mercredi 31 décembre 2008

Biggus Dickus

Pour finir l'année, alors que Nicolas n'a de cesse d'évoquer les parties intimes de ses amis, voici cette belle scène du film "Life of Brian", sur le bien nommé "Biggus Dickus".

Le Castle of argggh

Pour finir l'année, tandis que j'erre quelque part dans la capitale des Goals, même si le dernier est parti à l'Atletico Madrid, voici le château de Arrggh, là où se trouve le Saint-Graal...

mardi 30 décembre 2008

Le World Forum

(billet programmé)

Aujourd'hui, Karl Marx, Lénine, Che Guevarra et Mao Tsé Tung dans un jeu télévisé.

"...et ce magnifique salon non matérialiste est à vous !"

Les Monty Python sur scène, à l'Hollywood Bowl. Pas mal, ça passe pour un 30 décembre.

lundi 29 décembre 2008

Le Lumberjack song

Ceci est la chanson du bucheron. Chers lecteurs, si vous m'aimez, juste un petit peu, regardez cette courte scène en entier. Les Monty Python, c'est un peu comme ça, tout le temps, pendant des heures.

dimanche 28 décembre 2008

La spanish inquisition

Un de mes sketchs préférés, même si tous les sketchs le sont, mes préférés. Je ne saurais décrire la joie qui m'emplit à la vision de cette séquence, une sorte de mélange entre Arthur Rimbaud et de la bière. Voyez-vous même.

samedi 27 décembre 2008

Le Flying Sheep

(billet programmé)

Le Flying Sheep, sans sous-titrage, mais en français quand même. Ou comment est conçu un mouton volant, expliqué de manière cartésienne, par deux scientifiques français (en béret, if you please).



Puisque nous sommes en France, restons-y. Très Nouvelle Vague, les "Monty Python" nous présentent le film français. Il est sous-titré, mais en anglais (puisque c'est en français). Blonde dans une décharge tenant un chou, qui discute avec un révolutionnaire, entrecoupé d'images de bombardements. Si après cette séquence, vous n'entrez pas dans la secte des Monty Python immédiatement, je veux bien donner ma chemise à télécharger.

vendredi 26 décembre 2008

Les Silly Walks

(billet programmé)

Puisque nous sommes dans les Monty Python, et puisque nous sommes le 26 décembre, voici un deuxième extrait. L'indispensable sketch "The ministry of silly walks" (le ministère des démarches ridicules), avec un sous-titrage en français.

Les rires enregistrés sont exaspérants, mais il parait qu'ils étaient enregistrés en direct, un truc comme ça. C'est peut-être un point commun avec Benny Hill.

Quand même, chers lecteurs, imaginez un programme de cet acabit diffusé aujourd'hui, à la télé, en France, entre "plus belle la vie" et "super Nany". Hein ? Alors, admettez qu'ils étaient bon, ces individus-là.

samedi 20 décembre 2008

Le coeur de l'armée bouge

Je tiens d'abord à m'excuser pour le titre. Je ne le ferai plus. 2009 approche, tout va changer.

Je voulais à la base laisser un mot sur la petite chorale de Noël entendue vendredi matin, c'était le premier spectacle de kéké.

Bizarrement, bien que lourdement midinette à mes heures, j'ai trouvé ce chœur de micro-chanteurs au nez morveux plus cocasse qu'attendrissant, l'écoute de ces Pères Noël qui entraient par tous les trous de cheminée m'a plongé dans une humeur sarcastique quelques bonnes minutes. J'ai, évidemment, eu le cœur serré, lorsque j'ai aperçu kéké m'apercevoir, lever sa main, et me saluer doucement parmi les enfants qui gueulaient, mais pas plus que Clint Eastwood examinant son pistolet propre, au coucher du soleil.

Atteint de la célèbre névrose du blogueur, celle qui consiste à imaginer, au moment où on le vit, le "billet" qui va en découler, je me gaussais des enfants empilés sur des bancs, comme des amphores dans un Bricorama sur l'autoroute. Les grands assuraient la mélodie, les moyens bafouillaient la chanson, mais celle d'avant, en mimant des lutins avec leurs doigts, les petits ne faisaient rien, observant la chorale des parents ployer sous le poids des appareils photo. Intérieurement, je me moquais beaucoup de ces petits, inertes, la bouche ouverte, les yeux dans le vide, perdus dans leurs rêves parmi le brouhaha ; je les trouvai d'un ridicule désarmant, lorsque je vis kéké, la bouche ouverte, les yeux dans le vide, perdu dans son rêve parmi le brouhaha ; sublime ; je ne fus pas surpris ; lui, si indépendant, indifférent à cette foire grotesque, unique, exilé sur le sol au milieu des niais, forcément génial, avec un talent considérable dans l'exécution de son non-chant.

A la fin, Z. s'est levée, émue, les yeux humides. Et j'ai rattrapé le temps perdu en étant ému seulement trois secondes, mais très fort. Puis nous avons mangé des crêpes au Nutella, ce qui m'a ému l'estomac.

Dans le métro, parti travailler, de bonne humeur, je fus pris d'un sentiment poisseux, comme si les pigeons de la Mélancolie m'avaient fait caca dessus, lorsque je lus, dans le journal gratuit, ces histoires de jeunes qui se mettent des sacs sur la tête, tout ça - les bonshommes doigts du père Noël - pour en arriver là. Le soir, kéké était en vacances, par procuration, j'en fus euphorique.

Mais en fait, j'ai surtout envie de laisser la suite à Z, c'est tellement mieux dit ici...

vendredi 19 décembre 2008

Le tag de l'inculture (2/2)

Cette "chaîne de blog" est un bon accessoire pour réfléchir, en ce moment, sur ce sentiment simple, et que je commence à trouver assez fondamental, à l'heure où je suis, statistiquement, censé atteindre la moitié de ma vie, à l'heure où je me vois au sommet de la colline, sur le belvédère : le sentiment indécrottable de m'être cultivé, mais de me sentir rustre tout de même, essentiellement plouc, ignorant fagoté en Miss Monde.

Cette idée du costume mal ajusté, on la triture, on s'en amuse, comme le petit stylo qu'on fait tourner dans ses doigts, nerveusement. On insiste plaisamment sur sa petitesse, pour la minimiser. Halloween intellectuel, on se fait peur, on met le pied dans l'eau froide, et le sortir nous réchauffe. Ce sentiment d'inconfort, d'inadéquation, se transforme peu à peu en humilité, à la longue, qui n'est ni fausse modestie, ni orgueil grimé, arlequin de précaution ; on localise sa place au milieu de l'existence, sous-préfecture faite homme, entre les bornes du grotesque et du beau. On se fait une raison. Et les pages des livres que l'on tourne, petites piécettes jetées dans son puits à l'eau trouble, on les lit, avec un plaisir vrai, sans enjeu, pour rien, pour vivre.

Livres : Une fois la fac terminée, je me suis senti tel le coureur cycliste dopé, chargé de produits intellectuels plus ou moins suspects. On aurait pu découper mon crâne d'oie, pour en faire du cerveau gras. Sinon, je lis tellement lentement, que j'en suis à inventer des blagues. Tiens, qu'est-ce que je vais lire, cette année ? J'ai adoré la page que j'ai lue la semaine dernière. Oh merci, un livre de 600 pages ! Mais qu'est-ce que je vais lire, après, dans cinq ans ? Quand j'étais mineur, j'ai lu Germinal. On peut emprunter dix livres, à la bibliothèque, j'espère survivre jusque là. Sur mon testament, j'indiquerai les livres que kéké finira à ma place.

Géographie : en lisant les billets consacrés à cette chaîne, je me rends compte de l'étendu des dégâts. J'ai toujours cru Brazzaville au Brésil, Colomboville en Colombie, Tirana dans une tyrannie, Villeneuve d'Asq au sud, Bruxelles en Belgique. J'ai cru que le Pôle Nord était plein de banquises, avec des pingouins ou des manchots, bref, le mauvais animal. Je suis - par erreur - abonné à National Geographic, je ne paye pas l'abonnement. J'ai signalé de nombreuses fois que je recevais un exemplaire qui ne m'était pas réservé. Cet établissement énigmatique a toujours renoncé à rectifier cette erreur. Comment interpréter cet accident du Grand Horloger ? Suis-je vraiment miraculeusement nul en géographie ? Qu'il faille compenser, pour l'équilibre cosmique, par des revues gratuites ? J'espère à ma prochaine partie gagner le Camembert bleu plus facilement, quand même. Mais je préfère m'effacer sur ce sujet devant ce que dit l'indispensable Mtislav à ce sujet : "Si j'étais moins paresseux, je serais davantage voyageur. C'est la paresse qui me fait davantage géographe".

mathématiques : Ma mère était nulle en math. Moi, j'étais fort en maths. Du coup, à la maison, j'étais une sorte d'oracle, de prêtre des sciences exactes, d'émissaire de la grande calculerie, bien que simplement bon en calcul. En tant que bon fils, donc, il m'est donc impossible d'imaginer ou d'exposer la moindre inculture en mathématiques, ce serait m'attaquer au fils aîné de ma mère, j'aurais la fâcheuse impression, ce faisant, de m'avorter.

Nourriture : J'aime les frites. Au restaurant, je suis triste quand "il n'y en a pas beaucoup". Ma douce me dit : "Mais ce n'est pas la quantité qui compte ! Mais la qualité !". Je bougonne, je rouspète. Oui c'est vrai tu as raison. Mais quand même. Parfois, il arrive que ma compagne ait une assiette de frites plus fournie que la mienne. Je ressens cela comme une injustice, je ne dis rien parce que c'est ridicule, comme si ma mère m'avait dit : tiens, va jouer dans ton placard, ton frère joue avec son nouveau cadeau. Je scrute son assiette, et je lui dis, avec nonchalance : "L'été approche, tiens, tu as pensé à un maillot de bain ? - Mais non, répond-elle, nous n'allons pas à la mer, pourquoi ? " Je fais diversion, du coq à l'âne, je lâche : "Intéressant, le nouveau régime minceur miracle du dernier Elle." Puis je marque un temps, et je conclue : "Bon, nous en parlerons dès que tu auras fini toutes ces frites."

Boissons : Je n'y connais rien en vin. L'autre soir, je suis allé chez le marchand de vin, un type voluptueux avec des tics, barbu, une sorte d'Ulysse caviste. Ses tics qui ravagent son visage donnent l'impression que vos demandes sont absolument scandaleuses. Cet homme me met hors de moi. A chaque fois, j'essaye d'être le plus rustre possible : "Rouge. Entre x et y euros." Il me regarde, réfléchi, interdit, choqué, sa figure outrée par l'extrême mauvais goût de me parler, comme si je lui demandais : "Votre femme. Pipe. Entre x et y euros". Après il me sort un discours pompeux sur les écorces de nuit dans la robe d'une myrtille sucrée et salée mais sèche à la fois, murmurant un secret, comme s'il me filait le code l'arme atomique. Je pense de toute mes forces : "Vous fatiguez pas, de toute façon, je vais certainement vomir, alors".

