mardi 14 décembre 2010

Les Loutres


Je me suis réveillé ce matin, les deux loutres qui me servent de famille dormaient encore. Le Mercredi, c'est Mercredi-Retard. Je me traine à la cuisine, il fait très jour.
Je regarde la grue qui, à cinquante mètres de moi, transporte des véhicules. Je me dis que ça serait spectaculaire si elle s'écroulait, et je chasse cette pensée mauvaise vite, tout en pensant que ça ferait un début de journée d'enfer si la grue tombait, tout de même. Comme il y a une école maternelle et une maison de retraite autour, je me dis pour faire bonne figure "ça ne serait pas juste qu'elle tombe dans l'école, pour sûr, mais plutôt sur les vieux", et je me sens mieux.
Agitant mon café tandis que les autres se lancent dans une hibernation hardie, je pense aux papous de Gainsbourg, dans Melody Nelson, "Ces naufrageurs naïfs armés de sarbacanes / Qui sacrifient ainsi au culte du cargo"
Je pars. Il fait froid. J'ai l'impression d'avoir un casque de musique vissé dans les oreilles, je devrais mettre un bonnet. Je lis au passage une énième recommandation accrochée aux murs de l'immeuble. Et il ne faut pas garer trop sa voiture dans l'allée. Et il ne faut pas trop allumer la lumière dans la cave. Et il ne faut pas faire trop un barbecue dans l’ascenseur. Et il ne faut pas trop déménager avec des trop cartons dans des trop camions avec des trop gens pour le bien de tous. J'imagine le métier étrange qu'est rédacteur de messages informatifs dans le syndic d'immeuble. 
J'ai remarqué que ces fils de chacals avaient diminué la minuterie de la lumière dans la cave. Je dois aller plus souvent allumer pour ne pas me retrouver en plein Vendredi 13. J'imagine la réunion des eux contre moi, autour d'une table, déterminés à un plan d'action pour limiter les abus de lumière dans la cave ; ils doivent porter des badges. Peut-être même qu'ils ont un salut spécial, entre eux. L'aile dure du groupe doit militer pour la lampe de poche. L'aile progressiste pour un bouton qui tourne. Représailles. Je me demande si en sciant un des pieds de la grue, il n'y a pas moyen de leur donner une bonne leçon.
Le local poubelle a encore un interrupteur normal d’électricité. Havre de paix et de la vie à taille humaine que cet endroit préservé. J'y pense souvent, au local poubelle, quand je suis en détresse de liberté.

lundi 13 décembre 2010

Notre Père-Noël qui êtes en Laponie

En ce moment, Zacharie n'arrête pas de me poser des questions impossibles. Je me demande s'il existe un Conseil Supérieur de l'Education, une Cour Européenne de la Vérité Pédagogique, pour me sortir de ce pétrin.
A cet enfant, j'ai essayé de raconter les choses le plus logiquement possible, de manière rationnelle, pour essayer qu'il devienne aussi intelligent que moi, ou, si cela est placer la barre trop haut, aussi intelligent que sa maman. Parallèlement à cela, nous avons tâché de garder une part de magie, quand même, car l'enfant aime le n'importe quoi, comme la tarte au caca, ou les répétitions interminables, ou les poneys volants.
L'explication rationnelle est pratique, pour dissiper par exemple les craintes se dissimulant dans les recoins de la maison ; pour disperser les vampires, les fantômes car techniquement, cela n'est pas possible. L'enfant qui grandit voit un monstre d'intelligence lui pousser dans la tête, et cette puissance lui fait peur, et se répand partout, dans les placards et sous le lit. Je lui montre d'ailleurs, en exemple, moi : "Est-ce que j'ai peur des vampires volants ?" (je prends l'air placide et joyeux de quelqu'un qui n'a tout-à-fait-pas-peur, l'air foufou du cartésien comblé et sans crainte). "Et bien non !" et dans ma forteresse d'adulte nettoyée définitivement des fantômes et des monstres, je peux m’apprêter à voir le "Retour des Morts Vivants" en toute quiétude.
D'un autre côté, la tentation est forte pour les adultes dotés d'une carte "Carrefour" de préserver cette zone floue et étrange se situant avant la compréhension froide du monde, où l'on aperçoit le raisonnable au bout d'un tunnel de chaos, où le doute n'est pas triste mais plein de potentialité. Quelque chose que j'aurais du mal à expliquer nous convainc de garder encore quelque temps en vie les petits lutins qui fabriquent des jouets, entre autres, ce pays où vont les animaux morts. Cette magie là, qui ne plait plus aux adultes (je n'aime pas le principe du "rester en enfance"), on souhaite ne pas la saper trop tôt, peut-être pour donner le loisir de se métamorphoser.
Or donc, j'étais l'autre jour tranquillement assis par terre, quand mon fils a commencé à me poser des questions fort précises et techniques, après des jours de réflexions, un peu comme ces ordinateurs ancestraux qui imprimaient le fruit de leur travail après des nuits de calcul :
"Le Père-Noël, où habite-il exactement ? Pourquoi il vit dans un pays froid, et qu'il ne s'est pas installé dans un pays chaud, surtout qu'il est vieux ? Pourquoi il est vieux, quel âge il a, s'il n'a pas d'âge, pourquoi il n'est pas jeune ? Est-ce qu'il va mourir un jour ou pas ? S'il ne meurt pas, pourquoi il est toujours vieux, et pourquoi il est pas resté jeune du fait qu'il ne vieillisse pas ? Comment il fait pour entrer dans la chambre de tous les enfants du monde ? C'est possible ? Alors les monstres et les vampires aussi peuvent entrer dans ma chambre comme ça ? Pourquoi ses rennes volent ? Pourquoi ils sont magiques ? Ça existe les animaux magiques ? Pourquoi le Vélociraptor avec ses plumes ne pouvaient pas encore voler du fait de l'évolution des espèces, et le Renne magique du Père Noel peut voler alors qu'il n'a même pas de membrane comme les chauves souris ou de plumes comme les oiseaux ?"
Après une pilonage de questions similaires, véritable Pearl Harbour sur mes certitudes pédagogiques, le mieux est de s’asseoir en tailleur, et de commencer par "écoute...", et de balbutier n'importe quoi, de préférence la bouche pleine, sans trahir de secret, tout en étant honnête, et en mentant sans trahir la vérité. Jamais pris de court sur la marche des planètes, jamais avare d'une pédante envolée lyrique, je suis alors tout muet et tout interdit. Des fois, je crie : "regarde ! le chat clignote des yeux !", et la diversion fonctionne.
J'ai plus tard eu droit à une seconde couche, sur le "pays des morts" où séjourne notre chat roux parti il y bientôt deux ans. L'enquête est précise sur sa localisation exacte : dans l'espace ? Dans le ciel ? Entre les nuages et l'espace ? Posé sur des nuages solides ? Ou bien sous la terre ?" La question revenant, je tente diverses réponses : je dis mystérieusement que c'est un symbole. Je dis aussi que l'humanité n'en sait rien car c'est l'Inconnu. J'ai aussi dit que, logiquement, ça devrait se situer vers Saturne, car il y a de la place, et des anneaux.
Lorsqu'il me demande tout ça, il me scrute, avec dans son regard une confiance terrible. Le monde du merveilleux protège, colmate, mais dans l'humanité qui croit, il inquiète aussi. Vient un jour le moment où la vérité est une déception, et un soulagement. Je ne me souviens plus bien, quant à moi. Ceux qui ont toutes les solutions dans leur poche n'ont sans doute pas traversé beaucoup de mystères.

