Je me suis fait "taguer" par Dom au détour d'un billet très drôle sur les expressions qui font repérer illico votre matrice géographique.
J'explique, un peu pour ceux qui ne connaissent pas, mais surtout pour faire un gag idiot (je suis en liquidation totale de gags) : je ne me suis pas fait bomber le visage avec de la peinture en aérosol, non, j'ai juste reçu une sorte de "gage" pour faire un billet sur un même thème. C'est ça, un tag.
Les esprits chagrins aiment à dire que les tags c'est pour les blogueurs qui n'ont rien à dire, je leur répondrais d'une part et z'en premier lieu qu'il s'agit d'une contrainte très oulipienne, oui, et que la contrainte est génératrice de créativité, nous sommes comme "un rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir". J'ajouterais d'autre part z'et en second lieu, qu'ils aillent se faire mettre en fait, les esprits chagrins (je suis aussi en liquidation totale de grossièreté), et puis comme dirait Renaud, ça défoule, comme ça gratuitement par plaisir. Ah !
***
Je suis arrivé à Lyon vers huit ans, en provenance du grand sud. Là, je n'ai pas été offusqué d'entendre les gens parler pointu, c'était en effet la ville du pagnolesque Monsieur Brun. Dans la vie, pour moi, il y avait les gens qui parlaient normalement, comme mes amis et ma famille, il y avait aussi les gens qui parlaient à la télévision ; je tolérais, c'était un peu normal aussi, on ne leur en voulait pas, ils étaient loin, les gens à la télévision.
A Lyon, j'avais troqué les vastes champs ponctués de ruisseaux, de vieilles 4L et de cabanons lézardés contre un immeuble de quatorze étages, grise cité aux ascenseurs fleurant la pisse, mais dont je garde tout de même le souvenir lumineux d'un vaste terrain de jeu. (J'imagine que même le gamin qui grandit dans une décharge doit garder de son monde l'image émouvante des jeux sans fin). Les gens parlaient comme à la télévision. Je trouvais ça normal. Mais moi, je parlais comme un plouc de spectateur. Parfois, dans une allée, je discutais avec des inconnus en attendant l'ascenseur, je disais : "Je rentre à la maisongue pour voir ma mamangue."
On me faisait répéter, hilare : "Quoi ? Quesstudis ? Tu peux y répéter ? " Puis on allait chercher d'autres amis : "Hé, regardeuh comme il y parleuh, allez tu peux y répéter ?
- Bengue, je rentre à la maisongue voir ma mamangue ?
- Ah ah ah ! Hey, venez tous les autres, venez voir écouter !
- Bengue bon sangue, qu'est-ce que j'ai dit de si marrangue ?"
A la boulangerie, c'était : "Bonjour, je voudrais du paingue.
- Oh, viens y voir Marcel, écoute-zy : que veux-tu, mon petit ?
- Bengue du paingue, pourquoi, congue ?"
Je parlais avec le langage tombé d'un arbre du Roussillon, appuyé, juteux, comme une grosse pêche, les mots de Tramontane, les mots minéraux des hommes de Tautavel.
Au bout de quelques mois à ce rythme, à force d'être l'hurluberlu de service, je me suis dit - inconsciemment - qu'il fallait rééduquer ces paroles, si je voulais être un peu tranquille dans la vie. Alors, paf, les mots en maison de redressement, les phrases avec un tuteur à tomates, pour les élever bien pointu dans le ciel des immeubles. J'ai mis un parasol pour cacher le soleil qui tapait fort dans la bouche.
Voilà, pour moi, le Canigou, c'était la chaîne des montagnes embrumées, qui s'étendait aux portes des Pyrénées, que je voyais de ma fenêtre dans un ciel dégagé peigné par des cyprès fins ; pour les autres, le Canigou c'était de la bouffe pour chien, en boite.
De l'air frais du sud, il me reste quand même quelques bols d'air :
Quand il reste une vieille trace de confiture mal séchée sur une table cirée, et qu'on pose le doigt dessus, et que le doigt reste un petit peu collé, on dit : ça pègue.
Quand on est invité à un vernissage dans une boutique huppée sous la Tour Eiffel, et qu'on arrive en short bleu avec une veste de survêtement, des mocassins marron et des chaussettes de tennis blanches, on marque mal.
A propos, je n'attrape pas de rhume, ni la crève, j'attrape mal.
Puis quelques termes de catalan . Quand ces idiots de chats se cognent interminablement contre mes tibias cinq heures avant l'heure officielle de la gamelle, je les traite de banastes (sots). Ils m'énervent et je les fais changer de pièce d'un puissant coup de pied, je leur dit : "ja tu cal !" (bien fait pour toi). Puis je murmure à kéké des mots que j'entendais petit, des mots poignants, qui brillent comme des étoiles éteintes : "axurit !" (dégourdi).
En fin de compte, je cause pointu. Mais lorsque je parle avec ma famille, l'accent remonte, incontrôlé, se lâche comme des chiens fous avides de Canigou, et la fenêtre parait s'ouvrir soudain, l'accent surgit comme un courant d'air enfoui dans une boite à secret.
Tiens, j'ai les larmes aux yeux d'écrire ça, c'est idiot. C'est triste d'être là où l'on est, chez soi, mais d'être loin quand même.
mardi 11 décembre 2007
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