Mais j'aime le vin, enfin, pas la boisson, qui n'est pas ma préférée, mais j'aime le Vin, le rouge qui tâche, que l'on cueille fraternellement dans les Vendanges, amis avinés aux pactes bavards ; je me souviens de ce sentiment de lyrisme incroyable qui m'a pris à la gorge, devant ces centaines de camions débordants de fruits, saisonniers violets, cuves immenses et grondantes, bruits de forges, vulcains barbus mesurant le sucre des raisins, fourmis efficaces et boiteuses aux figures étranges, satyres aux nez rouge, débardant les bennes comme dans un gigantesque opéra spiritueux. Sentiment euphorique d'être un maillon dans une immense machinerie. Alors je lui montre, au caviste, ma cicatrice au doigt, quand au détour d'un bosquet, ma main s'est faite prendre en embuscade par un sécateur ami : "Ce Vin, voyez-vous, c'est peut-être moi qui l'ai fait !"


EDIT : Zut ! J'ai oublié de faire passer la chaîne ! Allez, hop : Mots d'Elle, Spermy (même si son blog a beaucoup contribué à ce tag, déjà), Lucia Mel (ça lui fera une pause dans Bourdieu), Georges Flipo (parce son métier précédent a beaucoup contribué à ce tag, déjà, et que son métier actuel l'oblige à faire des "tags" pour se faire bien voir histoire de donner envie d'acheter son livre), et la Mère Castor (juste pour que alliez faire un tour chez elle).

mercredi 17 décembre 2008

Le tag de l'inculture (1/2)

(Marie-Georges m'a tagué, j'essaye de terminer ce foutu billet depuis samedi !)

En culture, comme en médecine, il y a les généralistes, et les spécialistes. Il y a les professeurs d'université, et les médecins de campagne. Moi j'ai la culture généraliste, et de campagne. Je me ballade avec ma petite mallette de savoir, l'air bonhomme, comme si je disais à la maman inquiète, désignant l'enfant verdâtre avec des pustules sur tout le corps : c'est un rhume ! Un bon grog, et ça ira mieux.

Généraliste, c'est à dire que je sais des tas de choses dans des tas de domaines, mais finalement, rien en profondeur. C'est très pratique pour gagner au Trivial Pursuit : je gagne tout le temps. Par contre, quand je dois soutenir une discussion avec un personnage spécialiste, un qui est dans le dur, au fond du puits et qui creuse encore, ça fait illusion un moment, tout va bien. J'écoute, je fais : mmmh mmmh, l'air absorbé, l'air d'avoir tellement d'éléments et de données dans mon cerveau que le temps de calcul pour accoucher d'une réponse est extravagant. Je me tais, plissant les yeux. Puis je feins de m'évanouir, je tombe en arrière, d'un coup. C'est une bonne diversion. On croit que je fais un malaise. Je ne suis pas démasqué. Et je continue ma tournée de vie, ma mallette à la main, bonhomme.

Quand j'étais étudiant, cette pratique des choses était exaltante. Je me prenais pour un Pic de la Mirandole. Je voulais "éclater les carcans", déchirer les chemises intellectuelles, tel un Hulk encyclopédiste. Mais le temps ayant passé, j'ai l'impression que ma culture s'est affaissée comme une opulente poitrine siliconée.

Voici donc, il faut faire semblant de se vilipender en quelques thèmes :

Théâtre : Il y a longtemps, j'ai été sollicité par des étudiants en théâtre, pour une sorte de mission obscure, factotum, ou joueur de fifre, preneur de notes, cameraman sans appareil, figurant hors-scène. L'étudiante en maîtrise qui m'avait contacté était si sérieuse, j'avais l'impression que ses parents avaient souhaité faire, avec elle, un enfant d'art et d'essai, ou prendre un risque, ou se mettre en danger, comme des Brad Pitt, car ils "n'avaient pas de plan de carrière". Cette fille sophistiquée était l'opposé exact du coussin péteur, l'opposé exact de moi. Écrivant ceci, je me trouve, par syllogisme, assimilé au coussin péteur, image que je réfute aussitôt, bien sûr.

Dans un entrepôt, parmi des étudiants déguisés en bleus de travail, sérieux, mais libres tout de même, elle donnait des consignes à une comédienne. "Traverse la pièce". Après, elle réfléchissait, corrigeait : "Traverse la pièce, mais imagine que tu as un mouchoir d'immobilité dans ta poche." Elle concluait ensuite que c'était très intéressant, et que tout le monde progressait.

Elle m'a raccompagné un soir, et dans une langue étrange - je crois qu'elle utilisait un dialecte qui se nomme le "Marguerite Duras" - elle me dit à propos de mon prénom, en signe de connivence : "Ah, oui. Comme Poquelin...". Je ne sais pas ce qui m'a prit, peut-être pour voir si un lien d'humour était possible entre nous, j'ai répondu avec la vivacité d'esprit d'un steak : "Oui, comme les grues Poclain, je connais. Les chantiers." Puis j'ai gardé une expression de bovin angélique, elle, celle du taxi opaque dans la nuit du destin, et nous ne nous sommes plus jamais revus.

(La pièce, une fois montée, fut très belle, selon des proches).

Cinéma : A Lyon, j'ai travaillé dans un cinéma, au CNP des Terreaux. Mon épouse était à la caisse, et moi, en vigile. C'était une période bénie ! J'étais aussi crédible en vigile que Sébastien Chabal dans un ballet de Micheline Pietragalla, c'était comique. Je m'approchais de ma compagne, dans les couloirs noirs et feutrés, et tandis qu'elle, Juliette dans son balcon à L'hygiaphone, comptait les sous, sa perpétuelle goûte au nez (du fait des courants d'air), moi je murmurais, des milliers de coupons déchirés à la main : "Ces tickets, je les ai déchirés pour toi, tous, les tarifs réduits, les tarifs chômeurs, les pleins tarifs". Elle me répondait, la voix métallisée par le transistor de la cabine : "Oh !"

Cet emploi offrait un avantage : nous avions le cinéma à l'oeil. Parfois, le dimanche, nous enchaînions 5 films. Nous avions la tête éclatée en rentrant, et la nuit était pleine de voix amplifiées et de lueurs. Le jour de l'An, ou à Noël, nous fermions la boutique, la neige tombait, nous saluions les gens seuls, venus peupler leur non-fête par des films afghans.

Sinon, puisqu'on parle de l'inculture, même s'il est d'usage de souligner en filigrane que l'on est "cultivé quand même", je reprends le sujet par les cornes et je garde le cap : j'ai beaucoup aimé Amélie Poulain (et Titanic, aussi).

Je me souviens d'une collègue, discrète parisienne parmi la peuplade souterraine du métro, qui avait vu Amélie le jour de sa sortie. Elle m'a dit, subjuguée, retournée : "J'ai fait une découverte, va voir le film de Jeunet, mine de rien, c'est une perle dans toute cette morosité, une vraie fraîcheur, etc." Ayant vu les "Delicatessen", "machins des enfants perdus", je m'y suis précipité. J'ai, moi aussi, "adoré". Six mois plus tard, tandis qu'Amélie passait à l'Elysée, que Bernadette Chirac envisageait sérieusement la coupe brune au carré, que Raffarin inventait la "positive Amélie attitude", que, dans les publicités, des filles brunes toutes mignonnes oeuvraient pour leur propre bonheur en mangeant des gentils yaourts, ou contractaient de primesautières assurances-vie, la même collègue leva les yeux aux ciel à l'évocation de ce film, répétant : "Que ce film est mièvre ! Que ce film est mièvre ! Ne m'en parlez pas ! Une purge."

(A suivre !)

vendredi 5 décembre 2008

En avant l'amnésique

Je regarde par la fenêtre, j'ai un balcon étroit qui donne sur la rue. J'ai toujours rêvé d'un petit balcon pour y fumer mes cigarettes ; maintenant je ne fume plus, mais j'ai un petit balcon.

Je le regarde et je pense, le visage écrasé contre la vitre : maudit petit balcon. J'ai passé une semaine étrange. Je suis fatigué, comme j'ai commencé une cure de vitamines, je suis fatigué en pleine forme.

A la cantine, le cuistot commence à m'appeler Monsieur Frite. Je n'aime pas ça. Mais comme je suis très ouvert d'esprit, je souris et je réponds : "j'aime les frites, que voulez-vous." Aujourd'hui, Z. est allée à l'hôpital, avec Kéké, comme ce n'était pas grave, finalement, nous avons été soulagés.

Pour me récompenser de toutes mes aventures depuis l'aube de mon humanité, j'ai décidé de prendre des frites à midi. Le cuistot est arrivé, me voyant avec mon plateau orné d'une nappe en papier blanche, il m'a dit, il m'a susurré plutôt, avec une merveilleuse discrétion : "avec ça, des frites ?"

Je me serais cru au Fouquet's, ou dans un bordel de luxe, je me sentais comme le Prince d'un quelconque rocher. Ce tact très hôtelier, cette épochè du patron de bar face à son pilier, c'était remarquable. J'ai opiné, au diable les z'harricots et la glauque engeance légumineuse, donnez moi de la patate, pour que j'ai la patate.

Avec une noblesse achevée, un geste expert et mélancolique, il a sorti la grille de la friteuse, et le produit étincelant de la friture semblait un cabas rempli d'or !

Dans le métro quelqu'un parlait tout seul, je me suis surpris à ne plus en être surpris. J'ai posé mon livre sur mes genoux, et regardé au loin, dans l'infini obscur derrière la vitre, un infini avec moi en train de nager dans la mer, hélant les gens sur la plage, regarde comme je vais loin, vacances permanentes, et une fille pas tellement belle a cru que je la fixais intensément, elle s'est levée quelques secondes plus tôt que nécessaire pour sortir. A la place de cet infini de songe, il y avait une sorte de fauteuil vide.

Kéké est sur le lit, pendant ce temps, allongé, il regarde son chien en peluche, sa bonne fripe fidèle, il lui dit : "tu es beau comme un vieux."

lundi 1 décembre 2008

La solitude de l'entriste au moment d'entrer

Je suis face aux portes automatiques, il faut passer le badge magnétique afin de les franchir. Pour me prendre un café, je dois sortir du souterrain, et gagner le souterrain d’en face. Pour sortir du souterrain, je franchis deux portes automatiques et une porte non-automatique.

La porte non-automatique est en bois. Elle se reconnaît à son opacité et à son inertie toute boisée. Les deux autres, plus loin, sont en verre, elles coulissent à notre arrivée. On trouve parfois un employé, un gobelet à la main, qui patiente devant la porte en bois. L’employé est vêtu en général d'un pantalon en toile gris, monté assez haut au niveau du ventre, juste en deçà du nombril, ce qui laisse entrevoir des chaussettes, et même des mollets. On lui ouvre la porte devant laquelle il est planté, lui indiquant avec gentillesse : « elle n’est pas automatique ! » et il vous répond sèchement : « j’étais en train de réfléchir. » Excuse ou pas, peu importe, on ferme la porte derrière soi. On attend quelques secondes. On ouvre la porte en bois pour voir si tout vas bien. L’employé est toujours là, et répète : « j’étais en train de réfléchir ! »

Les portes en verre, elles, s’ouvrent seules, et lentement. Propres, elles savent se faire oublier à notre passage, et produisent un agréable bruit de glissement feutré. Cela étant, si on avance au rythme triomphant d’un Rastignac du secteur tertiaire, fonçant tête baissée dans les couloirs, on se prend la porte en verre très fort sur le visage. Réflexe pavlovien, au bout de quelques semaines, le rythme de marche est conséquemment ralenti. L’employé lambda avance prudemment, la main au gobelet légèrement aux avant-postes, pour détecter d’éventuelles portes ultra-transparentes, tel un animal craintif dans les couloirs blancs.