lundi 6 décembre 2010

Les Amateurs

En ce moment, nous répétons pour un concert d'élèves chanteurs, de l'école d'Emeline ; ce sont des amateurs. C'est un de mes moments préférés, dans la vie.
J'ai fait un stage de musique Klezmer cette année, avec un pro qui comme tous les musiciens classiques a tenu la conventionnelle et attendue sortie sur le monde du conservatoire "qui est trop cruel et inhumain", et les amateurs qui sont formidables. Parlant des musiciens amateurs, avec une élève du conservatoire en train de passer son prix, il avait vraiment l'air bonhomme du représentant en Canigou, qui répète "c'est vraiment délicieux !" mais qui n'en mangerait pour rien au monde. 
Non pas qu'il ait tort : quand un musicien atteint un grand degré d'excellence, il lui devient difficile de revenir ramer avec des amateurs, surtout que, accompli techniquement, il lui reste tant de choses à explorer musicalement, intellectuellement que le fait de revenir en arrière avec ceux qui rament avec leur doigt doit être déprimant, j'imagine. Mais il n'est pas non plus obligé de dire que les "amateurs sont formidables".
Les amateurs sont formidables. Je suis moi-même un amateur. C'est amusant, car les amateurs que j'accompagne ignorent souvent que je suis moi même amateur, parce que je suis dans le groupe qui accompagne, et qui tels les Corses ou les Ibères ont l'air ténébreux et concentrés ; et j'en joue : quand ils expriment leur crainte, j'en rajoute : "le pire c'est quand le public sort les cageots de tomates, ou commence à huer, ça arrive souvent, c'est horrible". Ils deviennent livides, et j'éclate d'un grand rire formidable, car je suis moi même formidable.
Certains "amateurs" vont faire leur premier concert. Ils sont tendus, excités, dans tous leurs états. Ils ont envie de mourir, de partir en Uruguay se cacher. D'autres sont concentrés, façon commando au dessus de l'objectif. Dans ces concerts, certains ont dix ans, ils vont chanter "Capitaine Flam", d'autres vont vraiment tout donner, avant de reprendre leur vie d'instituteur, comme je vais reprendre la mienne d'informaticien. Avant d'entrer en scène, ça sent la peur. Ils sont bien habillés, maquillés. Il y a le public, souvent la famille de la famille, des amis, parfois un professionnel qui dit paisiblement : "les amateurs sont formidables !". J'adore ce cirque. C'est quelque chose qui me réjouit, c'est comme la choucroute, la fête du slip. C'est tendu et bariolé. 
Souvent, certains gagnent : les amateurs au bout de premières et affreuses, pénibles secondes surmontent leur trac, et tout d'un coup ils sont sur scène, transfigurés, intronisés. Après leurs chansons, ils ont l'air d'avoir fait l'amour dans un amphithéâtre universitaire, ils sont ébouriffés, vidés, sonnés, comblés. Ce moment là est précieux. Ils veulent recommencer, ils veulent aller vivre dans une roulotte, ils veulent voter communiste, ils veulent s'embrasser, fumer, boire, rire, ceux qui voulaient mourir avant ne veulent plus arrêter, jamais.
A la toute fin du film "le Goût des Autres", le personnage joué par Alain Chabat se met à apprendre la flûte traversière, on le voit, parmi certains élèves dans ce qui semble être une école de musique. Il débute, il est un peu comique, mais heureux, c'est un instant de mûr attendrissement, une grande plénitude, une grande sagesse s'en dégage ; c'est vraiment toute la morale de tout, et je terminerai là dessus.

jeudi 2 décembre 2010

Jimi

J'ai l’impression de faire un vieux couple avec Jimi ; je peux à présent lui dire des choses que je n'aurais pas osé quelques années plus tôt.
Ainsi, un jour, je le regardais faire son mariole, avec sa guitare derrière la tête, et aussi les cordes entre les dents, et comme si tout le mythe s'effaçait, comme si nous avions mélangé nos slips dans la machine à laver, j'ai murmuré : mais Jimi, tu as vraiment besoin de faire tout ce cinéma, toutes ces simagrées quand tu joues de la guitare ?  Et très prosaïquement, j'ai ajouté : je crois que tu jouerais mieux si tu jouais normalement. Si tu ne te contorsionnais pas dans tous les sens. Si tu étais plus tranquille, plus posé, moins chien fou, tu poserais ton son, tu aurais une ligne mélodique plus claire, plus incisive, moins brouillonne, tu mourrais moins à 27 ans, tu pourrais aller plus loin, quelque part, ailleurs. Tout ce cirque, c'est sympathique, mais ça te conduit où, en vérité.
Mais à chaque fois que lui fais la leçon, ce vieux-jeune briscard me refait le coup. J'ai beau l'avoir décortiqué cent mille fois, j'ai beau sourire de son jeu approximatif et défoncé sur scène, il m'a. Je suis eu. Hendrix a quelque chose, qui me met hors de moi. J'essaye de le regarder méthodiquement, son jeu sexe, avec l'approche clinique du gynécologue, j'ai beau réfuter tous les mythes, rejeter toutes les métaphores possibles de la magie, du vaudou et des enchantements, Jimi arrive à mettre de la confusion dans tout ça, en riant comme un enfant gâté, hé regarde je joue même de la guitare derrière la tête ça en jette hein, avec son chewing gum, décontracté, hâbleur, et cela m’énerve. 
Il y a là dedans quelque chose d’extrêmement indiscernable, et qui me transporte. Je n'écoute plus Hendrix par passion, pour être fanatique, pour me faire du bien, je l'écoute pour savoir si cette chose là est toujours là. Je vérifie. J'ouvre la boite. Je teste si le désir est intact et le charme opérant, si la lassitude, le temps, la mode n'a pas tout effacé. Comme pour les vieux couples, ce n'est plus très souvent, mais c'est intense, c'est unique, telle une séparation repoussée, une dernière fois sans fin qui revient avec le sentiment d'un miracle à chaque fois.
Avant, je croyais les outrances que je pouvais lire, comme quoi Jimi était le meilleur guitariste du monde. Comme s'il pouvait y avoir un classement, une ligne droite avec quelqu'un tout au bout, une médaille d'or en forme de médiator autour du cou, et qui lève les poings en clamant : "j'ai gagné !"
Jimi n'est sans doute pas le meilleur guitariste du monde. Il est allé dans sa direction à lui, un chemin bruyant, d'heure de pointe, celle de l'escogriffe attifé comme un hibou, mime crâneur de guitariste, sex machine, autodidacte génial et paresseux, il est devenu le meilleur Jimi Hendrix du monde. Tout seul dans son Panthéon de Jimi, doué, victorieux, il a tenu à faire n'importe quoi avec son présent en main. 
Je ne sais pas ce qui se passe quand je suis ému à son écoute. Certes, le voyant se déhancher, tituber et planer à 2000, avec ses solos accidentés, j'ai le sentiment d'un grand gâchis, d'un grand génie presque pour rien, comme si Einstein était devenu champion de Rubik's Cube ou héros d'un jeu télé. Je ne sais pas si c'est de là que vient cette mélancolie. Il y a aussi son jeu basé sur du blues électrique, fondamental, gras, et bien que véloce et tarabiscoté, simple et sans vraiment trop de chichi. Il ne souhaite pas aller, contrairement à ses confrères jazzmen qu'il fascinait, dans la sophistication mélodique, savante, harmonique, mais loin dans l'hallucination sonore, Jimi ne cherche pas les notes, il cherche du son.
Dans la version studio de All along the watchtower, il y a ce fameux passage du solo où Jimi Hendrix fait deux ou trois gilssandos étonnants, des longues notes qui gondolent, simples, étranges, incongrues, et qui laisse résonner l'écho électrique de la wah wah, qui disent regarde mon solo, comme la vie est étrange, et je tape des poings sur la table par incapacité à décrire ceci. Ces notes bizarres, molles, leur réverbération au delà des tricotages des guitaristes branleurs qui vont vite, et qui sont les meilleurs de leur monde, elles me nouent, me font rêver, me font voyager. On dirait qu'il a découvert une tribu de papous amateurs de Tétris, ou fait de la confiture de plantes carnivores, que tout est sous contrôle à l'exception de tout, et qu'au centre du soleil il ne se passe plus rien ; je suis pris, je suis le co-pilote de ce jeune homme mort malicieux et flambeur, et qui fait exprés de me donner le mal de mer en fusant trop vite, "alors je t'ai encore eu hein ! Ha ha ha ha !"
"There must be some way out of here," said the joker to the thief,
"There's too much confusion, I can't get no relief.
Businessmen, they drink my wine, plowmen dig my earth,
None of them along the line know what any of it is worth."

dimanche 28 novembre 2010

Neige

J'ai cru à un moment qu'il neigeait mais en fait je me suis rendu compte qu'il s'agissait d'une vaste invasion des micro-hommes de la Planète Blanche. Un débarquement lent massif sur toute la rue, il y avait au moins un million de divisions froides. Ils étaient armés de petites matraques molles pour nous taper dessus, en silence. Nous avons du faire intervenir les voitures pour limiter l'envahissement. Il y a eu un tas d'entre eux faits prisonniers sur l'unique pot de fleurs du balcon, que j'ai du rentrer. A l'intérieur, ils se sont évadés, en fondant.

vendredi 17 septembre 2010

Triste disponibilité de l'information

Je me suis livré dernièrement à une activité des plus stupides : rechercher sur internet des nouvelles de gens épars croisés durant ma scolarité. Attention, je distingue dans cette démarche les vrais amis perdus de vue des lointains figurants du cursus secondaire. Je me suis penché sur cette seconde catégorie, ces gens improbables, effacés, rencontrés par la force des choses, parce que nous étions nombreux au même endroit. Un peu comme il y a des collègues de bureaux : des collègues de jeunesse. Un peu comme au feu service militaire ou dans les blogs : des gens fortuitement là, étranges, amusants, idiots, drôles, bizarres, dont il aurait été impossible de se débarrasser, de toute façon, concrètement, et qu'il fallait se coltiner, véhiculer dans notre sillage tels des wagons d'un convoi folklorique. Certains ont été des avortons ou des prototypes d'amis avec qui on aurait pu plus s'entendre si l'année avait duré, qui sait, si le trajet en bus avait été plus long, le temps de nouer un peu plus ces détails qui font naître l'amitié ; une confidence, un lâcher-prise, un rire commun, un racourci au delà des paroles. D'autres étaient simplement "autres", préposés à peupler le monde extérieur, agréables, ou désagréables, échanger avec eux était un accident permanent, on les visitait comme de mornes touristes, gentiment dépaysés, vaguement distraits, heureux d'être soi-même en définitive.

