A l'angle de ma rue et du boulevard, un immense sac de vomi est déversé. J'ai même été prévenu par E., au téléphone, hier, de cette aberration. Il est certes fréquent de trouver dans les villes, et même dans les champs, quelques recoins tapissés par ces constellations gastriques, témoins festifs du trop arrogant appétit humain, de sa propension à se surestimer face aux plaisirs épais de la vie. Moi aussi, il m'est arrivé de penser, allongé sur un trottoir, écrasé par la puissance du spiritueux : "La volupté est grande, et je suis tout petit".
Quand je faisais les vendanges, les gars de la Loire avaient une expression pour ces déversements accidentels : ils appelaient ça "poser un renard". Ces grands éclats, il est vrai, ont la couleur vive de ces animaux des bois, sympathiques et furtifs, qui surgissent toujours, cocasses créatures, de manière inattendue et primesautière au détour d'un chemin ou d'une vigne.
Mais là, le volume de vomi était tel qu'on pouvait qualifier cet évènement de particulièrement spectaculaire. Je n'allais quand même pas consacrer un billet de mon cher blog - tristement délaissé en ces temps de bagne - à un petit renvoi de rien du tout. Non, là c'était un lac, un pic, que dis-je, une péninsule. Un vomi de cyclope.
E., toujours pleine d'imagination, se perdait en conjectures : peut-être une sombre histoire de toilettes bouchées dans une clinique spécialisée dans la gastro-entérite ? Une certitude : "Ils s'y sont mis à plusieurs". En effet, il fallait voir s'échapper de ce large sac en carton, comme on en trouve dans les boutiques de prêt à porter, vingt litres de gerbe peuplés d'enzymes en furie s'acharnant toujours sur des macaronis. Il s'agit peut-être d'une collecte ? D'un don de scouts bénévoles, égaré par son porteur épuisé ? D'une banque du vomi qui a "besoin de vous" ?
Ce matin, une dizaine de pigeons picoraient consciencieusement la matière orange, impassibles, goulus, réjouis, comme dans un poulailler de l'enfer. Ces animaux ont vraiment la classe.
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