Afin de limiter les collisions, de gros cercles rouges ont été disposés au milieu des portes automatiques, à hauteur du visage. La hauteur choisie est standard, environ un mètre soixante-cinq, pour qu’hommes et femmes puissent bénéficier de cette alerte. Malheureusement, les employés nains ont souvent le nez meurtri.

Je tente de revenir dans mon sous-sol, mon café à la main. Il faut retrouver le badge, pour le détecteur. La carte est enfouie dans une poche de mon blouson, parmi d’innombrables papiers. Incommodé par mon gobelet, je ne la trouve pas, je décide alors de faire comme ces gens qui passent leur sac à main, ou leur portefeuille, dans les bornes du métro. Je m’approche donc du détecteur, et je frotte à l’endroit où le badge semble enfoui, au niveau du cœur. J’effectue quelques tentatives, m’y reprends à plusieurs fois, change de position, m’obstine, sautille, me tortille.

Puis, saisi de lucidité, je me représente contre cette paroi, en train d’effectuer des mouvements saccadés de va et viens, désespérés et obscènes, ahanant sur la pointe des pieds ; tels ces primitifs qui souhaitent féconder la Terre, je me surprend à vouloir enfanter mon sas de sécurité.

Une secrétaire passe. Alors que je suis surpris en train de m’accoupler au pylône, je dis, pour me justifier : « c’est que, j’ai du mal à entrer ».

samedi 29 novembre 2008

Les filles s'en vont

Décidément.

Quatorze et demi
.

Quinze.

Quinze et demi.

Seize.

Tout fout le camp, surtout les jeunes filles.

Ce week-end, ma chère Araignée est absente. C'est un week-end d'hommes, des hommes, des vrais. Comme on en fait plus. Ca va pulser de la testostérone. Je suis seul avec Kéké.

Mais ne vous inquiétez pas. J'assure. Comme il est allergique aux produits laitiers, je ne vais pas prendre de risque. Pizzas. A tous le repas. Tomate et fromage, ça ne risque rien.

Bon, je vous laisse déjà, Kéké met les doigts dans les prises, ça fait quinze fois que je lui répète, mais cet enfant n'écoute pas.

Sur ce, au lieu d'écrire des bêtises, je vous laisse en la charmante compagnie des liens d'au dessus.

jeudi 27 novembre 2008

La vie sauvage

Il tape sur des claviers et c’est le numéro un
Dans son île on est fou comme on est informaticien
Sur radio Javascript il a des copains
Il fabrique ses programmes et ça lui va bien !
Il tape sur des claviers il joue pas les requins
Tahiti touamotou équateur c’est pas trop dans son coin
Y’a des filles de partout qui lui veulent du bien (sur sexe point com)
Lui la gloire il s’en fout et ça va et ça vient !


Lalanne dit d’un ton outrageusement docte : tu sais que dans certaines tribus primitives, les gens boivent leur propre urine pour se soigner ? Kevin, le stagiaire, incrédule : tu dis ça pour me faire marcher, il tord la bouche exagérément, on dirait qu’il découvre un gâteau aux blattes pour son anniversaire. Ah non, c’est pas possible de boire sa propre pisse, non, c’est juste pas possible. Si, si, poursuit doctement Lalanne, il y a une grande marmite pour tout le village, chacun y va pour se soulager, et quand le soir tombe, et que la marmite est bien pleine d’urine, le medecine man danse autour en injectant la force des esprits dans l’urine communale, et tout le monde fait la queue pour y boire un godet, ceux qui ont un rhume en boivent deux, ceux qui ont mal à la tête trois, etc. Les femmes qui ont leurs règles en boivent une douzaine, mais c’est peut-être que leur mari ont les boules alors ils se vengent. Et ça marche, ceux qui sont pas adaptés meurent rapidement, les autres survivent, et deviennent plus fort.

Kevin ne répond même pas, il tourne la tête vers le fond d’écran de son écran, ferme rageusement une alerte de sexe point com et cherche l’oubli dans le travail. Trois quart d’heure après il murmure : boire sa propre pisse, non, c’est vraiment pas possible. Il travaille ainsi toute la matinée, avec acharnement, secouant de temps en temps le crâne, maudissant ces tribus de sauvages.

Une heure étant passée, Hermann lâche : et puis bonjour l’haleine.

Tu imagines, poursuit son voisin aussitôt, des indiens dans la jungle qui boivent du pipi à longueur de journée, au bout de quelques années, l’horrible haleine de pisse qu’ils se tapent. Les dents toutes jaunes, le sourire, sympa. Mon Dieu mais quelle horreur, préservez-moi d’être un sauvage, un jour. Lalanne, toujours outrageusement docte, commence : mais l’urée a paraît-il des vertus... Hermann le coupe immédiatement : non, mais certains le font juste pour le plaisir, juste parce qu’ils trouvent ça bon. Hein, Kevin, le désignant de l’index, toi tu boirais pas ta pisse juste pour le plaisir ? Kevin, bondissant sur sa chaise, Kevin révolté, Kevin écoeuré, Kevin outragé, mais Kevin libéré : non, jamais de la vie ! Jamais de la vie je ne boirai ma propre pisse ! Je ne suis pas un sauvage ! Ce n’est pas possible ! Juste pas possible ! Il y avait tellement de conviction dans la voix, c’était touchant. Plutôt me désabonner de sexe point com que de boire mon pipi ! Mais ça, il ne le prononça pas tout haut.

Remarque, fit Romain, une heure plus tard, le silence finalement revenu, l’haleine, c’est un bon moyen de contraception. Tu imagines, les indiens amoureux dans la jungle sauvage, qui se roulent une pelle après le médicament du soir, et qui mélangent la salive et le pipi, font : bon, et bien si on priait les esprits des ancêtres au lieu de se tripoter, tu crois pas que c’est une riche idée, tiens, tout compte fait, maintenant qu’on en parle ? Remarque, hasarde, songeur, Hermann, c’est comme si tu faisais tout le temps des 69. Kevin cherche rapidement un câble USB autour de lui pour se pendre avec, afin de faire cesser les horribles images qui se dessinent dans sa tête, chargée de terribles scènes de sexe, d’urine, de point com, de mygales et de poulets égorgés sous les palétuviers.

Plus tard, il se lève, puis dit, s’excusant, troublé, je vais aux toilettes. Il pense très fort, encore un godet que ces putains d’indiens ne boiront pas, sans doute. Hey Kevin, interrompt Hermann, tu vas pisser ? Ben oui, répond Kevin. Ok, fit Hermann, d’un ton neutre, toussotant, il ajouta : tire pas la chasse, au fait. Je sais pas ce que j’ai, je crois que je couve un truc.

mercredi 26 novembre 2008

La petite sardine

Kéké vient me voir, il rampe au sol, près du lit : « protège moi papa ! Je suis la petite sardine ! » Je le hisse sur la barque, il continue : « regarde, un requin-minou qui me poursuit ! »

Le requin-minou est allongé sur le sol, féroce prédateur orange des mer, chasseur cruel et sanguinaire, il feint la léthargie, en ronronnant, étalé, inerte, mais c'est pour mieux tromper ses proies, les pauvres petites sardines, qui abusées par cette apparente bonhommie se laissent dévorer atrocement, par surprise, puis meurent en agonisant, ou agonisent en mourant.

« Regarde, continue Kéké, le requin-minou va nous attaquer ! » Nous tremblons de peur, blottis dans la barque, sous la couette, tandis que le terrible animal nous dévisage de son œil vert, maraudant autour de nous, se rapprochant peu à peu, mais sans vraiment se déplacer en fait, ronronnant juste au sol comme un gros chausson au pomme. Puis le requin-minou se lève, s'étire infiniment, fait le dos rond, et s'en va lentement, roupiller dans la pièce à côté.

Nous sommes soulagés. La menace est écartée, maintenant. Mais Kéké se penche au bord du lit, et trouve un nouveau danger : « regarde papa, le requin-chaussure ! Il va nous attaquer ! »

Le requin-chaussure attend, tapi dans l'ombre, sa bouche démesurée grande ouverte, pleine de lacets. Il patiente, inerte, objet inanimé, mais c'est pour mieux tromper ses proies, les pauvres petites sardines. Papa protège moi ! Le requin-chaussure va nous attaquer.

Comme la vie est dure pour les petites sardines.

Il y a trois ans, nous avons péché non pas une petite sardine, mais une petite crevette. Je la décortique tous les soirs avec toujours autant d'appétit. Bon anniversaire Kéké !

[image : source]

mercredi 19 novembre 2008

Canalisations et cloisons

Parfois, c’est le silence, chacun tape sur son clavier, il me semble que l’on s’endort au bord de l’eau en écoutant une douce fontaine qui ruisselle sur les galets, sauf que non. Quand on se lève de la chaise, on passe derrière des écrans, le collègue cache rapidement le site rempli de publicités sur les casinos gratuits et les sexes point com pour contempler un fichier Word vide, avec un curseur qui clignote au début de la page.

Le collègue dit : c’est dur, la documentation, je n’ai pas d’idée, je tape depuis une heure, mais là je viens de tout effacer, j’étais vraiment pas satisfait de mon travail, que je suis intransigeant envers moi-même, du passé faisons table rase. Une fenêtre de chat apparaît alors, kikoo ça va tomate75, puis une autre qui surgit d’en haut en vibrant, le service « copain en ligne » qui déclenche son alerte dans la barre des tâches. L’opérateur, déglutissant, ferme, l’air détaché toutes ses fenêtres impromptues, une à une, puis éteint l’écran, tout d’un coup, il dit : je sais pas ce que j’ai, je suis complètement fou peut-être, des fois j’éteins l’écran comme ça, hop, en plein travail. Et l’ordinateur aussi, hop, il donne un grand coup de pied dedans, la machine bascule, produit un bruit de taule en se renversant, je suis complètement fou, dit-il, je ne sais pas ce qui me prend. Puis il se croise les bras à côté de son poste disloqué.

Le plafond est parcouru de canalisations, on entend un bruit permanent, une sorte d’immense ventre qui gargouille ; je regarde par la fenêtre du soupirail, je me dis que c’est nous que l’on digère, là, comme des chips, dans le grand estomac souterrain. Parfois le gargouillement devient trop intense, nous haussons les yeux, curieux, la climatisation casse, et un filet d’eau coule entre nos écrans. C’est embêtant. Nous nous levons, l’eau qui surgit du plafond, c’est la folle sauvagerie de la nature faisant irruption, atroce, il ne manque plus que des loups entrent par le soupirail ou que les ficus se métamorphosent en plantes carnivores, sautillent dans leur pot pour venir nous manger. On se cache tous derrière le chef : chef, protégez-nous.