Cette activité d'exhumation du souvenir est glauque. Voir ce que les gens sont devenus, au loin, dans d'elliptiques pages du web, est triste. J'en ressors toujours avec une mélancolie malencontreuse, comme on dit dans les polars, certaines choses feraient mieux de rester enfouies.

Cette activité est devenue plus facile, depuis quelques années, ai-je constaté. Je me moque un peu de ces débats sur la vie privée, en fait, je ne parle pas trop de ça : d'un côté, je lis cette antienne lancinante sur ses informations personnelles scrutées par les multi-nationales, où l'on est trop connu, tracé, fiché, trop désiré. Ces plaintes, dont l'expression même, systématique, répétitive, cliché, obtuse, péremptoire, ces plaintes du peuple du web qui parle "le pareil", langage qui garantit pourtant à leurs auteurs un anonymat féroce et radical, ces plaintes me font penser à des Bernadette Soubirou qui s'inquiéteraient d'un Dieu trop prompt à s'intéresser à elles : trop d'apparitions, trop de miracles, trop d'assiduité dans l'écoute des prières, jamais d'intimité, jamais tranquille. D'un autre côté, pourtant, et mes recherches diverses me le montrent, nous éprouvons un enthousiasme épique à nous auto-ficher sur le net, avec application, systématiquement, ce qui est vraiment paradoxal, à la fin.

Mais ce débat, ce n'est pas important. Au delà de cette intimité, dans ces découvertes, dans le fait de chercher comme je le fais, il y surtout le glauque de trouver des conclusions à autant de récits restés ouverts. Cette foule du souvenir est une réserve d'histoires laissées en suspens, constater ces gens un peu plus "devenus", et un peu moins en suspens, c'est les fermer un à un, c'est un avant goût d'un achèvement général, comme à la fin d'une histoire haletante, quelque chose entre le soulagement et la déception. Il y a aussi, bien sûr, le glauque de ces gens devenus "mieux" que vous. Plus intelligents, plus artistes, plus beaux, plus forts, moins idiots, moins ignorants, qui sont allés finalement plus loin, et dont vous semblez, à côté, des brouillons.

Cette disponibilité angoissante du peuple juvénile, sensé disparu comme une espèce fossile, donne un peu l'idée d'un monde où l'on ne mourrait jamais. Il y a une accumulation d'existences jamais éteintes, s'entassant sans drame, les unes à côté des autres, abolissant la distance et le temps, sans séparation, sans déchirement ; il n'y a plus ni regret ni perte ; on devine alors dans cet enfer sans douleur que le sentiment de vivre est celui de survivre, et de voir les autres qui se sont, justement, éteints, hélas, heureusement. Etre là, présent, c'est à cet instant du parcours, se voir toujours vivant, espérant, comme rescapé de son propre passé. Vivre, c'est se féliciter de n'avoir pas disparu, contrairement aux autres. La sensation de notre durée ici-bas est faite de ces catastrophes ayant tout englouti, dispersé : classes, bandes, troupes, groupes, tous ces perpétuels changements dans lesquel le seul invariant, c'est vous-même. Dans ce monde où il n'y a pas de mort, il n'y a pas de vie non plus. La distance et le temps effacés vous donne l'impression d'être un point, du rien, du tout. S'il n'y a plus d'écart entre l'affreux boutonneux présomptueux qui émergeait de l'enfance, plein de désirs et de projets, et le père, employé, intrigué par un fils réinvitant ex nihilo une nouvelle jeunesse, comme une nouvelle couche sur la sienne qui s'étiole, alors, où est le chemin parcouru, où est sa propre histoire, son propre récit, où est sa métamorphose ? Fantômes et vivants, souvenirs et instants présents, espoirs et remords se côtoient, se mêlent, s'écroulent, et nous ne savons plus alors où nous ébatte, le doute nous vient, si nous sommes, quant à nous, vivant, ou fantôme.

La bonne nouvelle, dans tout ça, quand même, est d'avoir entrevu les figures radieuses et mûres d'adultes de ces anciens collégiens. Leur visage, avant ingrat, poisseux, poupon, approximatif, est maintenant précis, taillé, déjà ridé, parfois poilu, plus assuré. Ils sont comme guéris de cette jeunesse explosée, il sont l'air sûr d'eux. Ils ont l'air terminé, fini, achevé, mais dans le bon sens du terme.

lundi 7 juin 2010

La Directrice

Kevin décrocha son téléphone : à l’autre bout du fil, c’était La Directrice, qui lui dit d’une voix grave, cordiale mais ferme, qu’il fallait corriger la procédure dans les plus brefs délais.

Il raccrocha, l’esprit alerte,  avivé par cet important rappel. Kevin allait évidemment s’employer sur le champ à corriger la procédure, et, abandonnant la torpeur monotone installée dans les bureaux, il allait le faire du fond du cœur du devoir, dans les plus brefs délais. Ce n’était pas qu’il avait peur, pour sa huitième période d’essai consécutive, il n’avait jamais subi de réprimande sérieuse. Il avait certes entendu quelques bruits, quelques vagues anecdotes, sur des personnes ayant failli à une demande de La Directrice, de lointains inconnus disparus depuis. Mais pour lui, en fait, au-delà de la crainte, il y avait cette évidence, voire cette Evidence, s’élevant majestueuse, monolithique, comme la Vérité, cette Evidence que la procédure devait être corrigée, il y avait cette nécessité, légitimement et résolument révélée par la Directrice, de le faire très vite, dans les plus brefs délais.

C’était indéfinissable, mais ce n’était pas la même chose quand le Responsable demandait une correction. On lui obéissait, certes, mais en cas de problème, il était possible de se défendre, même maladroitement, de protester, d’expliquer. Le jeune homme ne savait comment exprimer cette sensation, il sentait que, mu par une nécessité supérieure, débarrassé de lui-même, dépossédé de volonté, il éprouvait un certain entrain dans cette formidable tension, un certain ravissement.

Quand son collègue Steeve déclara spontanément, un jour, à propos de La Directrice : « Je crois que si elle m’attachait à un lit pour faire de moi son objet sexuel, et bien je ne dirais pas non, en fait », ce fut une révélation pour Kevin. Il lui semblait qu’on avait posé des mots sur la terreur soyeuse qui ondoyait autour des appels de La Directrice.

Effectivement, Robert confirma les propos de Steeve qui, une fois énoncés, contaminèrent l’ensemble avec une virulence inouïe. Chacun y alla de son aveu, se dévoilant un peu, s’offrant, nu, fragile, en confirmant les impressions laissées par la Directrice, ce personnage altier mais juste, à la silhouette élancée, d’âge mûr, à qui les adjectifs habituels des collègues de Kevin, comme « bonne » par exemple, ne collaient pas vraiment, à qui on ne s’amusait guère d’accoler d’adjectifs, préférant, même en pensée, un prudent silence.

Quand le téléphone sonna à nouveau, et que la Directrice demanda, avec compréhension, si la procédure allait effectivement pouvoir être corrigée dans les plus brefs délais, avec même une intonation d’aimable inquiétude, la voix de Kevin chevrota, il se tortilla sur son siège et il voulut aussitôt rassurer ce personnage pourtant si fort, le protéger malgré l’insignifiance d’être Kevin. Oui oui oui, dit-il, sa voix muant comme revenue à la florissante adolescence, bien sûr, et La Directrice, malgré son pouvoir criant (mais peu utilisé) de bombarder le globe entier de Peur, se montra satisfaite, ferme, cordiale, et tandis qu’il écoutait, des images encombrantes venaient de toute part parasiter son crâne, dans les plus brefs délais, poussant et grattant l’esprit comme de langoureuses orties, de vivantes et souples visions de victoires humiliées et de défaites étroites, tableaux interdits qu’il chassa aussitôt.

Il croisa La Directrice, quelques temps plus tard, dans un couloir ; levant la tête pour lui dire bonjour humblement tandis qu’elle regardait au loin, du haut de son impériale stature, Kevin, possédé par une pulsion, osa prestement cette amabilité la découvrant cintrée dans un vêtement inédit : « votre nouvelle veste en cuir vous va très bien, madame La Directrice. » Ces paroles alors échappées, voyousement évadées de la Forteresse-Kevin, celui-ci crut qu’il allait disparaitre par combustion spontanée, ou empalé dans la cour, ou foudroyé par le personnel guerrier des gynécées olympiennes ; mais il n’en fut rien. La Directrice, sans sourciller, les lèvres pincées dans un sourire énigmatique, répondit tel un Sphinx inaltérable : « merci Kevin ». L’impression qui s’ensuivit fut étrange chez le jeune homme. Il lui sembla avoir inventé le concept de la victoire-défaite, de la débâcle-triomphe, et Kevin, laissé seul dans le couloir, vide, abandonné,  écrabouillé par ce « merci Kevin », dut ramper péniblement vers son poste de travail pour y retrouver son unité.

mardi 1 juin 2010

Le ventre

J’ai un jeu absolument impayable : je prends le chat, qui dort, je le mets sous mon pull, et je dis : « oh regardez, papa est enceinte ! ». A ce moment là, mon fils se tord de rire, car c’est à chaque fois une des farces les plus drôles de l’univers. J’extrais le chat, et tandis que l’animal hébété regarde autour de lui, je clame : « oh surprise ! C’est un chat ! Félicitations papa ! » Nous partons tous d’un rire franc de bon aloi, et ce bonheur une fois partagé, je m’en vais couper du bois, du moins conceptuellement, car nous habitons en ville.

