lundi 26 septembre 2011

Ballons

Nous nous promenions au parc de Sceaux, il y avait une sorte de kermesse pour lutter contre les myopathes (contre la mucoviscidose me corrigea Emeline). Derrière les stands, s'activaient des gens qui vendaient des parts de gâteaux au prix d'un ticket vert. Il y avait des panneaux explicatifs sur la maladie, des jeux de pêche et de massacre.

Un speaker remercia la fanfare de Clamart. J'y avais remarqué un joueur d'hélicon assez maigre, et ceci me plut car je tenais, à l'occasion, des statistiques sur les membres des fanfares, afin d'établir un jour une pittoresque découverte. J'avais déjà noté que les joueurs d'hélicon étaient souvent maigres, ce qui me fascinait car l'instrument exigeait de la puissance, et donc un costaud au bout du tube me semblait-il ; je croisais certes sur ma route une fanfare environ une fois l'an, l'étude avançait lentement mais malgré tout, je tenais pour certain que l'hélicon était si gourmand qu'il épuisait totalement son instrumentiste, l'aspirait jusqu'à son assèchement corporel.

Le speaker qui avait remercié la fanfare annonça un grand lâcher de ballons, et pria donc les gens de prendre des ballons, de se rassembler, et d'attendre le compte à rebours avant de les lâcher. Il insista car c'était quelque chose d'émouvant, dit-il. Je suivais à contrecœur, épuisé par la marche du jour, et puis de quel droit décrétait-on à l'avance d'une pratique qu'elle était émouvante, grommelai-je, on est dans un pays libre, on n'est pas dans ma tête à faire la circulation des sentiments avec un sifflet, et puis cela est semblable au Jour de l'An où il est obligatoire de s'amuser, et où du coup l'on se suicide souvent. Mais comme d'agiles petits rats suivant le joueur de flute, Emeline et Zacharie me distançaient déjà à la poursuite des ballons multicolores qui, dopés à l'hélium, tiraient comme des fous furieux sur leur fil doré.

Mon fils prit un ballon. "Beaucoup de pollution en perspective", lachai-je pour rigoler, constatant les nombreuses sphères en plastique prêtes à déferler sur le ciel. Puis je regardais mon petit garçon en espérant qu'il ne soit pas trop dégoûté de lâcher ce ballon fortuitement acquis, et qu'il nous mette dans l'embarras en le conservant, au détriment des petits enfants malades. Le speaker demanda d'attendre car certains lâchaient déjà leur ballon sans faire exprès, tout de suite, car ils étaient beaucoup moins intelligents que mon fils et n'avaient pas compris le concept du lâcher-ensemble.

Les ballons s'envolèrent tous dans le ciel, et de manière surprenante j'en fus assez ému. Je maudissais le speaker de m'avoir tendu ce piège sentimental bien facile, j'aurais voulu lui faire un geste obscène, mais je gardais le visage impassible. Il y avait quelque chose de simple et poignant dans ces ballons qui disparaissaient en cohorte, en silence et furtivement ; me tournant vers mon fils, je l’aperçus bouleversé dans les bras de sa mère, il était retourné et pleurait doucement comme si on avait brulé tous les jouets de sa chambre pour y installer une tireuse à bière, comme quand on l'abandonna à la garderie tout le siècle d'une journée ou quand le chat mourut. L'émotion avait explosé ainsi, sans prévenir, tandis que partaient ces ballons de couleurs, spectacle primitif des joies brèves et des choses irréversibles. Nous étions bien embêtés, car il pleurait à chaude larmes, alors nous partîmes en quête de jeux amusants pour le divertir.

Qu'avait en tête l'inventeur de cette coutume naïve, sans doute un pervers comme Andersen avec ses enfants qui meurent de froid dans des contes atroces ? Mon fils avait retrouvé le sourire, mais de temps en temps, il venait nous voir pour confier que c'était vraiment trop triste, ces ballons en partance. Il aurait fallu, nous expliqua-t-il, profiter de l'occasion pour glisser un petit mot pour le chat qui était mort, afin qu'il puisse le lire, une fois l'objet au ciel. Je trouvai l'idée excellente, et profitant de la brèche pour me faufiler dans la rassérénante Science Physique, j'expliquais qu'il fallait gonfler le ballon avec de l'hélium, pour qu'il s'envole, sinon il allait lamentablement s'échouer au sol. Comme dans ce livre avec l'enfant qui perd son cochon, et fabrique un cerf-volant le jour de la fête des morts pour lui dire au revoir, nous allions faire la même chose : le lâcher d'un ballon, pour le chat. Je m'adressais à Emeline qui est douée pour organiser les choses compliquées, en général, lui affirmant, décidé, définitif : "Il va falloir que tu trouves de l'hélium pour la Toussaint." Elle fut heurtée par cette demande bizarre qui lui incombait naturellement, elle répliqua par cette maxime qui me laissa pensif pour la journée : "Mais trouver de l'hélium, c'est un travail d'homme".



La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...