On se raisonne. C’est juste de l’eau qui coule du plafond, après tout. Ça arrive. Quelqu’un dit : il faut faire quelque chose. J’ai lu dans un forum qu’il y a quelques années, aux Etats-Unis, de l’eau s’est mise à couler d’un plafond, et que tous les gens sont morts noyés dans la pièce, dans d'horribles souffrances. Ils envoyaient des textos, le nez contre le plafond, dans la salle presque inondée : je t’aime maman. Un autre ajoute : peut-être qu’ils étaient occupés à jouer à WoW, ils n’ont pas vu le temps passer, ils se sont dit : ok, l’eau coule du plafond, ok, on évacue, mais je termine juste la partie, juste, juste une petite minute, attends, je ramasse le sac de pièces d’or, attends, je, et paf, noyés. Mais ça arrive.

Il parait encore qu’en Corée, un type est resté un mois à jouer à Starcraft sans boire ni manger, dans son propre bureau, et que personne ne s’en est aperçu ; on lui disait bonjour, bonsoir, il décomposait à vue d’œil, à son poste, dans l’horrible souffrance de la mort, et les autres, tiens déjà au bureau, matinal en ce moment ; tiens encore là, bon courage à demain, quel courage Hakiko quelle abnégation, et en fait on s’est rendu compte qu’il était mort quand son chef a reçu un coup de fil avec une voix surnaturelle qui disait : je suis l’esprit du réseau mondial, et votre collègue en face de vous est mort, je corresponds avec lui par le chat de l’au-delà, son âme est coincée dans un proxy magnétique, et quelqu’un l’a poussé pour voir, ho hé, ça va Hakiko ? et il est tombé en poussière, immédiatement, par combustion spontané. Chez lui, il n’y avait étrangement plus aucun meuble, l’appartement était vide, avec juste une inscription sur le papier toilette : UFO was here.

Le technicien de la climatisation arrive. Que se passe-t-il messieurs ? La climatisation est en panne dit le chef. De l’eau coule du plafond, ajoute avec zèle Lalanne, un collègue caché derrière lui, désignant le jet tombant s'écoulant paisiblement, entre nos écrans. C’est une vraie petite fontaine qui ruisselle, cette fois, le doux clapotis de l’eau. L’envie me prend de m’allonger sur la moquette grise et de siffloter, de faire la sieste. Peut-être faire des ricochet sur l'eau qui monte, avec de vieilles disquettes. Tu imagines dit Kevin un stagiaire, si c’était les canalisations des toilettes qui avait lâché, puis palissant : on aurait été noyé par... par notre propre merde, conclut-t-il, frissonant. Terrible ! Chacun se regarde la bouche ouverte, subjugué par cette hypothèse baroque.

lundi 17 novembre 2008

La grande touillerie aux spatules considérables

Près de la machine à café, on a rangé un type qui est là, toute la journée, à touiller son café. Ça aurait pu être moi, sauf que c’est lui. Pas de chance pour lui. On l’a posé ici, j’imagine, pour faire le figurant dans ma vie. Il porte des lunettes, elles sont très carrées, et grandes, il a aussi de grandes oreilles. Je n’ai rien contre les grandes oreilles, honnêtement, c’est juste qu’il est là, un peu vouté avec des grandes oreilles, son petit duvet de moustache, à touiller son café.

Quand j’arrive, il me regarde les lèvres pincées, absent, muet, un vrai sphinx, il doit peut-être m’en vouloir terriblement de figurer comme ça, dans ma vie, il aurait préféré la vie de Brad Pitt, peut-être, à touiller des mojitos dans des palaces, avec non pas une petite touillette transparente mais un grand bâtonnet vert surmonté d’un cocotier copacabana. Il faudrait que je lui dise, on verra à Noël, désolé mon gars, c’est pas moi qui décide, pour tout ça, moi de montrer du nez les murs préfabriqués.

La machine à café est souvent en panne. Par exemple, il n’y a plus de gobelet. J’entends le cliquetis familier du gobelet qui tombe, sauf qu’il ne tombe pas. Quand ce triste événement se produit, je sais que j’ai perdu mon argent, alors je m’accroupis et je regarde rageusement, avec intensité, le poing serré, le café tomber directement dans l’évacuation, je profite tout de même, à fond, du petit bruit de torréfaction discount, du bip satisfait qui indique « boisson préparée », et puis rien, moi de partir d'un rire sardonique avec mon nez aquilin. Et je médite un peu sur le temps qui passe.

Je dis, à l’usage de mon ange-gardien, j’espère que cette satané machine n’est pas en panne ! Il lâche - autant que faire se peut avec des lèvres pincées, un petit sourire pincé. Il doit me maudire de me constater juste là, figurant dans sa vie de touilleur ; c’est peut-être un bouddhiste du café, il est juste à trente secondes du nirvana quand soudain je surgis, je casse tout, systématiquement, en hasardant d’un ton faussement détaché d’ours puant dans un salon de lingerie : j’espère que cette satané de machine à café n’est pas en panne.

Parfois, je songe à modifier mon apostrophe : j’espère que cette saloperie de machine à café n’est pas en panne. Je le scrute, pour voir sa réaction. Il touille toujours son gobelet, vide, le regard opaque derrière ses grandes lunettes. Il se dit dans son crâne, celui qui se trouve coincé entre ses deux grandes oreilles, je ne ferai pas ça toute ma vie. Puis plus tard, je continue : j’espère que cette saloperie de merde de machine à café pour les connards n’est pas en panne. Je m’approche de lui, je susurre entre les dents serrées : ...pour les connards. J’ai bien dit pour les connards. Il ne dit rien, il vient de jeter son gobelet, il continue de touiller l’air avec la petite spatule translucide qui me fait penser à une aire d’autoroute.

Un jour j’arrive, il est là à attendre les mains dans les poches, le regard perdu au loin dans le vague, comme s'il se prenait pour Arthur Rimbaud, je suis sur le point de dire : j’espère que cette machine à café pour les sous-hommes aux grandes oreilles qui sucent des sorbets à la merde de chien crevé n’est pas en panne, mais je me tais. Je prends mon café. Je le touille, et je ne quitte pas le réduit où ronronnent les distributeurs de boissons et de petits gâteaux, je reste un instant là, les yeux baissés. Toujours les mains dans les poches, il dit comme ça, pour rien, pour lui : ça, c’est vraiment du café pour les types impuissants. Puis il s’en va. Je reste planté avec mon café. Je ne sais pas, je le touille, je pourrais touiller des gens aussi, des tas de gens dans mon petit gobelet qui crient, implorent : non ne me touille pas maître de l’univers ! Hin hin, c’est comme ça, c’est moi qui décide, gens, tiens je te touille ça t’apprendra.

Puis je lui cours après, furieux : Non ! Non ! Non ! Alors là vraiment je ne suis pas impuissant, pas du tout, et je peux te le prouver quand tu veux, alors là, je trépigne, je pleure presque, mais il a disparu.

mardi 11 novembre 2008

Le retour du bonhomme doigt

Le weekend, c’était le retour du bonhomme doigt. Le bonhomme doigt, et les petites voitures.

Le bonhomme doigt regarde passer la petite voiture de Kéké, il s’extasie car elle va très vite, puis la voiture fait demi tour, et passe encore devant le bonhomme doigt qui s’extasie car elle va très vite, je baille, puis elle fait demi tour encore et passe devant le bonhomme doigt. Les enfants aiment l’humour à répétition, mais en fait, pas vraiment l’humour, surtout la répétition.

Z. m’interpelle : et si on allait au Parc ? Je lui répond, poussant un énorme soupir d’ennui : « Oh non, franchement, s’il te plaît, je viens de faire le bonhomme doigt toute la journée, je suis éclaté ! »

Là, Kéké me regarde attentivement, il dit, avec un grand sérieux : « mais papa, c’est bien de faire le bonhomme doigt. »

Je ne sais pas trop s’il me corrige ou m’informe, ou s’il m’interroge. Il regarde sa main, alors, son propre bonhomme doigt, il le toise avec étonnement. Il se demande peut-être si c’est nul, de faire le bonhomme doigt. Je le découvre d’un coup, il a vite grandi, il a trois ans, dans quelques jours. Hier, ce matin, tout à l’heure, il pesait cinq grammes, je le portais avec embarras, il était blanc et rouge comme un filet mignon juste tranché.

Aussitôt, le voyant silencieux, et ne sachant pas comment interpréter son silence, s’il est déçu, je panique : je l’imagine adulte, tenant un blog, en prison, un blog nommé « ce père qui ne m’a jamais aimé », où il raconterait chaque jour comme il fut rejeté par cet homme, le Père, ennuyé, froid, indifférent, bayant aux corneilles, et son vain cri d’amour dans la nuit, tel Guillaume Depardieu, tourmenté, boitant, emporté par la maladie, et moi me tenant ma propre main dans un désespoir sans fin : j’aurais dû faire le bonhomme doigt ! C’était si facile ! J’avais tout à portée de main ! Les doigts ! Le bonhomme !

Aussitôt, je produis un démenti pour Kéké, très sérieusement, je prends la voix qu’ont les pères dans les feuilletons de France Trois, posée, responsable, comme si j’avais cinq enfants à côté façon famille d’accueil, je dis : Kéké, j’adore faire le bonhomme doigt. Pause psychologique. Le bonhomme doigt, c’est le plus beau jour de ma vie. Je sors de ma veste des photos de mes vacances à Leningrad : regarde, Kéké, ça c’est moi en vacances, à Leningrad, avec le bonhomme doigt. Je montre mon alliance, sur ma main gauche : regarde, ça c’est le pacte de l’alliance de l’homme et du bonhomme doigt. Ils sont ensemble pour l’éternité.

Dans le métro, ce matin, j’y pense. Il n’y a pas grand-chose à faire. Ça tourne en boucle. Alors, je remue, une fesse, puis l’autre, comme assis sur un hérisson. Je retourne l’idée dans tous les sens. Peut-être devrais-je lui offrir une paire de gants, pour son anniversaire, il comprendrait que j’aime et je protège les bonshommes doigts du monde entier ?

Demain, je me dis, c’est le onze novembre, c’est un jour férié. Je serai à la maison toute la journée. Méditant toujours, je poursuis, solennellement : main, demain, souviens-toi, les poilus, les tranchés, le chemin des Dames, les millions de bonshommes doigt tombés pour la France dans la froidure et la mitraille, loin de chez eux ; pour eux, ma main, tu tendras le majeur et l’index, et tu monteras sur la cuisse pour aller au sommet de la montagne, et regarder l’horizon plein de petites voitures, et tu recommenceras cent fois sans te plaindre. Sans bailler. Bonhomme doigt, pour toi, demain, ce n’est pas un jour férié.

vendredi 7 novembre 2008

Insignifiantes fins du monde

Elle habite une petite maison charmante. Elle a trois enfants, et un mari. Le mari n’est jamais là, il rentre tard, il a un travail important. Les enfants ne sont jamais là, ils ont des études importantes, des fêtes mémorables, des vies remplies. Le mari, le soir, entre deux monologues, met le linge sale dans la panière de linge sale. Les enfants rentrent dormir, ils ouvrent les placards de la cuisine et prennent des biscuits, il se servent un verre de jus de fruit, il y en a toujours, puis s’affalent dans le canapé et regardent des centaines de chaînes du satellite, exténués par leur vie captivante. Ils mettent leurs habits à la mode dans la panière avant de s’écrouler dans leur lit. Elle prend la panière de linge sale, lance une machine, elle ramasse le linge sec, le repasse, le plie, le dispose bien proprement dans les placards. Tout cela sent bon, une tendre bonne odeur d’ordre, de confort, de maîtrise. Le matin, le mari important se lève, il ouvre le placard de la cuisine, prend du café, des biscottes, il n’en manque jamais, et commentant l’actualité comme un vrai connaisseur, il enfile ses affaires bien repassées, boit son café, et part travailler.