Parfois, lorsque Kéké recherche une peluche, ou un jouet, je le cache encore sous mon pull, je mets en évidence mon ventre rebondi, les poings sur les hanches bien ostensiblement, et avec une voix d’Auguste je m’interroge : « Mais où est donc passé ce jouet ? » Kéké va désigner ma bedaine en gloussant et j’en sors l’objet. Nous rions de bon cœur et nous partons rentrer les brebis, du moins en théorie, car nous sommes citadins.

Or un jour que j’étais avachi sur ma chaise, à la fin d’un repas, ruminant le vague projet d’un suicide collectif géant, Kéké s’approcha de moi, désignant mon ventre avec curiosité : « qu’est-ce que tu as caché sous ton pull ? » Je ne compris pas tout de suite, puisque je n’étais pas en train de jouer du tout. Je répondis juste : mais rien. Il insista encore : « allez, dis moi ce que tu as caché ? » Je regardai plus attentivement, et je compris ce qu’il y avait dissimulé sous mon ventre : mon ventre.

Fin limier rassemblant les indices du monde hostile, j’en déduisis que j’avais pris du bide. Je répondis avec philosophie, voire résignation : je n’ai rien caché sous mon pull, c’est juste papa qui a grossi. Puis pour mon suicide collectif, je me demandai aussitôt quelle ville choisir : Paris est bien desservi en terme de transports, mais il y a la mer à Marseille, ce qui est pratique pour une noyade conviviale. Kéké prit un air incrédule à mon aveu. Papa a grossi ? J’observai son expression, elle me sembla légèrement différente de la fois où j’ai raconté que je pouvais tuer un lion avec mes mains, mais que je ne le faisais pas car, étant l’ami des animaux, j’étais contre.

A ma grande surprise, il me demanda si j’étais en train de devenir un papy : j’en concluai que, pour lui, le ventre proéminent était le symptôme principal de la papitude, ce qui est drôle, enfin, surtout pour le papy. En apnée, rentrant mes abdominaux, j’affirmai : « mais non.. han… pas du tout… han… je ne suis pas… han… un papy… » Mais j’avais compris l’essentiel : il était temps, dans cette maison, de faire de l’exercice. On allait commencer par le chat : je le virai de son canapé en gueulant : « allez, un peu de sport, la grosse ». L’animal, hébété, parti chercher un autre coin pour poursuivre sa sieste permanente.

jeudi 27 mai 2010

La diplomatie se porte bien

En visite officielle, lors du buffet d’inauguration, le président du Guatemala a beaucoup apprécié les toasts de guacamole. Pour donner le change, le président du Guacamole a également été invité et il s’est tartiné beaucoup de guatemala.

Recyclage, tiré du fanzine Mieux, juin 2007

Une découverte originale

Le professeur Mouzier croit avoir trouvé une solution miracle révolutionnaire pour guérir l’eczéma, l’herpès, l’urticaire, la grippe, l’acné et toutes ces maladies de peau qui empoisonnent l’existence de milliers de personnes : les bains d’excréments. C'est en effet par le plus grand des hasards, un mercredi soir, que le professeur Mouzier a découvert les bienfaits des matières fécales. C'est en trempant la main dedans pour chercher ses clefs tombées dans les toilettes qu'il a fait cette surprenante découverte : en nettoyant sa main, il s'est rendu compte qu'elle était devenue propre. Plongés dans des bacs à bouse, les patients participent déjà aux balbutiements de la scatothérapie. Et le succès n'est pas prêt de se démentir ! Lorsque l’on demande au professeur Mouzier : « Êtes-vous convaincu que la scatothérpaie ait des effets bénéfiques en matière de maladies cutanées ? », il répond avec sa bonne humeur habituelle : « Non, pas vraiment. Mais qu’est-ce que c’est marrant ! »

Recyclage, tiré du fanzine Mieux, juin 2007

mercredi 26 mai 2010

Carnet rose chez les mouches bleues

Une heureuse nouvelle pour les amis des animaux de Trébons-sur-la-Grasse (31) : un couple de mouches a donné naissance à une belle portée de 1200 petits, dans le petit cimetière communal. Les drosophiles et autres amoureux de la nature sont depuis ce matin aux premières loges, amassés derrière les grilles, pour assister au spectacle touchant de la naissance des insectes. Une telle naissance sur le sol européen est un phénomène assez rare, même si le professeur Cormier tient à relativiser : "la mouche est une espèce menacée, mais en fait pas tellement". Une visite guidée est possible en camionnette autour du cimetière communal.

Recyclage, tiré du fanzine Mieux, juin 2007

Encore un nouveau record battu ?

Joseph Duteil, habitant de Broue (23) s’attaque ce matin à son propre record du monde du plus gros mensonge. Il tente de faire croire à sa femme qu’il possède deux hélicoptères. Sa femme s’est déclarée « très convaincue », mais elle a ajouté aux journalistes « qu’on ne la lui faisait pas ».

mardi 25 mai 2010

Nouveau record du monde de saut en longueur

L’homme qui mesurait neuf mètres de haut vient de battre le record du monde du saut en longueur. Après deux essais à neuf mètres refusés (il était tombé par terre), il a pu aisément franchir la limite des neuf mètres trente. Lorsqu’on lui demande son secret pour gagner, il répond simplement : « C’est facile pour moi, je mesure neuf mètres de haut ».

Recyclage, tiré de la traduction de la Bible, juin 1542. Hin hin c'était un piège c'est pour voir ceux qui suivent.

Un avion s'écrase dans une cour d'école

Avant-hier, un avion en papier plié s’est écrasé au milieu d’une cour d’école, à l’heure de la récréation, tandis que les enfants s’étaient rassemblés pour jouer gaiement. Le pilote n’était heureusement pas présent dans l’appareil : l’élève était resté dans sa salle de classe au premier étage, et l’avion mesurait quinze centimètres. Il n’y a pas eu de victime à déplorer, bien que l'engin ait survolé une fourmilière. Plus de peur que de mal, donc, pour cette école primaire de Terne-lès-Garennes (45). Par contre les dégâts matériels de la feuille de papier sont considérables : elle était toute pliée.

Cependant, selon les experts rapidement sur place, les pliures constatées sur la feuille dataient de la fabrication de l’engin. "Il faut plier la feuille pour qu'elle ressemble à un avion, sinon elle ressemble à une feuille." Un début de polémique a tout de même éclaté, car l'école où s'est déroulé l'incident est située à deux pas d'une crèche et d'un magasin de pneu. Comme l'a signalé l’élève mis en examen lors d'une allocution au conseil municipal avant un appel au calme : « De toute façon, ils volent pas très longtemps, à moins qui y a beaucoup beaucoup de vent »

Recyclage, tiré du fanzine Mieux, juin 2007

lundi 24 mai 2010

Vers la légalisation de l'ongle ?

« J'en prends pour me sentir bien », dit Jérémy, 12 ans. « C'est pour faire comme les autres », avoue quant à elle Michelle, 28 ans. L'ongle, une des substances les plus consommées en France (75), est devenu un réel phénomène de société. Serait-il sur la voie de la légalisation ? Un médecin du CHU de Nanterre se déclare pour une dépénalisation du moins partielle, voire totale : « Il ne faudrait plus punir ceux qui les font pousser pour leur usage personnel.»

L'ongle aurait, selon de récentes études américaines, des vertus apaisantes. « Ça me calme », déclare Thibault, Chef d'entreprise dans le Doubs (25). En attendant, mettez des gants : rappelons que si vous êtes surpris en train de vous ronger les ongles par la police municipale, vous êtes passible d'une balle de tennis dans la tête et d'une amende de 100 euros, plus de mal que de peur, donc.

Recyclage, tiré du fanzine Mieux, juin 2007

Quand la plage s'invite à la montagne

Un habitant de Chamonix (74) a inventé, grâce au soutien d’un entrepreneur local, une discipline originale qui risque de faire des émules. Grand amateur de ski nautique, mais ne pouvant s’adonner à sa passion en pleine montagne, il a eu l'idée cocasse de remplacer l’eau par... la neige.

"Les sensations sont similaires : la neige, c'est un peu comme de l'eau en plus dur !" Jamais à court d'astuces, l'inventeur sait faire contre mauvaise fortune bon coeur : pour remplacer le bateau propulseur, on peut utiliser simplement une grande luge, ou un 4x4, ce qui est plus écologique. Véritable petite révolution dans ce sport de plaisance, il est également possible de n'utiliser aucun véhicule pour être tracté : "Au lieu de monter les côtes à ski, comme on le fait habituellement, on peut les descendre en s'aidant d'une pente ! " Cette technique devrait permettre à sa trouvaille de surpasser son modèle : "car il n'y a pas de pente dans la mer !"

