jeudi 2 août 2007

Le billet décousu : épisode 1, le bleu

Le travail répétitif fait émerger parfois des pensées absurdes. Longtemps, j'ai été vendangeur, la nuit, après avoir fermé les yeux, je voyais les grappes bleues défiler sans pouvoir les chasser.

Lorsque je repeignais mes plafonds pendant mes travaux, en juillet, je prenais un accent italien et je discourais, seul, perché sur l'escabeau : "Yé souis Michel-Ange, yé repeins la chapelle Sixtine de chez moi avec oune nouveau concept dé l'art abstrait. C'est lé blanc. Lé blanc total. Oune blanc immacoulé, toute oune fresque de blanc comme oune nouage. Toute la voute dé la chapelle, etc. ". Il faut dire que je suis un sacré boute-en-train.

Plus tard, je prenais l'accent français, en fait l'accent normal, comme tout le monde, pour me prendre pour Yves Klein : "Je repend ma Chapelle Sixtine avec un nouveau concept : le monochrome de blanc." C'est nettement moins marrant sans accent. D'ailleurs ce n'est peut-être pas drôle du tout, mais j'aimerais vous y voir, sur l'escabeau.

Ce qui m'a amené à me souvenir d'un vrai monochrome d'Yves Klein que j'avais vu je ne sais plus où, sans doute à Londres. Les musées y étant gratuit, en décembre 2004 nous avions usé nos chaussures et nos yeux sur des oeuvres d'art, jusqu'à devenir presqu'aussi expert que le conservateur du musée. Nous sommes alors arrivé dans cette pièce toute blanche où était accroché un de ces fameux monochrome. Je ne suis pas un héros, et je suis né tout nu, sans connaître le moindre morceau de Led Zeppelin, sans savoir poncer des murs vigoureusement, et comme beaucoup, j'avais un certain regard sarcastique sur ces peintures. "Ah oui, c'est facile, tout le monde peut le faire, hin hin hin. Même mon frère de 4 ans est capable de ça, hin hin hin." Je considérais au fond, sans l'avouer, ce genre d'oeuvre comme un concept désincarné, qu'on ne peut avoir qu'une seule fois, avec audace et culot, et qui a plus d'intérêt sur le papier ou dans la bouche d'un critique d'art que sur la toile, face à des gens.

Et pourtant, lorsque je suis tombé dessus ce bleu, nez à nez, face à face, contre toute attente, malgré mon ignorance et mes préjugés, j'ai été soudainement ému, touché, moi le barbare dont l'idéal culinaire est la pizza 4 fromages. Une couleur unique, profonde, sans fond, qui rayonne dans la pièce, qui aspire le regard. Le bleu semblait vibrer, rayonner, phénomène qu'on ne trouve plus dans la reproduction. La toile était lisse, pleine sans limite. Comme me le disait la voix du guide électronique, une couleur unique au monde, inventée, déposé par son auteur. Là aussi j'ai ému par l'histoire de ce peintre qui voulait inventer du bleu.

J'ai lâché cette phrase banale mais sincère : "je ne savais pas que c'était si beau en vrai ! ". Tout de suite, je me suis senti très intelligent, très cultivé, très raffiné, très heureux de vivre et de marcher dans un musée peu après Noël, au lieu de nettoyer des excréments dans des toilettes d'autoroutes, par exemple.

C'était agréable, cette douce violence, lorsque tel un oignon on se sent enlevé d'une pellicule d'imbécillité.

De retour à la maison, j'ai inauguré ma nouvelle personne en dégustant une pizza 4 fromages, demandant, évidemment - et quel boute-en-train que je suis ! - beaucoup de bleu.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...