La maison est vide. Elle fait du ménage. Elle lave les vitres, puis les lavabos, puis s’occupe des fleurs dans le jardin. Elle s’assure qu’il ne manque de rien, le jus d’orange, le café, les biscottes. Chaque placard est ouvert, et en un coup d’œil, elle sait. Elle repasse un jean troué du grand, elle ne le recoud pas, la dernière fois qu’elle a recousu des jeans troués, elle s’est faite enguirlander, et en rêvant, elle fait passer le fer brûlant sur le grand A, comme Anarchie. Le pantalon nihiliste est plié et sent la lavande. Quand tout est fait, elle s’assoit, vidée. Elle n’a pas envie d’ouvrir un magasine, elle hésite à prendre un livre. Elle pourrait aller sortir le chien.

Elle décide d’ouvrir un blog.

Elle commence, hésitante, à rédiger de courts poèmes, qui ne riment pas tout le temps. Elle en dit peu, c’est une pudeur, car elle aurait tellement à dire. Elle parle du temps qui passe, du printemps revenu, des merles, de la tristesse, des journées un peu ternes, de l’enfance perdu, de l’été revenant ; elle met une image de fée, une photo de lutin. C’est amusant, ce petit judas inversé, pour que le monde nous découvre lorsque nous sonnons à sa porte. Soudain, elle a un commentateur. C’est un inconnu, un être d’ailleurs, qui vit dans une vaste ville lointaine et qui lui dit qu’elle a beaucoup de sensibilité. Son cœur s’emballe. Elle répond très humblement qu’elle ne mérite pas un tel compliment, qu’elle est une femme très simple, et qu’elle fait tout ceci sans prétention. Elle est très fière.

Elle y songe en rangeant la paperasse.

Elle s’y remet le soir même, emballée. Le mari rentré parle des implications complexes des affaires étrangères, elle opine, toujours, et regarde, distraite, un bouquet de fleurs, tandis qu’il poursuit son pensum pour les murs, elle s’imagine déjà comme ce bouquet si simple pourra humblement faire, peut-être, un article pour son blog, avec, éventuellement, cette même sensibilité.

Un jour, elle en assez de s’occuper de la panière de linge sale. Les enfants, le mari, embarrassés, trouvent la panière débordante, ils tentent malgré tout d’y glisser le linge, qui tombe, ils le tassent de toutes leurs forces, disposent le couvercle de travers. Un matin, un des grands dit : maman, il n’y a plus rien à se mettre, il est vraiment paniqué. Et alors, elle répond ? Tu vois le tas, là bas, tu le prends, et tu fais une machine. C’est aussi simple. L’autre ne comprend pas, puis il s’habille avec du linge qui sent mauvais ; il apprend à faire une machine.

Elle publie, on l’encourage. Elle a quatre ou cinq personnes qui lui ont laissé des compliments ! Plus que toute sa famille en cent ans. Quelqu’un la place dans sa liste de liens, elle se confond en remerciement, et fait de même. C’est un frémissement, ce bruissement d’amabilités, c’est comme un succès en train d’éclore ; une autre vie, une vie masquée, une fête en sourdine, la nuit. Ils sont plein de promesses, ces autres. Ils viennent à elle, spontanément, deviennent presque, comment dire, fidèles, comme des histoires d’amours qui commenceraient juste par ça, par rien, par la fidélité.

Elle observe attentivement, avec un émoi grandissant, les visiteurs qui la visitent. Leur nombre est suffisamment raisonnable, elle peut les reconnaître, les recenser. Elle pourrait faire l’appel. Elle va commenter aussi les autres blogs, comme au temps des salons sous le second empire, elle parcourt ses amis. Toujours, elle laisse des mots, gentils, pudiques, sensibles, elle remercie les autres d’exister, même loin, même ailleurs, même ténus comme des noms d’oiseaux improbables. Ils la remercient, un compliment de sa part, elle qui a tant de sensibilité, c’est un beau cadeau.

C’est une fête permanence de découvertes. Tout le monde découvre tout le monde, et se félicite de se déballer tels des cadeaux, tous plus sensibles les uns que les autres. Elle dit, elle pense, en plaisantant : la concurrence est rude ! Elle fréquente leur quartier, assidûment, fidèle au poste, avec ardeur, mais sait se faire discrète, en dire peu, elle aurait tant à dire, mais elle se fait silencieuse comme si elle avait un trésor ou une malédiction connue d’elle seule.

Ils vont, ils viennent. Certains se font rares. Elle est la plus fidèle de tous, c’est à dire, que les autres, peut-être, sont moins fidèles, en comparaison. Quand ils reviennent, elle leur dit d’un ton doux-amer : vous revoilà, tenez. Vous n’étiez pas venu, j’ai pu voir, depuis un moment ! Elle est indulgente, magnanime, elle sourit, elle comprend. Puis ils viennent encore, et leur dit d’un ton amer, doux aussi, un peu, merci d’être revenu, il ne fallait pas, puis elle plaisante, ne vous forcez pas quand même, moi je ne vaux pas grand chose, je suis dans mon coin, ignorée, mais je m’y sens chez moi, dans cette ombre, je la mérite, sans doute, je ne suis pas de la tribu solaire ; ce n’est pas important tout ça, c’est juste un cirque, chacun fait bien ce qui lui plaît, et lit qui il veut lire.

C’est sûr, elle n’a pas leur talent, à tous les autres, qui s’interpellent, s’apostrophent, avec tant de facilité et d’humour, avec tant de brio, elle, c’est une créature du néant, une mère au foyer – il en faut bien ! - elle est fille de la nuit et de l’oubli ; mais qu’importe. Ils se font des symboles complices, se jettent dans les bras l’un à l’autre, avec de comiques effusions. Elle, elle est comme elle est. Elle parle de l’hiver revenu. Elle observe les visiteurs, s’attristent de ceux qui ne reviennent pas, qui, pourtant, ont expressément mentionné sa belle sensibilité, chez elle, en son temps. Elle se demande pourquoi ils reviennent de loin en loin. Ils ont exagéré leur enthousiasme, sans doute, ou n’étaient pas sincères, ils ont parlé sans savoir, ils se sont emballés, ils ont eu leur toquade un soir, ces individus lointains, si ténus, si peu denses. Un peu immatures, inconséquents ; des enfants. Elles parlent des saisons, qui s’en vont qui reviennent, puis elle parle surtout des autres qui s’en vont, qui reviennent.

Les autres entre eux rient de plus belle. Ils se pensent dans un banquet païen, sans doute, elle, elle est consignée, seule, à la table des enfants, loin de la fête, et trépigne. Elle se tait. Pourquoi parler ? Pourquoi se plaindre ? Qu’ils rient. Ils verront bien, un jour. Ils comprendront, le vide du monde. Ils pleureront, mais ce sera trop tard. Elle dépose un gentil mot, un peu amer, et reste devant son écran, à attendre par email la réponse à son commentaire, elle clique sur rafraîchir, machinalement, elle clique encore, désespérément, mais rien, elle continue à lire d’autres espaces roses et noirs, laisse un mot, encore, et attend ; elle attend des récoltes fraternelles de ses mots semés chez les autres. Mais ils sont absents, les autres, ils se taisent, ou l’ignorent, ou, peu assidus, s’occupent à autre chose que de répondre. Ce sont des gens de peu de réalité. Ou, vaniteux, ils n’ont que faire des autres, ils s’en moquent, de leur humble existence, de leur sensibilité. Ils ont leur vie pour eux, leur vie égoïste, leur corps bourgeonnant autour de leur nombril, leurs aventures superficielles, leurs histoires en toc qu’ils racontent, grotesques, pour amuser la galerie, qui s’amuse, comme une galerie, une galerie de l’évolution, sans doute, avec des squelettes de singe ; voilà ce qu’ils sont, des singes, des petits macaques avec leur blog ricanant ; ils se tripotent, et se nourrissent de poux. Ils se pensent amis, ils se font des serments risibles, mais ils ne sont rien. Rien. Elle clique sur le bouton rafraîchir, mais toujours pas de réponse, un nouveau mail, frisson, mais c’est une publicité de la Redoute, elle l’efface, dépitée ; elle a semé, pourtant, avec sincérité, avec sensibilité, humblement, et cette récolte a la vanité, le culot, d’être stérile. Elle est comme flouée. Comme trahie.

Les masques tombent, sans doute. Son écran est vide. Elle s’en serait doutée. Elle a eu tort, sans doute, d’espérer. Quelle comédie. Il n’y a pas de miracle, jamais. Elle a parlé des fleurs et des saisons. Elle aurait donné un bras, pour les autres. Eux, avec leur minable délire sur un monde à refaire, leur pinailleries sur les gouvernements, alors qu’ils sont incapables de voir la solitude noire quand elle passe, avec toutes ces saletés numériques qui leur bouchent les yeux, ces porcs vautrés dans leur fange de synthèse.

Elle parle dans un billet de sa tristesse, de son profond abandon. Elle lance sa petite bouteille à la mer, abominable mer où elle reste irréductiblement immergée pourtant, et aussitôt, à peine publié, elle rafraîchit encore sa boite à lettres. Son écran scintille, c’est un dîner aux chandelles hystériques, elle seule, en tête à tête, face au mutisme effroyable du monde. Elle veut les insulter, leur dire qu’ils ne sont rien, tous, elle voudrait les traiter de sales petits cons, pour qu’ils réagissent au moins, elle les regarde du haut du fond de son trou, elle les maudit comme un prédicateur à la veille de l’Apocalypse ; ils sont tous, et elle est seule, mais ils seront tous engloutis dans leur château de cartes, dans leur torrent d’orgueil.

Vous n’êtes pas sincères, leur dit-elle, l’index pointé vers l’écran, vous êtes des menteurs, des menteurs prétentieux, des hypocrites, vous vous aimez, mais vous ne vous aimez pas, et nous vous haïssons tous, moi et mes tourments, dit-elle, et ils répondent, bêtement compréhensifs ; je comprends ce que tu vis, il faut savoir passer à autre chose, tu sais, tes mots sont durs mais ils sont vrais, sans doute, disent-il, et je respecte ta douleur, et ils expriment ton mal être avec toujours autant de sensibilité. Quelle bande de clowns. Elle répond, touchée, quand même, aussi douce que son sermon était âpre, merci mille fois pour ta gentillesse que je ne mérite pas et qui me touche vraiment du fond du coeur. Si les autres pouvaient comprendre, eux. Mais ils ne le peuvent pas. Mais peut-être, que toi, le peux-tu, tu es différent, sois à la hauteur.