L’inventeur du ski nautique sur neige compte bien développer son activité, il cherche de nouveaux investisseurs, et espère de bonnes « retombées économiques » pour sa région et pour lui-même.


Recyclage, tiré et augmenté du fanzine Mieux, juin 2007

dimanche 23 mai 2010

Un suicide collectif qui tourne mal

Vive émotion dans la banlieue de Burieu-en-Jarret (25). En effet, un suicide collectif organisé par le Club des Amis de la Déception tourne mal : les jeunes gens, armés de raquettes de tennis, ont voulu mettre fin a leurs jours en se faisant des smashs les uns sur les autres. L'un d'eux a été atteint d'une balle dans la tête, et il a beaucoup crié. Heureusement, l'apprenti coiffeur portait un casque de moto qu'il avait oublié d'ôter. Une belle coïncidence qui lui a sauvé la vie ! Plus de peur que de mal, donc.

Recyclage, tiré du fanzine Mieux, juin 2007

L’homme qui ne valait plus 3 milliards

Crise de la nouvelle économie, chute des cours, c’est une sévère correction des marchés qu’a subi l’homme qui valait 3 milliards. Steve Austin est devenu à la clôture de Wall Street l’Homme qui valait soixante-cinq. « Je suis toujours là, a-t-il déclaré pour commenter son effondrement à la presse. Je vaux toujours 3 milliards de roublis au Guanapamala (principauté proche du pôle sud), c’est ce qui compte. »

Autre pointure en difficulté : le chanteur Monsieur 100.000 volts, valorisé à 15 ampères ce matin.

Signe des temps, l'industrie cinématographique va revoir ses ambitions à la baisse. Le réalisateur pressenti pour le remake du célèbre film de François Truffaut, "les 37 coups", s'est plaint de l'absence chronique de moyens. Robert Bronson, lâché hier par ses investisseurs, tient à rester positif quant à lui : "Mon projet "les uns salopards" verra bien le jour."

Mais dans ce climat d'inquiétude, quelques bonnes nouvelles tout de même : le projet de dévaluer fortement le plateau des Millevaches en plateau des Dixvaches a été annulé, sous la pression du riverain excédé. Plus de peur que de mal, donc.


Recyclage, tiré et augmenté du fanzine Mieux, juin 2007

samedi 22 mai 2010

Le Rien Express

Courageux passagers de ce site, que j'ai surnommé "le Rien Express", je dois vous déranger dans votre tranquille et interminable sieste pour un bref message de service :

Tout d'abord, je vous informe que nous fomentons avec l'ex-blogueur Dorham un blog à durée limitée. Le thème en est la Coupe du Monde de football, sujet populaire sauf pour mes lecteurs, visiblement. Il se nomme Harald et Pat, en hommage à la dantesque demi-finale de Séville 1982. (Dire que je l'ai regardée à la télévision alors que mes collègues de travail n'étaient même pas nés, ça fout les jetons).

Ensuite, je vais m'occuper pendant les dix prochains jours à ce que je sais bien faire : du remplissage. Mon ami de vingt ans, Jérôme Boche (encore une histoire d'allemand), fomente dans son coin de Savoie une revue, ou plutôt un "fanzine". C'est une publication avec d'obscurs et jeunes illustrateurs livrant de sombres dessins de chiens décomposés et de pénis choquants (je vais me faire engueuler, mais c'est pour amuser la galerie). Quand il reste des blancs, je les remplis avec des brèves. Après les numéros intitulés "Mieux" (2007), "Génial" (2008) et "Parfait" (2009), il prépare le prochain pour juin, nommé "Divin" (je crois de mémoire que le dernier de la série, dans un an, devrait se nommer "A Chier").

Je publierai donc ici, cette semaine, quelques brèves ancestrales de 2007, deux fois par jour, histoire de faire du recyclage, et pour me motiver, pendant que je commettrai les suivantes.

C'est tout. Logiquement, amis passagers, en tant que bon stewart, je devrais faire la même en anglais, mais j'ai la flemme : utiliser plutôt ceci. Bon voyage !

lundi 17 mai 2010

Décalcomanie

Dix phrases pour exprimer mon état de délabrement en ce lundi matin :
  • J'ai plus de souvenirs que si j'habitais Milan.
  • Je suis dans une forme paralympique.
  • Après le temps des cerises, le temps des noyaux.
  • J'ai la pêche, mais surtout la marmelade de pêche.
  • J'ai la tête dans le musée d'art moderne du cul.
  • Après Juliette Récamier, Roméo Rétamé.
  • J'ai été rédigé à l'encre des débiles.
  • J'ai une figure de naze synchronisé.
  • J'accuse grave le coup, façon Zola.
  • Monsieur et Madame Delon ont un fils : Serge Lama. Parce que Serge Lama-Delon.

lundi 10 mai 2010

Perdre, retrouver, d'un point de vue technique

Quand je perds mon téléphone portable dans l’appartement, je prends le téléphone fixe, et je fais sonner le portable. Guidé par le son, je le retrouve. S’il ne sonne pas, je serre mes poings fort, et je suis en colère en m’écoutant dire bêtement au bout du fil que je suis bien sur mon répondeur et que je ne suis pas disponible actuellement. Un jour, j’ai retrouvé le mobile au fond de la poubelle. Je ne sais pas comment il a atterri là.

Tandis que j’enlevais le contenu de la poubelle, écartant avec philosophie la carcasse du poulet et d’autres objets très gras, je me demandais ce qui avait pu se passer dans ma tête pour m’en débarrasser ainsi. C’est intrigant, parce qu’en général, j’agis de manière sensée. Je jette les os de poulet à la poubelle, je range le téléphone dans ma poche. J’ai vérifié ma poche, heureusement, un os de poulet n’en dépassait pas.

Comme j’égare souvent mon téléphone portable, le faire sonner est devenu un réflexe. Par déformation, quand je perds mon trousseau de clef, je me dirige machinalement vers le téléphone fixe, et pendant un instant, j’ai la ferme intention de composer le numéro du trousseau pour le faire sonner.

La semaine dernière, je préparais des steaks pour Kéké et moi. J’avais les steaks emballés dans la main quand le téléphone sonna. Je décrochai, je marchais un kilomètre dans l’appartement car je dois marcher en téléphonant sinon les mots ne sortent pas, et une fois raccroché, les steaks avaient disparu. Pendant une fraction de seconde, un automatisme m’a dicté de prendre le fixe pour faire sonner les steaks.

Je fouillai aussitôt la poubelle : il m’est arrivé une ou deux fois, après avoir déballé de la nourriture, de la jeter et de me retrouver avec l’emballage à manger.

Parfois, je perds le téléphone fixe, qui ne l’est pas. (Fixe). Je m’empare donc du portable pour faire sonner le combiné du quasi-fixe. Quand je suis en veine, j’ai deux sonneries : celle du socle, qui ne bouge jamais, et celle du combiné manquant. Alors je cours dans l’appartement entre le socle et le combiné, à toute allure avant de déclencher le répondeur et de perdre ainsi une unité. Je retrouve le socle systématiquement, mais c’est un leurre, et j’arrête ces aller-retours frénétiques avant de me mettre à aboyer.

Pour retrouver le combiné du fixe, il faut necessairement utiliser le téléphone portable, et lorsqu’il est également introuvable, j’ai le réflexe de le faire sonner en utilisant le fixe, celui qui est perdu et que je cherche à la base. On ne s’en sort pas. Je regrette alors le temps des appareils tout gris sur un naperon, avec un cadran rond à trous.

La viande ne sonne pas. Je la cherche dans tout l’appartement en m’arrachant les cheveux. Je suis à deux doigts de hurler : « Kéké, ce soir on ne mange pas, car papa est un con. » Je cherche dans le congélateur, dans le linge sale, le tri, le congélateur, sous la table, le congélateur. Je soulève une serviette, au bord du Van Goghisme. Je tente de garder mon calme : « Réfléchissons calmement. A l’origine, il y a avait les Coptes, qui ont inventé la cooptation. » Je cherche encore dans le congélateur. Je soulève une serviette, tandis que kéké murmure : « papa, je vois des étoiles, le monde bouge, je chancelle, j’ai trop faim, pourquoi tu fais ça, où sont mes vrais parents qui m’ont abandonné ? ».

Je vide la poubelle, je classe méthodiquement les déchets par ordre alphabétique, tandis que Kéké s’afflige : « papa, on va encore manger les choses dans la poubelle ce soir ? » Et en désespoir de cause, j’ouvre le tiroir pour prendre une cullière. La viande est rangée dans le tiroir à couverts.

