, fautif de son ignorance. Dans ce cas, le docteur soignant peut lui en imposer tout de même, en donnant une explication sur un sujet incompréhensible ("la larve du gastéropode est pourvue d'une petite coquille spirale operculée et d'un voile cilié... il me semble..."). Soit, ému de se sentir égal face à un égal, il peut lui confier quelque chose, qu'il aurait voulu être un artiste, par exemple.)

Je crois que Kéké vient de pointer une faille organisationnelle assez préoccupante dans l'univers du monde. A un moment, l'escalade des responsabilités s'élève jusqu'au flou le plus total. Si, tout en bas, les poissons glissent dans les obscures profondeurs, l'oeil rond, dans leur paix froide et opaque, tout en haut, les dieux sont seuls avec eux-même, dieux pour d'autres dieux, tuteurs intérimaires, instigateurs en roue libre, chefs-orphelins désemparés, et il y a sur leur front beaucoup d'inquiétudes.

Puis la conversation se poursuit, en vrac, ce doute est momentanément mis de côté, sans réelle conclusion ; du coup, trouver une chute à cette histoire n'est pas vraiment une sinécure.

jeudi 4 juin 2009

Bouquet dégarni

La coiffeuse me ratiboise. Je me regarde, elle y met du sien, j’essaye de me trouver beau, pour lui faire plaisir.

A côté, un type très propre, très sympathique, déclare qu’il a cessé de travailler jusqu’à trois heures du matin, parce que ça ne servait à rien. Il a des chaussures en cuir très classe. Il raconte l'enterrement de vie de garçon d’un ami. Il dit que c’était très bien, très correct, peut-être qu’ils se sont murgés proprement. Il raconte aussi que le futur marié était déguisé en je sais plus quoi, avec des habits roses. Ça devait être super marrant, j’imagine.

Je suis en face de moi, un miroir considérable. Je suis mon propre éléphant dans le couloir, impossible de me rater. Un souvenir me revient, enfant chez le coiffeur : je me dévisageais en pensant que c’était étrange d’être soi même, d’être borné par soi même, comme un enclos. Un tout petit territoire humain, avec des haies, on y broute dedans, on n’en sort jamais.

Il parait, dis-je avant de partir, que je me dégarnis, au sommet du crâne. Elle fait la moue et dit : oui, ça commence. Un conseil : un léger massage tous les jours, sur le cuir chevelu. Comme ça. Là. Je pense alors : on est pas obligé de dire la vérité, non plus.

mercredi 3 juin 2009

Bazar

Au Jardin d’Acclimatation, un orchestre joue la musique de la Soupe aux Choux, façon big band de Charles Mingus. Ils sont en short. En guise d’uniforme, ils portent un ou deux vêtements orange ; une écharpe, un slip, des chaussettes, un mouchoir qui dépasse, ça crée un lien mou entre eux. A un moment, ils font un pont musical : le fameux glouloulouglouloubloulouloulouloullou de la Denrée, avec la main qui dégouline de la bouche. Les enfants les prennent pour des tarés, c’est qu’ils n’ont pas vu la Soupe aux Choux, eux.

Parfois, les musiciens font des fausses notes, des couacs, des pains ; une vraie boulangerie. Mais ils s’en tamponnent royalement. C'est une boulangerie cool. Le chef fait un signe, et tout le monde commence à improviser, en même temps ; ils quittent les rangs, leur pupitre, s’en vont marcher au hasard. Ils cheminent parmi les gens, approchent le cornet des poussettes, stupéfient les bébés, leurs yeux de bille exorbités. Les voilà bien épars, carrément en balade, saxophone, picolo, trombone, clairon. L'orchestre s’est disloqué. Il ne reste qu’une section rythmique, toute nue, ruinée, qui fait la permanence dans la pelouse déserte. Les enfants suivent certains souffleurs, ceux qui font des gros pouets pouets. Ils sautillent, charmés, comme les petits habitants de Hamelin.

Sonne le rassemblement des musiciens égayés dans la verdure, une fontaine glauque ou un château de miroirs déformants. Le chef compte à rebours les mesures, avec ses doigts, quatre, les voilà réunis, trois, on se gratte l'entrejambe une dernière fois, deux, on baye, un, on regarde la partition qui est à l'envers, en fait, zéro on expose une dernière fois le thème. Les voir exister me remplit d’aise. Jouer dans un orchestre, en sandale, l’été, juste avant l’apéro, c'est vraiment une très bonne place.

mardi 2 juin 2009

Square

Une toute petite fille d’environ soixante-dix centimètres de haut. Un gros ballon. La petite fille veut donner un coup de pied dans le ballon. Elle titube, rate, ce n’est pas le ballon qui décolle, mais elle-même. Elle s’est bien viandée, stupéfaite, elle agite ses membres en l’air comme un petit scarabée.

Elle recommence à plusieurs reprises. A chaque fois, le ballon reste immobile, impérial, indéboulonnable. La petite fille, elle, se vautre différemment, se croûte, s’étale dans tous les sens. Des dames assises sur le banc rigolent bien, on échange des regards, complices, hilares. On l’encourage à recommencer souvent.

Une maman vient alors à la rescousse de la petite créature. Elle la retire de ce plaisant croutodrôme et va ranger la poussiéreuse dans sa nacelle. Un murmure de déception parcourt l’assemblée.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...