Elle regarde les visites, et ils sont partis, les autres, mais toujours là, voilà, en fait, ils viennent voir si la folle a pété les plombs, ils observent, curieux, voyeurs, vicieux, pervers, vautours, ils viennent voir ce qu’elle a encore raconté comme connerie, la folle, la vieille folle, celle qui déblatère toute seule sur internet, qui se répand, qui se disloque, ils viennent se repaître et rire de sa misère, et se payer une bonne tranche de rigolade.

Ils me disent, tu attends peut-être trop d’un tel carnet sur le web ; eux c’est sûr, ces monticules de médiocrité, ces morceaux de saindoux gentils, ils n’attendent rien, aucune exigence, aucune honnêteté, aucune rigueur ; ils sont aussi sensibles que les côtes de porc qui se décomposent, glaciales, les unes sur les autres, dans mon frigo pour le repas de ce soir. Ils ne pensent qu’à leur petite gloriole grotesque, leur petit style de branleur. Leur nombril gluant, suintant de leur semence auto-attendrie. Ils m’ont abandonnée. Ils m’ont menti. Ils m’ont trahie.

Elle déteste cet univers tout entier, intégralement, tout est hypocrite, corrompu, les avatars sont les horribles masques du mensonge. Elle voudrait bien le détruire, ce monde, le broyer, le pulvériser, ce nid de lâches. Un soir, comme on tire la chasse, elle détruit son blog. Elle le lance dans le néant, et avec lui, ses ramifications, ses liens tissés vers le reste ; le reste, tout vient avec. Chalut prodigieux rejeté à la mer, ses poissons asphyxiés - la chute entraîne tout, les rires, les symboles, les histoires étranges, les photos de famille, et ça s’évanouit, d’un seul coup. Il ne reste plus rien.

[source de l'image]

dimanche 2 novembre 2008

Les petites bottes (ou le non-dit)

Je n'ai pas vu beaucoup de films suédois, mais je sais quand j'en vis un.

Elle : Oh regarde ! Les petites bottes de kéké ! Range-les dans ce placard, tiens.
Lui : Mais pourquoi faire ?
Elle : Et bien, ça peut toujours servir !
Lui : Mais non, elles sont trop petites, ces bottes, elles ne lui vont plus ! On n'a qu'à les jetter à la poubelle.

(silence)

Elle : Tu n'es pas gentil.

samedi 1 novembre 2008

Les cuistots de l'espérance

Parfois, quand je termine un billet de blog, quand j’y ai passé du temps, et que j’en suis vraiment content, je me sens comme dans Barton Fink. Je tends les bras en l’air, en hurlant, les yeux exorbités : « je suis tout puissant ! » et j’ai envie de descendre danser dans des cabarets toute la nuit, les bras encore en l’air, à hurler : « je suis le Créateur ! je suis le Créateur ! ».

Parfois, je suis normal. Je suis, comme à midi, dans une vaste cantine déserte, à 14h05, face à trois saucisses roses et quarante-sept frites. Les tables vides s’alignent, c’est une sorte d’entrepôt pour manger, avec juste des brocs d’eau marron, interminables rangées des vases sans fleur. Je mange mes saucisses, en silence, et je trouve qu’à ce point là, ma normalité, ça ressemble vraiment à de la normalitude. C’est vertigineux, c’est même un peu grandiose, c’est presque extravagant, ce néant à la mi journée, tandis qu’un cuistot fatigué range les brocs d’eau dans un chariot, ça se dresse dans l’espace, c’est une pyramide, une obélisque, un Taj Mahal de normalité. Je me lève, j’arpente des couloirs blancs, sans croiser personne, à part des meubles où sont stockées des ramettes de papier. Dans ce labyrinthe, je me demande si la théorie de l’évolution n’est pas un vaste mensonge, s’il n’y a pas des bureaux aux couloirs blancs dressés depuis toujours, avec sur la moquette, des petits têtards qui se transforment en homme.

Parfois, quand je suis enthousiaste, j’oublie les débats alanguis sur les blogs, leur vacuité, leur vanité, les plaintes lascives sur les commentaires, et les courtisans, et la flatterie ; les yeux exorbités, les bras tendus en l’air de triomphe, je tape sur mon clavier (non, en fait, ça n’a aucun sens). Et les doigts posés sur mon clavier, plutôt, je tape sur mon clavier. Je pense au peintre qui fustigerait son pinceau, à cause d’une toile qui lui est impossible. Je pense aux peintres, qui, devisant dans un café romantique, parleraient d’envoyer tous les pinceaux dans des maisons de redressement, parce que le pinceau, c’est tellement prétentieux. Alors certains parleraient de peindre avec leurs mains, d’autres de se couper les mains, parce que les mains, c’est tellement prétentieux, d’autre parleraient non plus de peindre, mais de se pendre, parce que soi, c’est tellement prétentieux. Parfois j’y crois, je m’y crois, avec candeur, avec oubli, avec confiance.

C’est la marée haute, et puis c’est la marée basse. Après les métaphores, ce sont les métafaibles. Je me perçois comme l’individu sur sa planche à voile, dans une immensité de sable ; je me dis que descendre de la planche pour marcher me ferait avancer plus vite. C’est l’occasion idéale pour rendre un hommage au cuistot d’à midi.

A midi, j’avais très faim. Le cuistot, un jeune homme avec un calot blanc, a déposé deux saucisses dans le plat. Puis il m’a dit : « je vous en mets une troisième ? ». Emu, j’ai répondu : oui. Ce garçon aime son métier. Il n’est pas mesquin. Il est généreux. Cette générosité, c’est une force, c’est un printemps dans l’automne qui nous embrume. Puis il m’a ajouté des frites, non pas à côté, comme un petit tas ridicule de patates, mais au dessus, plein, dans toute l’assiette, des tonnes de frites, des montagnes de frites, en veux-tu, en voilà, comme des fondations miraculeuses bouchant le trou béant de ma faim pour y construire une nouvelle après-midi. Il m’a tendu l’assiette, magnifique, fabuleuse, et je l’ai remercié. Dignement, virilement, je lui ai dit : « Monsieur, passez un bon week-end ». Il m’a répondu : « Monsieur, vous aussi ». Nous nous sommes compris. Nous nous sommes regardés, Atlas momentanés de toute une civilisation. Cet homme là, c’est l’avenir de la France, du monde, c’est l’espérance.

Je te le dis solennellement : cuistot d’à midi, et tous les cuistots du monde entier, qui nourrissez les gens errant dans les bureaux déserts tandis que l’univers s’écroule, levons tous ensemble les bras en signe de triomphe ! Dansons dans les cabarets pour l’amour du travail bien fait, la science, la joie et l’harmonie ! Victoire ! Victoire ! Victoire !

jeudi 30 octobre 2008

Ready Made 1

Affiche.

La ligne 8, un rail est cassé, le changement provoquera une perturbation de service. Merci de patienter pour la régulation du trafic.

Mode : tous les manteaux stars de l’hiver !

Sexe : l’enquête explosive. Les filles plus chaudes que les mecs ?

Maryline : « pourquoi il m’a demandé en mariage ! »

Alexandre & Cyril : « Notre lune de miel ! »

Exclusif : toutes les photos aux Maldives.

Nathalie & Samantha : Mais oui, elles sont toujours ensemble !

Ce sont des prénoms, je ne connais rien, le néant, je ne sais pas ce que je dois y mettre derrière.

Hier, encore couché à 20h30. Je suis fatigué. J’aurais des choses à faire, mais la plupart sont déjà faites. Ready made.

jeudi 23 octobre 2008

Les touristes

Dans le métro, deux touristes japonais sont flanqués de valises prodigieuses. Je les observe, je reconnais mon propre ahurissement lorsque je suis perdu dans un pays étranger. Là, autour de moi, tout est surchargé de ma propre banalité. L’autocollant du petit lapin qui se pince les doigts dans la porte, les stations, leurs rassurantes et naturelles successions, les strapontins bleus que l’on annexe pour lire en snobant les vieux et les femmes enceintes. Pour eux, il n’y a qu’un Inconnu protéiforme qui se réinvente à chaque instant, sous leurs regards inquiets. Sans compter la massive présence, à l’étranger, d’étrangers.

La rame démarre, et aussitôt, comme des parachutistes proches de l’objectif, la femme se démène atrocement avec son barda pour gagner les portes automatiques, avant l’arrêt suivant. Cela ressemble à un combat. Une piste dans la jungle. Les gens sont des arbres, des lianes, des reptiles placides. Il y a trois mètres à parcourir, la prochaine station est dans trois minutes, et il y a environ sept personnes à cet endroit du wagon. Le calcul est vite fait : ils ne disposeront, au maximum, que d’une minute par mètre pour s’échapper, sachant qu’au beau milieu de ce mètre peut se trouver un autochtone, voire deux, et qu’il faudra le ou les bousculer, s’excuser, le ou les contourner, prendre le risque d’être malmenés en retour, vilipendés, battus, capturés, négocier âprement leur libération pour franchir le mètre suivant. Dans l’hypothèse la plus pessimiste, on peut craindre deux autochtones par mètre, soit six en tout, et donc trente secondes harassantes par tête pour en venir à bout.

En outre, si leur pays d’origine n’utilise pas le système métrique, on peut s’attendre à une distance complètement différente. Là, ce n’est peut-être plus trois mètres français, mais bien, par exemple, une bonne vingtaine de mètres japonais.

La femme se bat ; dans le véhicule quasi désert, elle clame : « Excusez-moi ! Excusez-moi ! ». Des sourires presque attendris se forment sur les visages des autres voyageurs. L’homme lui, ne bouge pas. A la folie du tourisme, s’ajoute la folie du mariage. La femme se retourne et constate l’homme figé à la barre de sa valise, dans le lointain, comme un digne témoin dans un tribunal. Les yeux fous, elle l’incendie par un sermon suraigu. L’homme marmonne quelque chose, désigne la porte, à quelques pas de lui. J’imagine qu’il dit qu’on est pas aux pièces, et qu’il faut deux secondes pour sortir. J’imagine qu’elle lui répond qu’ils vont rater la bonne station, et se retrouver perdus en Bretagne, où des ouvriers vont les attraper pour les transformer en biscuits secs.

La femme continue à fulminer, l’homme cède. Avec sa valise, il se déplace, en marmonnant, toujours, pour lui ; vaine et furtive procédure en appel du mari satellisé. Les voilà entièrement collés contre les portes, corps et âmes, et valises, les nez aplatis contre la vitre. Immobiles, ils attendent la délivrance. Ils sont apaisés, enfin, la panique s’est envolée, le traquenard est déjoué, tous les doigts sont posés sur le bouton d’ouverture, ils ne peuvent pas être au delà de la perfection dans une évacuation de métro arrivé à bon port.

Lentement, la rame entre dans la station. Mais, face à leurs yeux écarquillés, au lieu d’une vaste gare métropolitaine, avec ses bancs, ses poubelles, ses affiches démesurées, ses majestueux Escalators vers les cimes, il n’y a qu’un puissant mur de faïence, un mur de souterrain, à quelques centimètres d’eux, un mur total, obscur, sombre, définitif. Un mur d’emmurés. Sur leur visage, l’horreur et l’incompréhension sont totales.