Je suis content, comme lorsqu’on retrouve le nom de cet acteur, le second rôle dans la Croisière s’amuse, qui est resté sur le bout de la langue pendant trois jours, tandis qu’un autre, indésirable, revenait à sa place. Les steaks majestueusement placés dans leur écrin d’assiette, j’explique à mon fils, non sans fierté : « ton père a encore triomphé de cette journée au milieu des choses matérielles. »

vendredi 7 mai 2010

DB nous quitte

Un bref commentaire laissé sur son blog par son compagnon m’apprend le décès de Dominique Bardel, le 5 mai au matin. Elle tenait le site « le jardin de DB ». Atteinte d’un cancer, on lui avait signifié il y a peu sa guérison... elle avait décidé alors d’ouvrir un blog, la « survivante », pour raconter la vie d’après, son répit, avec son implacable humour habituel.

Il n’y a que huit billets, je vous invite à les découvrir.

J’ai rencontré Dominique il y a deux ans, au Festival de Romans. C’était une femme très sympathique, nous avions pas mal échangé depuis, j’appréciais son esprit pétillant, sa sollicitude, prolixe, incisive, bienveillante.



J’en profite pour glisser une pensée pour François, tant qu’à s’affliger. A l’époque, lors de son décès, étant un peu éloigné de ce support, je n’avais pas jugé utile d’écrire quoique ce soit. L’ayant rencontré, lui, ainsi que sa femme et ses enfants, j’avais été assez choqué par sa disparation soudaine : il était jeune, son métier était de dessiner des dessins pour les enfants, ça n’était pas du tout sensé lui arriver.


De manière générale, je m’étais fait la réflexion, il y a quelques temps, que le blog était un outil encore jeune, une ridicule poignée d’années. Nous racontons des anecdotes, dans l’instant ; le temps qui passe, c’est quelques anniversaires accumulés, un bambin qui se met à marcher ; un départ en vacances et un retour deviennent toute une épopée. Les élections suivantes, c’est la fin du monde. La Retraite dont on parle comme de la théorie du Big Bang, la fin des temps.

Je m’étais dit : que va-t-il se passer, dans trente ans ? Comment tout cela va-t-il vieillir ? Quand certains de ce que nous avons lus viendront à mourir, de quoi auront nous l’air avec nos lol, nos mdr, nos jeux de mots laissés distraitement entre deux tâches laborieuses ? Cet espace verbeux, figé, fantomatique, demeurant intact sous la forme rieuse d’un sapin de Noël, dans l’attente de l’anecdote suivante, comment va-t-il (ne pas) durer, jusqu’à ce qu’un technicien coupe le courant ? Cela va-t-il s’épaissir, se remplir à force, ou bien cela va-t-il s’écrouler sous sa vacuité, sa futilité ?

Dans l’intervalle, entre des inconnus et nos amis d’enfance, ces gens que nous côtoyons en pointillé, de quelle manière les aimons nous, au fond, y-a-t-il un instrument, une échelle, un référentiel pour mesurer notre affection, y-a-t-il un jury pour décréter ce qui est valable, entre la vraie vie et la fausse ?

Pour François, par exemple, alors que je le connaissais si peu : c’est en l’observant dans l’herbe avec son fils que le mien a découvert l’étrange concept de « bagarre », et que, par la suite, il s’est mit à me sauter dessus comme un catcheur. C'est une trace. Quand mon fils le fait, non, disons une fois sur quatre, j’ai une pensée pour lui ; je ne sais pas si je peux parler de chagrin, ou de manque, ne serait-ce que par rapport à sa famille, ou ses amis, mais c’est, sans conteste, véritablement, une trace laissée, une ombre qui demeure.

jeudi 6 mai 2010

Le Marseillais

Dans le métro, le Marseillais est dépité. Il est soumis à un cruel dilemme : il est déchiré entre la terrible souffrance d’être dans un métro parisien, loin du soleil chaud qui réchauffe la peau, avec les gens entassés comme des animaux, et son infini extase de ne pas être parisien, mais d’être Marseillais en fin de compte. il est prêt à avouer un crime imaginaire, horrifié, réjoui, découvrant l’enfer souterrain de la capitale comme une foire de scandales, redécouvrant sans discontinuer le don du ciel d’être marseillais.

« Ohlala, que je suis bien contengue de ne pas vivre ici ! »

Le Marseillais, en tant que Marseillais, est une surprise pour lui-même. Il se découvre incessamment comme un paquet à la Noël ; après s’être déballé du papier parisien, pendant une brève introspection, il s’exclame, ravi, touché : oh, je suis content, un Marseillais !

Le Marseillais est un être humain, il vit normalement, il vit comme on devrait vivre, et qu’on ne vit pas ou plus, autre part. Il le dit d’ailleurs, il l’exprime avec courage : « on est serré comme des animals, ici ! »

Sa peine d’être à Paris est un bonheur permanent d’être marseillais.

Régulièrement, toutes les quatre minutes, quand les usagers montent et descendent de la rame, il réitère sa mise en scène favorite, un peu comme le bébé jamais lassé par le jeu du « coucou qui c’est ? ». Il se dit : mais qu’est-ce que je fais ici ? Ou me trouve-je ? Qui suis-je ? Et soudain, la révélation, il écarte ses mains et découvre son visage rieur : mais non ! Je suis Marseillais ! Ouf ! Et il referme ses mains sur son visage, et reconstruit malicieusement son ludique suspense.

Le Marseillais, tel l’étudiant en théâtre du cours Robert portant un bleu de travail impeccable, signale comme il respire son état de Marseillais. Il n’est pas de ceux-là. Il ne mange pas de cet air là. Il ne se sent pas tranquille tant que le wagon, le restaurant, la boulangerie, la salle des urgences de l’hôpital, ou les victimes agonisantes de l'attentat à la bombe ne sont pas toutes au courant de son état de Marseillais. On ne sait jamais, au cas où le Jugement Dernier tomberait sur la ville, et que les anges trieraient les êtres humains des parisiens, il ne prend pas de risque, il tient à être sauvé de cet état des choses, et s’insiste Marseillais comme un témoin de Jéhovah.

« Non vraiment, je n’ai pas l’habitude de ce métro, toutes ces stations, c’est trop t’inhumain. Quand je suis sous terre, je ne suis vraiment pas au soleil dans ma ville natale de Marseille où j’habite en tant que Marseillais, comme des êtres humains qui sourient et qui se parlent. »

Il est en effet chaleureux et convivial. Il se plaint à la ronde de ces « gens qui font tout le temps la gueule. » En effet, comment ne pas se scandaliser que ces populations dans les transports en commun ne scandent pas continuellement : « ohé ! Bonne mère ! On va à la plage du Prado après le boulot, à 15 heures ? » ou d’autres « Ah te voilà toi Pomponette », que les contrôleurs ne fassent pas : « ohé, minot, tu n’as pas ton ticket, tu me fends le cœur ! » Comment peuvent-ils être aussi tristes, au spectacle d’enviables Marseillais répétant ces pittoresques « et tous ces congues qui font la tronche, Dieu me préserve, fan de chichoune ! » ?

La sentence tombe alors : « Vous les parisiens, vous n’êtes vraiment pas convivials. »

Le Marseillais est sur le point de porter sur le dos, à l’instar du commandant Cousteau, une bouteille d’air comprimé avec de la brise du Frioul, pour survivre. Dauphin envoyé dans la zone obscure peuplée de benthosaurus et d’autres anaplogasters chers à mon fils, par leur filiale, pour une formation, pour aller « au siège », il pense au bon temps où il reprendra une goulée d’air à la surface, dans l’unique atmosphère respirable, celle du refuge phocéen. Entre collègues Marseillais, ils s'interpellent gaiement : "oh hé, papet, tu n'as pas l'heure, Marseillais ? A quelle station on descend, les Marseillais ? A la station Marseille Sembat ? Ah non, pardon, peuchère, Marcel Sembat, j'ai confondu avec notre bonne ville de Marseille, les Marseillais, vous vous rendez compte ? Ah comme je me languis, comme il me tarde, ça pègue tellement, tiens, je prends mon téléphone portable pour appeler un Marseillais vivant : allo ? Marseillais ? Ah, tu me fais plaisir, tu es à la Base ? Nous on est en orbite, on a rencontré une forme de vie autour de nous. Ils parlent pointus tu te rends compte ?" L'interlocuteur au téléphone leur dit en retour : "couvre toi bien, peuchère, ne viens pas à attraper mal dans le nord et les volcans islandais."

Alors le Marseillais soudain, descend. Il s'en va. On ne l'entend plus. Le silence renait dans le wagon. Gagnés par l'émotion, les usagers se serrent dans les bras, et la paix retrouvée, ils fraternisent. Ils conviennent alors de se diviser en quatre groupes : basse, ténor, alto, soprano. Ils entonnent, tandis que la rame arrive à Chatelet, le solennel chant de Beethoven, 4ème mouvement de la 9ème symphonie : "l'Hymne à la joie..."

