lundi 5 janvier 2009

Le collier d'ambre

Tout d'un coup, dimanche soir, kéké me dit : « Je veux enlever mon collier ». C'est son collier d'ambre, il le porte depuis l'âge de – combien ? – trois mois. Autant dire depuis toujours, un tout petit toujours, certes, mais quand même. Sur toutes les photographies, on le voit ; des perles en plastique, pardon, en ambre, se succèdent, ocre, marron, ocre, jaune. Dans son bain, dans le square, les anniversaires, etc. C'est sensé apaiser les dents quand elles poussent, c'est surtout son collier, c'est tout.

Surpris, je lui demande pourquoi il veut retirer son collier : il marmonne quelque chose, je ne comprends pas. J'essaye de faire mon psychologue, comme dans les téléfilms de France 3, du genre, tu veux me faire un dessin pour expliquer pourquoi ? Regarde, le bonhomme-doigt a un collier, soudain il veut l'enlever, d'après toi, pourquoi ?

Mais rien, c'est le silence, un silence bougon. « Je veux enlever mon collier », juste. Ah, pour m'expliquer comment je dois faire le bonhomme-doigt, il est bavard, oui, mais pour les choses importantes (« la nounou te met-elle des baffes ? », « Maman voit-elle des messieurs l'après midi ? »), il n'y a plus personne.

Alors je m'exécute, sans rien demander de plus. Je cherche dans ses cheveux – comment cela s'appelle ? – l'interrupteur du collier. Les jours passent, par milliards, dans l'indifférence, dans la toundra des sentiments, l'électro-encéphalogramme de l'existence est plat, mais là, j'ai un petit pic de vie, au niveau du ventricule gauche. Je sais que c'est ridicule, mais dans ma situation, ma localisation, celle au ras des choses, je préfère être un peu triste ; comme dans un belvédère, je profite de la vue. Je pense à Trotski qui disait à propos du cadavre de Lénine, allongé sous sa cloche de verre comme un fromage : nous n'avons pas besoin d'idole ; et pourtant ! Kéké penche sa tête en avant, et je dévisse le collier d'ambre.

Le collier vient ruisseler dans ma paume, avec un petit bruit de bijou en toc. Je me suggère de le garder dans la poche, en permanence. Eventuellement, il ira rejoindre une boite, comme des dents de lait à venir. J'observe. Attentif. J'erre, bactérie sentimentale, dans la minuscule paroi des choses qui se déroulent, visibles seulement au super microscope, dans l'infinitésimal ; peut-être qu'en me penchant un peu, en collant l'œil par terre, je peux apercevoir un atome du temps qui passe, un fragment de l'entropie qui gouverne notre monde. Dans ma main, l'objet est encore tout chaud de sa transformation. Avant, il était dans le quotidien, tellement présent qu'il en était invisible, maintenant, c'est simplement un objet du passé. Une relique de l'enfance, un joli souvenir. C'est une alchimie, je sens la marmite mondiale bouillir pour la transmutation de nos instruments à vivre, derrière une quelconque cloison, je suis captivé par cette magie, magie triste, le collier d'ambre dans la main. Grand œuvre des hommes, panacée mélancolique.

Puis le lendemain, je me raisonne : le collier lui grattait le cou, sûrement. Ce soir, je lui proposerai de le remettre.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...