mardi 17 mars 2009

Le Coeur léger et le bagage mince

Soudain, dans ce couloir sombre, avec tout au bout la Machine à Café, énigmatique, je sens un très léger sentiment d’allégresse. Je dis énigmatique, pour la Machine à Café, car on ne sait jamais si elle va distribuer un gobelet, ou tomber en panne et laisser couler la boisson commandée dans le néant. Cette sorte d’incertitude l’entoure d’un halo de mystère, on ne sait guère ce que le destin va nous réserver, si l’on va ressortir bredouille et la tête baissée. Ainsi, elle se dresse comme un totem rustre, une force du hasard, de l’incertitude, du chaos. On s’en approche plein de respect et d’appréhension.

Tout à coup, pourtant, dans cet affreux couloir déprimant où même les acariens sont tentés par le suicide collectif, une grande idée de printemps ou de liberté envahit mon esprit. Le café désiré coule normalement, tout se passe bien, je suis à la limite du Fred Astaire. Je bombe le torse, je suis absolument seul, et je me permets donc d’étirer les bras, d’aise. La silhouette narquoise, qui touillait son café en me regardant de travers, a disparu. J’allonge le pas. Je me ballade, solitaire, le couloir se déroule, je m’y meus avec souplesse. Eventuellement, je tenterais de claquer les pieds de travers, mais c’est le matin, j’évite dans ce moment sympathique de me confronter à mes limites physiques.

Cette idée de printemps entraine une autre idée, celle de ménage de printemps. J’entreprends donc un geste fou, rigolo, un ménage de printemps de mon nez. J’y plonge mon doigt, virilement, à la recherche des obstacles mous qui se dresseraient entre moi et l’air vif du matin. J’avance ainsi, l’enjambée enthousiaste, le doigt fureteur.

De derrière la bonbonne à eau, apparait doucement, touillant son petit café avec sa petite touillette, l’homme à la petite moustache et au pantalon marron raide. Il me regarde, la bouche pincée, sa mine grise résolument satisfaite. Cet air narquois. Cet air de triomphe, le triomphe de toute une vie. De mon côté, le doigt branché au tarin, je me fige. A cet instant, s’offre une alternative : soit je sors mon doigt avec précipitation, je le cache dans ma poche, je rougis, je m’agenouille et je lèche la moquette en signe de soumission. Il peut, alors, s’il le souhaite, poser son pied sur ma nuque un moment, déguster son café infiniment touillé juste au dessus de ma Honte. Puis me faire basculer au sol d’un bref mouvement, et partir en susurrant entre ses dents : « bien le bonjour, monsieur Crotte-de-Nez. »

Second choix : j’assume mon divertissement nasal. Sonnez tocsin. Mobilisation générale de moi-même. Nez pride. Alors je le regarde. Il me regarde. Le doigt est dans mon nez, et je plisse les yeux. Nous nous observons. Quelqu’un, au loin, commence à jouer de l’harmonica. Il touille. Je touille, aussi. Puis lentement, je sors mon doigt et je le contemple. J’enchaine une expression de franc contentement. Belle bête, semble-je m’exprimer. Puis pour embaumer la substance, momifier le rejet, immortaliser l’agglomérat, un peu comme l’on sale la viande, je la roule délicatement entre mes doigts, en produisant une grosse bouche sensuelle de Nutellomane.

Je tourne les yeux vers l’inconnu. Je le dévisage, je le scrute avec force, j’attends son changement d’expression. Mais il demeure impassible, il me regarde. Il touille, encore, un vrai métronome. Ah tu veux jouer à ça, coco. Tu crois que j’ai fait un coup de poker et que je vais enlever mon pantalon et boire toute la Honte. Alors là tu te trompes ; et sur le champ, je dépose délicatement ma boulette glauque sur ma langue, et je la mâche, avec volupté, dans une torride danse du ventre, mais des mâchoires. Et je murmure, on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Je le sens qui ploie. Il va se mettre à genoux, c’est certain. Et je vais poser mon pied sur sa nuque, il va m’implorer : pitié, je ne suis qu’un misérable vermiceau, faites de moi votre serpillière, votre Sopalin d’adolescent plein de sève, faites de mon corps votre vaste charentaise. Pitié, ne portez pas sur moi le sceau fatal de la Honte. Et là, lorsqu’il se mettra à genoux, j’hésiterai, et peut-être qu’en fin de compte, je lui pardonnerai. Je lui dirai, le faisant choir d’une pichenette de l’orteil, va, anonyme bureaucrate, va terminer ta comptabilité terrestre, va et vis, et médite sur ton insignifiance sans borne. Et le ciel s’ouvrira et apparaitra le soleil, immense boulette jaune tombée du nez de Dieu.

Sans doute, il éprouve déjà ma future indulgence, il la conçoit peut-être comme une humiliation au-delà de la Honte, et pour éviter une fatigante scène d’extase, humblement, accusant réception de ma bonté, il ne se met pas à genoux, il se contente de poursuivre son chemin, baissant les yeux. Je me retrouve à nouveau seul, vague, saisi du vide un peu morose qui suit les victoires écrasantes, et je comprends que je mâchonne ma propre morve.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...