lundi 6 décembre 2010

Les Amateurs

En ce moment, nous répétons pour un concert d'élèves chanteurs, de l'école d'Emeline ; ce sont des amateurs. C'est un de mes moments préférés, dans la vie.
J'ai fait un stage de musique Klezmer cette année, avec un pro qui comme tous les musiciens classiques a tenu la conventionnelle et attendue sortie sur le monde du conservatoire "qui est trop cruel et inhumain", et les amateurs qui sont formidables. Parlant des musiciens amateurs, avec une élève du conservatoire en train de passer son prix, il avait vraiment l'air bonhomme du représentant en Canigou, qui répète "c'est vraiment délicieux !" mais qui n'en mangerait pour rien au monde. 
Non pas qu'il ait tort : quand un musicien atteint un grand degré d'excellence, il lui devient difficile de revenir ramer avec des amateurs, surtout que, accompli techniquement, il lui reste tant de choses à explorer musicalement, intellectuellement que le fait de revenir en arrière avec ceux qui rament avec leur doigt doit être déprimant, j'imagine. Mais il n'est pas non plus obligé de dire que les "amateurs sont formidables".
Les amateurs sont formidables. Je suis moi-même un amateur. C'est amusant, car les amateurs que j'accompagne ignorent souvent que je suis moi même amateur, parce que je suis dans le groupe qui accompagne, et qui tels les Corses ou les Ibères ont l'air ténébreux et concentrés ; et j'en joue : quand ils expriment leur crainte, j'en rajoute : "le pire c'est quand le public sort les cageots de tomates, ou commence à huer, ça arrive souvent, c'est horrible". Ils deviennent livides, et j'éclate d'un grand rire formidable, car je suis moi même formidable.
Certains "amateurs" vont faire leur premier concert. Ils sont tendus, excités, dans tous leurs états. Ils ont envie de mourir, de partir en Uruguay se cacher. D'autres sont concentrés, façon commando au dessus de l'objectif. Dans ces concerts, certains ont dix ans, ils vont chanter "Capitaine Flam", d'autres vont vraiment tout donner, avant de reprendre leur vie d'instituteur, comme je vais reprendre la mienne d'informaticien. Avant d'entrer en scène, ça sent la peur. Ils sont bien habillés, maquillés. Il y a le public, souvent la famille de la famille, des amis, parfois un professionnel qui dit paisiblement : "les amateurs sont formidables !". J'adore ce cirque. C'est quelque chose qui me réjouit, c'est comme la choucroute, la fête du slip. C'est tendu et bariolé. 
Souvent, certains gagnent : les amateurs au bout de premières et affreuses, pénibles secondes surmontent leur trac, et tout d'un coup ils sont sur scène, transfigurés, intronisés. Après leurs chansons, ils ont l'air d'avoir fait l'amour dans un amphithéâtre universitaire, ils sont ébouriffés, vidés, sonnés, comblés. Ce moment là est précieux. Ils veulent recommencer, ils veulent aller vivre dans une roulotte, ils veulent voter communiste, ils veulent s'embrasser, fumer, boire, rire, ceux qui voulaient mourir avant ne veulent plus arrêter, jamais.
A la toute fin du film "le Goût des Autres", le personnage joué par Alain Chabat se met à apprendre la flûte traversière, on le voit, parmi certains élèves dans ce qui semble être une école de musique. Il débute, il est un peu comique, mais heureux, c'est un instant de mûr attendrissement, une grande plénitude, une grande sagesse s'en dégage ; c'est vraiment toute la morale de tout, et je terminerai là dessus.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...