Une voix, mécanique et douce, susurre :

Descente à gauche dans le sens de la circulation.

lundi 20 octobre 2008

Vendanges (3/3)

Vers dix heures, nous étions semblables à ces camions bardés de nitroglycérine que l’on voit dans le “Salaire de la Peur”, sauf qu’à l’inverse, c’était en cessant de bouger que nous risquions d’exploser.

A certaines tables se prenaient des décisions capitales pour l’avenir du monde. Les poings solidement posés sur la toile cirée, on s’exclamait énergiquement : y’en a marre ! Et on égrenait sans relâche les harassements quotidiens de la nation : les bureaucrates, les institutrices, les chômeurs, les paresseux, les riches, les jeunes, les américains, les pauvres, les plombiers, les américains ; d’un moment à l’autre des hordes de vendangeurs risquaient de surgir furieusement des vignes, d’envahir l’Assemblée Nationale armés de sécateurs ou de serpettes. Responsable, on se servait à boire pour garder son calme, et terminer au moins la récolte. Ailleurs, les révolutions étaient plus pacifiques. D’autres regrettaient amèrement qu’on ne préférât pas la paix à la guerre. Ils secouaient la tête, affligés par le monde comme par un enfant capricieux. Tristes de leur précoce sagesse, ils trouvaient que c’était cher payé, cette lucidité, qui les privait du bonheur d’être des imbéciles, et ils traînaient courageusement leur clairvoyance comme une malédiction.

Manu, dans son coin, écoutait, légèrement vague, un œil dans l’oreille, l’autre sur le menton, il acquiesçait, secouait parfois la tête, et ce mouvement le mettait en péril, il le regrettait aussitôt ; puis voulant s’assurer, il s’ancrait à la table au moyen d’un coude qui glissait aussitôt en dessous, on lui disait tiens, sers nous donc un coup Manu, ne perds pas la main, il la tendait vers la bouteille, attrapait l’image de la bouteille qui apparaissait à côté de la tangible, puis méditant sur cet échec il ramenait sa main pour soutenir son menton, exécutant une caricature outrée de l’homme sobre. Puis il posa son coude sur le bord de la table, traîtresse table qui glissa au dessus du coude ; par diversion, il tendit de nouveau la main vers la bouteille, atteint enfin la véritable bouteille, mais renversa des verres au passage, et une bouteille d’eau, il fut surpris, mais elle était transparente. Il proposa à boire à son voisin, en versa une rasade dans son assiette, une dans la salière, une dans le cendrier. Hésita, puis s’y remit méthodiquement, remplit encore le double du verre, tandis que le vrai verre demeurait vide, et tel Platon affligé par les mythes des casernes, non, des cavernes, il but un peu au goulot, et planta la bouteille dans le cendrier, avec un geste définitif de commissaire-priseur.

La soirée passa.
La troupe des vendangeurs s’étaient éclaircie au feu du canon, et il ne restaient que les valeureux à chasser du bout du doigt les miettes de pain répandues sur la table. Après les conversations, on avait chanté, puis ce fut le moment des déclarations profondes, des marques d’amitiés sincères. Chaleureusement, on se mettait des tartes dans la gueule. Toi je t’aime. C’est beau la vie. On est pas bien là ? Je suis vraiment fier de vous connaître tous. On fait vraiment une bonne équipe. Et on portait un toast à l’amitié, la liberté, l’infini.
Quelques saisonniers s’excusaient déjà, se retiraient dignement, pour retrouver leur unité perdue dans la campagne déserte. Quelques uns sortaient dans la nuit faire une pause, et au spectacle de la lune se lançaient dans des spéculations astronomiques et métaphysiques, fascinés, presque flattés, de leur folle petitesse devant la grandeur des choses. Puis ils pissaient romantiquement, surplombant un fossé comme le dandy sur sa falaise.

Tout à coup, ce fut une exclamation de stupeur : il n’y avait plus rien à boire. Les cadavres de bouteille se dressaient sur toutes les tables, violet mausolée autour des jeux de cartes et des cendriers ; tout était rincé, le vin, l’alcool à brûler, le white spirit, le mercurochrome, le désinfectant ; des malheureux se prenaient le visage et gémissaient, on regardait à travers les bouteilles vides comme dans des longues vues, à la recherche des lointaines îles Pinards, on essorait les torchons qui avaient servi à éponger les tables ; on ouvrait les placards, déplaçait les meubles, soulevait les napperons, fouillait dans les poches. Soudain, une sorte de Danton se dressa sur sa chaise. Il écarta les bras, la bouche tordue, les poings serrés, le regard dément, il clama sous sa perruque : de l’audace ! Toujours de l’audace ! Encore de l’audace ! La fille du patron ! Et il tendit l’index d’un geste tragique en sa direction. Et tous les regards se tournèrent plus ou moins vers elle, avec une précision floue vue l’heure, certains tombèrent, étourdis par un tel mouvement. La fille du patron ! Et la clameur redoubla. La fille du patron gloussait, et tous l’imploraient, à genoux, la suppliaient, nouvelle Jeanne d’Arc des inondés, madonne des pochetrons. Elle se leva, et tituba, les autres se levèrent et titubèrent, et de la poche de son blouson sortit les clefs de la cave qui tintinnabulèrent comme une flûte enchantée.

Des hourras firent vibrer les murs. On se serrait dans les bras, il y avait des scènes de liesses, d’incroyables élans de fraternisation, l’armistice d’avec la sécheresse était signée. Pétrole ! Dallas ! Elle sortit dans le jardin, suivie de son bataillon en désordre, chantant à tue-tête : Fanchon, quoique bonne chrétienne, fut baptisée avec du vin, un bourguignon fut son parrain, une bretonne sa marraine… La brigade dévalait tandis que certains sifflaient : chut ! inquiets des clameurs sous les fenêtres des vignerons.

Les portes de la cave s’ouvrirent. L’air confiné s’échappa des lieux, une odeur de moisi et de terre humide nous arrêta net. On entra lentement, impressionné, le silence retrouvé dans l’obscur souterrain à l’écho sépulcral. L’émotion était vive, les gorges serrées, il semblait à certains qu’on découvrait un tombeau de pharaon, qu’on profanait une crypte sacrée ; des dizaines de tonneaux, farouches géants de bois, sarcophages debout des dieux cachés, s’élevaient, à perte de vue, ce qui était aisé vu qu’il faisait noir. L’un de nous ouvrit un robinet, le vin coula, d’un jet puissant, fourni, qui semblait ne jamais pouvoir s’arrêter. On en but. On recommença. La soirée venait de renaître de ses cendres. On remplit de nombreuses bouteilles, qui tintèrent au retour dans le panier métallique tandis que les hirsutes et les originaux s’exclamaient en trébuchant au moindre pissenlit : voici le marchand de lait !

J’errais longtemps dans la nature, il semblait que le monde au volant d’une voiture faisait des tonneaux interminables dans des ravins lumineux. J’embrassai un arbre, cueillis une fleur, pissai dans un fourré, m’apercevant trop tard qu’il y séjournait un collègue non identifié. Au loin, dans des enclos, des terrains, un cheval hennissait, quelques individus titubaient au hasard, vomissaient et tombaient inertes, dans un trou, un arbuste, un puits, des géraniums. Quand je m’arrêtais, le monde tremblait, les objets se répétaient devant moi dans un film très saccadé, une lanterne magique hystérique ; il était impossible de se déplacer, on tombait juste d’un endroit à l’autre, se projetant plus loin pour se mouvoir.

J’étais seul, puis rien, puis j’étais de nouveau parmi eux. Hommes, animaux émouvants ; on se répandait, c’était percé de toute part, ça jaillissait de partout ; on se faisait des déclarations et des serments. Certains vomissaient ayant perdu tout entrain, tandis que le compagnon, le collègue, l’ami, le congénère torché, l’épaulait, l’accompagnait. Socrate du renvoi, sage-femme du dégueuli, penché avec empathie sur le malheureux ; vas-y, disait-il, ne t’inquiète pas, ça arrive à tout le monde tu sais, on est tous des frères pour la vie ; merci tu sais, ce que tu as fait là, je ne l’oublierai jamais, pour toute la vie entière, et ce jusqu’à la mort, je ne l’oublierai jamais que tu as été là quand j’étais malade comme un chien ; bah, c’est tout naturel, tu aurais fait ça pour moi, la même chose. Et l’autre faisait la même chose, aussitôt.
Manu, face aux étoiles, invoquait l’étanchéité ultime, la mobilisation générale de son être, et il chantait du vide, et fier, triomphant, parti, laminé, sans souvenir, sans mélancolie, il se tenait droit, immortel, face aux puissances du cosmos, lui, plus peuplé que la lune, avant de céder, de plier, de se recroqueviller près d’un buisson. Il appelait ça « poser un renard », petit visage d’un animal orange dans les prés verdoyants.
S’allumer des cigarettes à l’envers, brûler le filtre orange, s’étonner. Voir des soucoupes volantes. Entendre quelqu’un ânonner une confiture de mots sans langage, partir plus loin. Croiser un inconnu, l’oublier aussitôt, oublier de l’oublier, c’est à dire s’en souvenir, lui parler, lui déjà disparu.

Soudain, ce ne fut plus possible. Les êtres du vin mettaient à sac mon organisme, ma conscience, anéantie derrière sa ligne Maginot, capitulait ; j’étais possédé ; j’en appelai à l’exorcisme de mes doigts. J’introduisis l’index et le majeur au fond de la gorge, comme on fait charger la troupe, acculé, j’envoyai la charge contre la chienlit ; pétrole ! Mais à l’envers, je rendis le vin emprunté tel mes livres de bibliothèque. Et je restais de longues heures dans cette attitude, la garde mourant mais ne se rendant pas, moi rendant beaucoup, et une fois vide tel une morne plaine, je fus rincé des choses matérielles. C’était une belle victoire du rien contre le mal.

Plus tard, les arbres courraient autour de moi. Ça ne s’arrêtait jamais. Je cherchais un endroit où je ne serais pas, où l’on m’épargnerait ma présence. Je piétinai un vendangeur, et comme c’est parfois le cas dans l’ivresse extrême, nous nous excusâmes avec obséquiosité ; oh, désolé, dis-je en tombant, il n’en est rien, je vous en prie, répondit l’inconnu le visage dans feu son repas. Puis je sombra, ou je sombris, enfin, je sombrai, Titanic de moi même, capitaine à ma barre. Des faunes jouait de la flûte de pan, dans les bosquets de la nuit. Des centaines de fourmis fomentaient une révolution. Je décidai, étalé dans l’herbe tendre, excédé par la cacophonie du calme nocturne, de ne pas me relever tout de suite, je m’accordai une minute sabbatique. Le jour commençait à se lever. Quelques lapins blancs merveilleux vinrent me renifler les narines. C’était le silence, un silence orchestral. Me tournant vers le ciel, j’eus une révélation. Il fallait enfin le construire, ce monde idéal, où chaque chose n’était que légèreté, luxe, calme et volupté. Des larmes aux yeux, je commençai à prier, je déclarai hors la loi toute forme d’ivresse, je militais pour d’intransigeantes prohibitions, j’improvisai un hymne aux sources limpides de la montagne où s’abreuvent les nymphes, je déclarai venu le royaume de la paix et de l’harmonie où les enfants magnifiques font de la harpe. La Sainte Vierge m’apparut, elle avait cet air narquois que je lui connaissais, elle enjamba Manu qui ronflait, épave engloutie dans les trèfles. Elle me demanda si j’étais enfin prêt, avec son éclat de lait et sa couronne d’or, si je renonçais à ma vie sans but et sans lumière. Elle me regardait, spectre indulgent, moi ayant bu des milliers de vins démoniaques, elle me regardait comme s’il y avait, pour tous, les faibles, les minables, les nuls, les fous, les terrassés, les idiots, les torchés, de l’amour et de la bienveillance, intarissable, comme le vin dans les tonneaux de la cave. Le ventre labouré, est-ce que j’étais prêt à renoncer à tout ; je répondis bien sûr que oui. On a tous droit à une cinq-centième chance.

