jeudi 6 septembre 2007

Non-moment (2) : repas dansant

Mon week-end de mariage s'éloigne et l'envie d'en narrer mes maigres non-exploits aussi. Mais quand on s'efforce de creuser le sillon de la banalité des choses, il faut se faire violence. Et puis je l'ai promis. Et puis, surtout, quand on met dans un titre de billet un "(1)", il faut bien produire un "(2)", si on ne veut pas, le jour du jugement dernier, se faire enquiquiner par un Dieu chipoteur qui lit tous les blogs.

Dans les cérémonies, il faut nommer les tables, et de façon poétique. Par exemple, les cinq continents, les mers du monde, les satellites de Jupiter, les langages de programmation, les principaux responsables du parti Communiste. Allez, la table Maurice Thorez, on se lève et on fait la queue leu leu. Allez, la table Php, on se lève et on fait la chenille.

Kéké doit être gardé par une jeunette. Je conserve ma dignité, mais je ne suis pas d'accord. Je quitte kéké qui se met à hurler "papa !" éperdument. J'ai bien failli l'enlever et partir dans les bois, tel Rambo, avec le G.I.G.N. à mes trousses. Non, je ne confierai pas kéké à une potentielle droguée alcoolique vendeuse d'organe. J'ai lu un Guide du Routard sur le Vietnam, ce qui fait de moi une sorte de vétéran, et je vivrai dans les bois, en pressant des mures pour le biberon de mon rejeton.

Les gens, à table, sont rangés méthodiquement par génération, et par affinité, pour qu'ils aient quelque chose à se raconter. D'un côté les jeunes. De l'autre, les oncles et les tantes, les passionnés d'accordéon, puis la table des homosexuels, celle des noirs, les amateurs de films de Chaplin, la table des blogueurs avec leur nokia et leur gourmette FaceYouBookTube, la table des hommes, la table des femmes, celle des vivants, celle des morts, celle des humains, celle des androïdes. Nous sommes également alignés par couple, méthodiquement, comme une séquence d'ADN. E. est en face de moi, nous nous regardons, pris de petits rires nerveux. A ma droite, quatre jeunes célibataires - ces résidus de l'humanité qui ne vivent pas en ménage et fument du narguilé langoureusement en lisant Oscard Wilde - font connaissance. L'un des jeunes a participé à un jeu télévisé, cette année ; je le surnomme Loano. Il donne une interview sans qu'on lui pose de question.

Un peu embarrassé, j'entreprends de me pinter la gueule, le problème est que tout le monde semble passionné par la San Pellegrino, qui coule à flot, tandis que moi je tends mon grand bras, écrasant des nez au passage, pour m'emparer d'un vin rouge particulièrement grivois. Pour faire amende honorable, et passer inaperçu, je monte sur ma chaise et crie à la cantonade : peux-tu me passer l'eau minérale, Dieu que j'ai soif de ces larmes pures des montagnes jolies, comment peut-on s'imaginer... J'ai lu le dernier livre de François Bayrou et je pense que...

La DJ est déchaînée. Toutes les cinq minutes, elle fait lever les gens qui tentent de manger, sous une musique intense, ni ringarde, ni bonne, mais abominablement neutre. Elle insiste pour faire venir les gens près du buffet ; une douzaine de personnes tente de se trémousser pour contenter l'hystérique amplifiée, au beau milieu du vide d'une salle des fêtes gigantesque, sur-éclairée comme un terrain de football ; nous sommes disgracieux, semblables à des ballerines sur une table de dissection.

Loano, à ma droite, raconte pour la cinquième fois son "aventure" télévisée, il produit des expressions toutes faites de type Télé 7 jours.

La DJ organise des jeux. Les gens s'enfuient, soudain tout le monde veut fumer une cigarette dehors, même les vieux et les enfants se mettent à fumer pour la première fois, afin de déserter le goulag joyeux. Elle exige qu'on lui emmène des inconnus pour qu'ils exécutent des danses grivoises, on se croirait à Abou Graïb. Comment n'a-t-elle pas déjà été éliminée par un groupe de timides extrémistes ?

Puis soudain, nous partons. Il n'est pas tard, je ne suis pas pinté, mais la messe est dite. La jeune fille qui garde Kéké est médusée : une minute avant notre arrivée, alors qu'il dormait à poings fermés, il se réveille, et désigne la porte dans le silence absolu. Puis nous sommes là, la jeune fille est confondue par la prémonition de notre inséparable enfant. Sans doute les ondes d'amour qui nous relient, comme les nokias des blogueurs.

***

De retour à la maison, lundi, nous avons envie d'acheter un bidule à notre kéké, pour le récompenser d'avoir été sage, ou simplement pour le remercier d'exister. Nous rentrons dans la grande surface dédiée aux jouets, et kéké devient comme un réacteur nucléaire qui s'emballe : paysage de gros camions ("cro cacon ! cro cacon !!"), balancelles, grosses voitures. Une sorte de kékéland interminable. Avant qu'il n'explose, nous nous dirigeons vers la caisse, et nous avons le plus grand mal à confier le jouet à la caissière.

Voilà, la fatigue s'est assise sur mes genoux, et je l'ai trouvée fatigante ; il est temps de plier boutique et de fermer les gaules. J'ai écris beaucoup de bêtises pour ce soir, j'en écrirai d'autres demain.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...