"Freude, schöner Götterfunken
Tochter aus Elysium..."

vendredi 30 avril 2010

Se faire du souci

Avant, j'avais une autre façon de m'en faire, quelque chose d’un peu creux, d’un peu grandiloquent ; comment nommer ceci ? De l’angoisse acnéique ? De la névrose égotique, du doute satisfait ? J'ai toujours bien aimé convoquer l’infiniment grand, l’infiniment petit, Dieu et la mort, la littérature, l’art et l’oubli, le cosmos et les martiens, toute une scène de sentiments énormes, et me complaire dans ma petitesse narcissique, les bras écartés, comme le romantique face aux éléments déchainés.

C’est plaisant, finalement.

Maintenant, j’ai attrapé quelque chose de nouveau ; se faire du souci. Se faire du souci, pour des proches, leur santé, leur sort. C’est quelque chose de tout à fait nul. De petitloquent.

Voir le médecin froncer des sourcils avec son masque de science, et nous, notre sac d’ignorance sur la tête. L’entendre doctement dire qu’il ne sait rien, mais que ne sachant rien, on va en savoir plus en faisant des examens. Programmer des prises de sang. Evoquer négligemment une radio. Attendre le jour d’y aller.

Attendre. Regarder un endroit du plafond où ça avance plus vite. Y aller, accompagner l'autre, et attendre encore le résultat. Attendre. Se dire que lorsqu’on aura attendu, les chances seront faibles de trouver, dans une enveloppe, la vérité sur le sens de la vie, avec le mode d’emploi du monde. Lire des chiffres incompréhensibles. Ne pas savoir comment interpréter des termes comme négatif ou positif, se demander si c’est positif ou négatif, en fin de compte. Attendre leur interprétation par un autre fronceur de sourcils. S’entendre dire que, n’étant sûr de rien, on va encore faire des examens, et attendre.

Attendre. Voir le médecin froncer son être tout entier par réflexe, et dire de sa voix caverneuse d’outre-tombe de spectre à l’haleine formolé : tout va bien. Ne vous inquiétez pas. Normalement, il n’y a pas de souci à se faire. Toutefois, pour être sûr, nous allons faire des examens complémentaires, et...

Comment ça, toutefois ? On ne sait pas trop quel endroit gratter en attendant. Etre un gros ongle, un ongle intégral, et se ronger tout entier. Aller sur internet, pour en savoir plus, et en savoir moins ; ne retenir que le superflu. Un cheveu qui pousse, oui, c’est certainement un signe de tumeur. La langue humide, le nombril creux, l’urine jaunâtre, les selles malodorantes, le doigt mobile, en général ce n’est rien, mais souvent c’est très mauvais signe, et il ne faut pas s’inquiéter, mais consulter. En attendant, se dire qu’on n’a pas trop envie de carper le moindre diem.

Se dire que le moment venu, quand tout ira officiellement bien, que l’on aura proclamé solennellement l’effondrement de toute inquiétude, il y aura quelque chose de terrible, boire une bière fraiche l’été, respirer l’air joyeux, mâcher des mouches, avoir du temps, du vrai, sans attente, convoquer l'univers et les atomes, les dinosaures, les vampires, le passé, et l'oubli, sa joyeuse finitude, dépenser sur le champ le temps gagné.

mercredi 28 avril 2010

Rouky

Dans mon immeuble il y a une petite cour, d’à peu prêt 20 mètres carrés, sans compter le local poubelle. Des gens en ont profité pour acheter un chien. Il y a maintenant, entre ces quatre murs pigeonnés, un clebs qui attend. Acheter un chien quand on vit dans un immeuble, cela me parait odieux, cela m'énerve à un point. Les gens de la cour ont un chien et deux enfants. Les enfants sont bien sympathiques, mais un peu stupides (l'ainé me fait : "pan pan pan pan pan pan pan pan pan" pour jouer mais, agacé, je survis ostensiblement) ; reste le chien.

Il est roux, il s'appelle Rouky : c'est un chiot de traineau. Je n'y connais rien en chien, il a une bonne bouille de berger allemand, en plus touffu. Quand il me voit sortir les poubelles, le matin, ou le soir tard, il parait terrassé de joie, il vibre, fait la toupie, la machine à laver, l'atome d'uranium en furie. Je dois être à ses yeux un messie divertissant, il m'accueille avec extase. Il s'enroule autour de mes mollets, je lui écrase deux ou trois pattes malgré moi, mais il est content quand même. Sous mes mains, c'est une boule confuse de muscles et de nerfs, nous disposons de peu de temps, il me fait la fête en accéléré. Il m'attriste un peu, là, désœuvré, enclenché dans une vie terne par le caprice de citadins, au lieu de (est-ce que je sais moi) chasser le zébu ou l'ornithorynque dans les grands espaces, par exemple.

Ce matin, le jeune animal était tellement joyeux en me surprenant jeter les ordures qu'il a tenté de se reproduire avec ma jambe. J’ai dû lui dire : oh hé, calmos, Rouky, quand même. Puis j’ai entrebâillé la porte, je suis sorti de la cour, sauf ma jambe, où le chien restait amoureusement accroché, jambe que j’ai fermement agitée pour me débarrasser du nouvel ami : il faut savoir raison garder, ai-je dit, avant de vérifier mon chaste mollet.

vendredi 23 avril 2010

La dorade aux mille bouches

J'existe.

Je rentre dans la banque pour déposer un chèque. La banque est encore fermée, mais les machines sont ouvertes. Je dépose le chèque dans la machine ouverte. Derrière la grille blanche, on devine des gens qui s'activent avec des formulaires. Ils s'engueulent à cause de formulaires pas remplis.

Cela me parait incongru, cette scène de bureau, pourtant c'est tellement normal. C'est sans doute le rideau de fer qui sépare l'ouvert du fermé, qui semble placer ces employés dans une situation particulière, faire de nous des observateurs, et eux des observatés. Me vient ensuite une méditation intérieure qui dure vingt secondes, comparable à la question de l'oeuf et de la poule. Est-ce que, du fait que tout soit incongru, tout nous parait normal à force, ou bien, au contraire, tout étant normal, tout nous semble étrange quand on prend un peu de recul. Puis je dépose le chèque et je disparai. Dans le métro une adolescente dit, inspirée : "mais s'est koi au font la normaliter ?"



Dans le métro, des gens s'engueulent aussi, mais non à cause des formulaires pas remplis, au contraire, à cause du wagon bien rempli. Ils s'engueulent à cause d'eux mêmes, en fait. Voilà, tout le monde s'est "rempli", et ceci est douloureux pour les pieds. Les braillards, des gens très bien au fond, sans doute, cherchent du regard des regards approbateurs, car après tout, tout le monde a raison. Je n'aime pas ça, j'ai l'impression qu'on me viole la conscience, quand on cherche mon regard approbateur, et ça me pique au niveau de l'esprit. La tête contre la barre en fer, ils machouillent : "ceux qui veulent pas prendre les transports h'en commun zon qu'à prendre le taxi hein".



Dimanche dernier, nous sommes montés avec Kéké dans la cabine du conducteur du métro. C'était très silencieux, un calme étonnant. De cette pénombre, on voyait des paquets de gens, par grappes ; le train les vendangeait. Ils ont beau brailler, derrière le pare-brise, on ne voit que le O de leur bouche, on n'entend pas grand chose, on ne déchiffre rien, et c'est tant mieux. C'est la paix. Le O inaudible sur leur visage est conservé à l'état de hiéroglyphe, on se félicite de ne pas profaner leurs mystères. Parfois le mouvement meurt sur un couple qui s'embrasse, ou bien sur un type en costard, un jeune avec des pantalons slims, un ponque, de parfaits inconnus, des qui existent aussi parmi leur normale incongruité. Le recul, le retrait, le fait d'être dans ce bocal rend toutes ces silhouettes banales soudainement romanesques.



Le métro pris était pour voir le grand aquarium à la Porte-Dorée. C'était bien. Les poissons semblent dans leur cabine à eux, ils s'approchent de la vitre, nous regardent : mais c'est une charmante illusion. Des enfants se réjouissent de cette rencontre, les parents, soudain démangés par un prurit métaphysique, font la réflexion que c'est nous, au fond, qui sommes dans des bocaux à être regardés par des poissons. En fait, les parois des aquariums sont des glaces sans teint. Les poissons se regardent eux-mêmes, ils se découvrent et s'oublient aussitôt, ils ignorent l'agitation des nez collés contre la vitre.



Plus tard, j'ai demandé à kéké de se raconter lui-même une histoire pour s'endormir, ça me changerait un peu. Alors il a improvisé quelque chose de très étonnant : l'histoire de la dorade à mille bouches. Pour être honnête, le titre complet est : l'histoire de la dorade à mille bouches qui vomit partout. Je crois que c'était très spectaculaire comme histoire. Enfin, pour sortir ces notes accumulées depuis quelques semaines, ça fait quand même un titre valable.

vendredi 12 mars 2010

Le poumon de Blanche-Neige

Aujourd'hui, à l'école, mon fils a écouté l'histoire de Blanche-Neige.