Toujours ballotté par le ciel, le sol se dérobant comme si je tournais dans une machine à laver, je rampai près de Manu. Je le secouai ; il dit quoi qu’est-ce qui se passe ; ne restons pas là, allons nous coucher, pour de bon. Puis, clochards siamois, animal à quatre jambes, nous regagnâmes le dortoir. Je le bordais, lui, balbutiant son incohérente gratitude, carcasse puante au pantalon solide. Puis je m’allongeai. Enfin. Le dortoir faisait toujours le grand huit, tombant dans l’espace, et je murmurai, pour moi, pour les autres, pour la joie : bonne nuit les petits. Je fermai les yeux, me tournai, ramenai le coussin froid contre mon visage, et me blottis dans les couvertures délicieusement rêches, et alors la sonnerie du réveil hurla dans toute la pièce ; une nouvelle journée de vendange commençait.

FIN


Boomp3.com

jeudi 9 octobre 2008

Vendanges (2/3)

Il était neuf heures six. Finalement, j’acceptai un premier gobelet de vin. C’était un petit gobelet en plastique blanc, je contemplais avec appréhension le liquide rouge, épais, poisseux, façon huile de vidange. Un scooter n’en aurait pas voulu. Les yeux baissés vers lui, je retardais le moment d’y goûter, accaparé par mon festival de crâne. J’hésitais même à le jeter derrière un buisson, discrètement, voire à collaborer avec de l’eau. Celui qu’on appelait Manu passait dans les groupes silencieux, avachis pour la pause dans l’herbe trempée, avec son cubi à la main. D’un ton enjoué, il tentait : allez, un p’tit canon ? On ne répondait pas. Il me faisait l’effet d’un chauffeur de salle dans une maison de retraite, lors du spectacle de quinze heures, le dimanche. Il se décida à montrer l’exemple, et se servit un gobelet de vin. Regardez ! Il est très bon. Santé ! Il le but, cul sec, et pendant une fraction de seconde, il se figea, arborant le visage dévasté de remords du pilote d’Enola Gay au dessus d’Hiroshima.

Un premier verre de vin au réveil donne l’effet d’être à vous tout seul un vieux couple ; vous et votre ventre n’échangez pas trop de paroles, vous cohabitez en haussant les épaules, vous devinant du coin de l’œil. Votre tête est au dessus de tout ça ; hautaine, elle toise les viscères prolétaires qui font le sale boulot, tandis que, juchée au sommet, elle profite seule du bénéfice des illusions. Finalement, je portai le gobelet aux lèvres. Le goût âcre me fit frémir, je fis une moue de dégoût. La deuxième gorgée fut moins pénible.
A la troisième, l’étau qui compactait mon cerveau se desserra un peu. On aurait dit une petite voiture compressée par César qui reprenait peu à peu sa forme initiale. Le chauffage central se mit en branle, la tuyauterie craqua. Un vendangeur accepta lui-aussi, résigné, un autre pour se donner contenance, faire comme le voisin, un parce qu’il avait vraiment froid, un par conviction, parce traditionnellement il le fallait, parce que c’était le destin ou la fatalité.
Une fois le premier verre passé, le salami à l’ail rose bonbon nous parut appétissant, nous le posâmes sur une tartine de pain, avec une Vache qui Rit et du chocolat. Quelqu’un tapa dans ses mains. Il fait frais, clama-t-il ! Son voisin, faisant craquer ses articulations, poursuivit : quel temps atroce ! Un autre : j’aime le sexe ! On poussait des soupirs. On se levait. On s’étirait.
Nous repartîmes pour une rangée. Un vendangeur, humoriste en série, nous gratifia de sa blague favorite : « j’espère qu’on ne va pas avoir un contrôle anti-dopage au sommet du col ! » Puis il rit trop fort, comme s’il découvrait la plaisanterie tout en la racontant.
A la fin de la seconde rangée, Manu se donna moins de mal, son cubi à la main. Des gens allaient le trouver. Il se formait naturellement des queues autour du ravitailleur.

Déjà, dans mon imaginaire et saine orangeraie, fantasmée le matin au réveil, un équilibriste se cassa la figure, une gymnaste polonaise péta en effectuant le grand écart. Il était dix heures du matin, et la journée commençait à finir. Le dos plié, tantôt assis, tantôt accroupi, tantôt les jambes droites mais le bassin recourbé, nous cherchions la position la plus endurable, alternant les figures comme des contorsionnistes chinois. Sur les mains, la tête entre les jambes, à trois les uns debout sur les autres, en pyramide. Vers onze heures, le rythme était retrouvé, nous faisions corps avec la vigne, avec la terre. Bandeau dans les cheveux, capuche nous camouflant, imperméable vert, Rambo vendangeur trahi par les siens, nous nous serions cachés dans les arbres, le sécateur à la main. Le vendangeur comique, au milieu, s’exclama : attention au contrôle antidopage les gars, en haut du… mais il ne put terminer tant il riait encore.

Maintenant, à la fin de chaque rangée, le peuple réclamait sa pause digne de ce nom : bientôt, Manu avec son cubi ne savait plus où donner de la tête. On le hélait de toute part, on vociférait : Manu ! Un canon ! Tu crois qu’on va y passer la journée ? Visages carrés, mains sanglantes, poings sur les hanches, nous prenions des poses d’affiches soviétiques où les travailleurs austères méditaient, schématiques, sur le bonheur laborieux du monde. Quel bon rendement, patron, disions-nous. La production est bonne. Le raisin est beau, la raison est belle. Un landau dévalait la colline, entre deux lignes, tandis que les canons tonnaient en étant bus.

Vers midi, nous avions l’air de sac poubelle. Les vallées n’en finissaient jamais devant nous, Sisyphe du spiritueux, avec des maisons, des routes, des camions, des villas orange et moches de parvenus où des piscines grisâtres abritaient des crapauds. Celui qu’on nommait Manu tanguait dans les rangs avec son cubi sans fin, prenant des pourcentages exorbitants de vin sur les livraisons qu’il effectuait. Puis il regagnait le tracteur, franchissant les rangs de vignes en les enjambant de moins en moins, c’est à dire en se cassant la gueule de plus en plus. Dans nos cerveaux il y avait de plus grands projets, le répertoire décuplé des chansons dont on ne sait que le début, il y avait beaucoup plus de grands espaces pour certains, beaucoup plus d’amour du travail bien fait pour ceux-là, ou beaucoup plus de révolte, beaucoup plus de rien chez les derniers.

Au goûter, on mangeait du chocolat au vin, puis des tartines de vin. On but aussi du vin. Le vendangeur drôle riait seul, par terre, semblant étouffer, il n’arrivait même plus à commencer sa blague, on venait le voir, inquiet, il bafouillait, secoué de spasmes, pleurant de joie : « Attention… contrôle… dopage… en haut ». Pour rire, un jeune homme lança une grappe dans le visage d’un collègue. Celui-ci répondit plaisamment en projetant deux ou trois grappes bien mûres, en retour. Un autre s’empara d’un seau débordant de raisins pour fracasser quelques crânes, puis on projeta des grappes de cailloux, puis des grappes de coups de bâton, puis des grappes de poings dans la gueule, puis on se faucha avec le tracteur, puis on se flingua au 22 long rifle, puis on se pulvérisa dans le pressoir ; c’était une bonne ambiance.
Manu rampait à présent, son cubi à la main, une pile de gobelets dans l’autre, et proposait du vin aux fourmis, puis, se retournant sur le dos, il tétait le récipient comme un petit veau blanc venant de naître.

A six heures du soir, comme tous les jours, le même choix cornélien s’imposait à chacun. Une fois ivre, il fallait choisir entre le repos ou l’abus. Si l’obus est terrible pour le soldat, l’abus est fatal au vendangeur. Celui-ci, rentrant au bercail accroché d’une main distraite à un camion, agite ses autres bras, pour saluer des inconnus, pisse sur les voitures de tourisme, ou montre ses fesses, il lance des raisins sur des adversaires complices, ou sur lui même quand personne ne l’aime.

Le calme cotonneux du travail harassant, mais achevé, enveloppait les monts. Après avoir bu quelques petits verres de rouge le temps de descendre du camion, nous arrivâmes devant la propriété. De courageux taciturnes, garçons fermiers, fils du pays, gars du cru, lavaient studieusement les comportes et les seaux au tuyau d’arrosage, les autres, les gars du cuit, se tenaient, tangibles, roseaux ployant mais ne cassant pas, un gobelet de rouge à la main. Ils étaient plantés en petits groupes, tours de Pise pivotant au gré du vent, d’autres s’appuyaient contre un arbre. D’autres s’appuyaient contre des herbes hautes ; tombaient. Le patron parmi la troupe plissait les yeux, regardait sa vieille garde, visage parcheminé du tronc d’arbre, il nous proposa un petit verre de vin blanc bien frais pour l’apéritif.

A l’intérieur de la cave humide, des tonneaux de centaines de litres dormaient dans l’obscurité, mausolée gaillard des esprits assoupis. Le patron prenait des verres à pied, rangés à l’envers au dessus du lavabo ; fins récipients de cristal, il les tendait solennellement à chaque vendangeur qui, sale, gluant, humble, taiseux, pinçait entre les doigts son lumineux ciboire. Une conversation rustre s’ensuivit sur les grandeurs et les désastres de la terre et du temps qui passe. Le raisin était beau, mais on craignait les orages. Chacun tenait des propos virils et modestes, rivalisaient de concision et d’austérité sous le regard bourru du patron.
Celui-ci proposait encore un verre, on disait oh non, ce n’est pas raisonnable, je vais finir pompette, puis le patron répliquait ne fais donc pas ta mijaurée, puis l’autre cédait, buvait du bout des lèvres en prodiguant de coquets slurps.

Manu attendait, seul, assis à l’arrière du camion, abasourdi, son cubi presque vide dans la main gauche, un gobelet restant dans la droite. Il regarda l’un et l’autre. Il réfléchit longtemps. Pour ne point s’encombrer, il décida le finir le cubi et le gobelet, ou l’inverse, et voulant se mettre en route pour le repas, s’aperçut trop tard qu’à l’endroit où il marchait la remorque du camion était déjà terminée, loin derrière, et constatant le vide sous ses pieds, il tomba par terre.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...