Si je me souviens bien, dans le conte, la Reine demande à un chasseur de tuer Blanche-Neige, et de lui rapporter son coeur comme preuve du forfait. Le chasseur, apitoyé par la jeune fille, tue un animal de la forêt et ramène l'organe d'icelui à la marâtre qui, n'y connaissant visiblement rien en anatomie, s'en trouve fort satisfaite.

Premier détail édifiant, dans la version rapportée par mon fils, le chasseur tue un marcassin. Selon ses premières impressions, c'est un épisode désolant, et je sens à son récit qu'éventrer Blanche-Neige aurait été moins dégueulasse que de s'en prendre à un petit animal innocent. C'est en tout cas l'élément clef pour lui, puisque ses primes paroles furent en substance : "Aujourd'hui à l'école on a écouté l'histoire de Blanche-Neige où le chasseur tue un petit marcassin pour ramener le poumon de Blanche-Neige à la Reine".

Second détail, comme je viens de le dire, la consigne donnée par la sorcière était de rapporter le poumon de Blanche-Neige. J'ai sursauté, et demandé confirmation : oui, non, il a hésité avant de valider : le poumon de Blanche-Neige ! C'est gore. Il faut dire que, ayant travaillé dans une boucherie de supermarché, j'ai un peu mon opinion esthétique sur les organes des animaux, opinion qui n'est pas plus bête qu'une autre après tout. Autant le coeur, muscle rouge sombre, ramassé et teigneux comme un défenseur de la roja, impose le respect, autant le poumon, sac blanchâtre et flasque est nettement moins glamour. Je médite immédiatement sur la transfiguration du conte qu'implique ce changement d'organe. Le côté plus laborieux et rustique dans l'extraction, le côté burlesque de sa présentation à la Belle-Mère.

Blanche-Neige étant un conte oral, après tout, il ne faut pas être surpris de cette évolution populaire. Peut-être que, depuis mon enfance, le conte s'est modernisé pour donner une version rafraichie et rythmée, pour un public avide de sensations fortes et de nouveautés ! Le chasseur, dans les versions futures, se verra contraint de ramener l'intestin grêle de Blanche-Neige, qui sait, pour en décorer le sapin de Noël d'une Reine en démence dans son bain, avec une mitraillette, l'accent cubain et la cocaïne plein le nez.


Variation 1 : époque élisabéthaine, les protagonistes sont tous des hommes. Le Roi demande au chasseur de tuer Blanc-En-Neige. Comme preuve du meurtre, il réclame carrément les bijoux de famille du jeune premier. Le chasseur est bien embêté, alors : 1/ il ramène les parties génitales d'un sanglier, se disant "c'est tendu, mais on va tenter quand même". 2/ il ramène ses propres parties génitale, avec la pensée qu'il a vraiment beaucoup donné pour ce conte. 3/ il tue Blanc-En-Neige, mais se trompe et ramène son coeur. 3.1/ Le chasseur ramène un cheval. Le roi fort surpris demande au chasseur : "mais qu'est-ce qui vous prends, Walter, je ne vous ai pas demandé un cheval ! " - Le chasseur, de répondre : "il m'a pourtant semblé vous entendre éructer : My kingdom for a horse ! sire ! Vous avez le cheval, pourriez-vous me passer le royaume ? " Le chasseur finit dans son bain devant un écran géant, une mitraillette à la main et un cigare cubain dans la bouche. Il fait trancher la tête du cheval du roi pour la lui déposer dans son lit, car il lui a un peu manqué de respect.


Variation 2 : la Reine exige du pauvre chasseur qu'il ramène la prostate de Blanche-Neige. Le chasseur bien embêté 1./ ramène une prostate de sanglier. 2/ tripatouille un bon moment dans la carcasse de Blanche-Neige sans rien trouver, provoquant un véritable carnage abominable. Il se noie dans le lac, puis ressurgit du lac dans Blanche-Neige II. 2.1/ il ramène sa propre prostate, de peur de se faire souffler dans les bronches par la Reine. 2.2/ Trouve une prostate dans le corps de Blanche-Neige, véritable coup de théâtre dans ce conte plutôt tranquille. Blanche-Neige était donc un homme. 3.1/ la Reine n'y connaissant rien en anatomie s'en trouve fort satisfaite ! Le chasseur prend sa retraite et se range des voitures. 3.2/ La Reine qui n'est pas dupe demande à un chasseur numéro 2 de ramener la prostate du chasseur numéro 1 pour le punir d'avoir trahi. 3.3/ Le chasseur numéro 2 s'en prend à un sanglier car lui aussi est un pleutre. La Reine commence alors une collection de prostates de sanglier. 3.2.1/ Un ancien chasseur sortant de prison vient trouver le chasseur rangé des voitures. Il ne veut pas, mais replonge dans le crime organisé et le trafic d'organe en disant : "je veux en sortir, mais ils me ramènent dedans".


Variation 3 : La Reine convoque le chasseur pour programmer des frappes préventives dans la forêt, Blanche-Neige fréquentant des petits hommes barbus. Elle demande tout de même au chasseur de lui rapporter de l'ADN de Blanche-Neige pour prouver son forfait. Les frappes chirurgicales du chasseur désintègrent la forêt, et le chasseur est bien embêté pour ramener quoique ce soit. Il trouve par hasard de l'ADN de sanglier et le ramène à la Reine. 1/ Celle-ci, n'y connaissant rien en ADN s'en trouve fort satisfaite. Le chasseur devient un vétéran et souffre du syndrome de la guerre de la forêt. 2/ La Reine, ayant un doute, convoque les Experts pour analyser l'ADN. Les Experts, avec leur microscope, agrandissent l'image de la caméra de surveillance dix mille fois sans pixelisation et trouvent sur le bonnet du chasseur une étiquette cousue avec son nom écrit. C'est donc lui le coupable. La Reine court après le chasseur dans un entrepôt avec plein de canalisations situé dans les hangars d'un port industriel. Tout deux se retrouvent sur le toit. Elle le tient en joue avec son arme et crie : "Tu penses m'avoir trompée, mais je suis plus forte que toi ! " Puis elle fait un interminable discours au lieu de tuer le chasseur tout de suite, ce qui laisse le temps à Blanche-Neige, qu'on croyait morte, de ramper vers un autre revolver qui trainait par là (celui de l'action de la veille) et de loger une balle dans la tête de la Reine. Le chasseur ouvre le sac dans lequel est emballée le cadavre de la marâtre tandis que des techniciens de scène de crime, avec le mot "Forensic" inscrit dans le dos, posent du scotch jaune partout, et il s'empare alors du coeur de la Reine.

Car il y avait quelqu'un au dessus de la Reine : l'Empereur. Le chasseur ramène le coeur de la Reine à l'Empereur. Assis dans sa limousine, il dit :"Mission accomplie, maître ! " Celui-ci répond : "La Reine était ta mère, Walter". Le chasseur pleure.

mercredi 3 mars 2010

La coupe

J'étais chez le coiffeur, ce midi. Je me suis dit : je vais en faire un billet. Et là, je me suis rendu compte que ma dernière visite chez le coupe-tif s'était également soldée par un billet. Tout d'un coup une architecture gigantesque se dessine, ce support est ponctué par des coupes de cheveux. Dans dix ans, je ne ferai qu'un billet par coupe, j'aurai un blog non pas de coiffeur, mais de coiffé.

Vous noterez la date précédente : 6 juin de l'an dernier. Vous imaginez après 9 mois, le résultat de cette gestation sur ma tête. Cela me ramenait peu à peu à l'adolescence, avant-hier, quand chevelu à l'extrême, on me proposait tout le temps de la drogue. Là, un inconnu a commencé à me proposer un Doliprane. Signe qu'il était temps de passer à l'action.

Je me suis installé dans le salon, le cou dans un lavabo. Il y avait une cliente qui parlait avec conviction de sa coupe à venir. Je suis toujours surpris, car les gens très friands de coiffeurs finissent par avoir les cheveux très courts, à force d'y aller. Quel intérêt ? Je me suis également perdu dans cette étrange réflexion : le patron étant chauve, que penser de sa légitimité à coiffer les gens ? Ensuite j'ai enchainé sur la vision d'un tailleur dans un village nudiste, vendant des costumes tout nu, mais je n'en dirai pas plus.

Tout le personnel parlait italien. Une grande joie m'envahit à cette découverte : premièrement, dans cette atmosphère, bercé par la sonorité fantasque de cette langue, où l'accent tonique est placé un peu n'importe où, et où la langueur de la postonique vous donne la vague impression d'être un pasteur islandais, j'imaginais déjà un genre de rital power me gagner, me gonfler, je me voyais sortir du salon avec à mes trousses d'innombrables Anita Ekberg trempées, surgissant des fontaines Wallace à mon passage.

Deuxièmement, ours coincé et taiseux, je m'étais dit que, personne ne parlant ma langue, je n'aurais pas à raconter ma vie pour meubler. Ce piteux discours, je préfère le réserver à mes lecteurs de blog, les pauvres, quand il ne subsiste plus le moindre espoir de me divertir honnêtement. Je pouvais donc regarder mes cernes de lapin myxomatosé dans le néon criard à loisir, tandis que les coiffeuses échangeaient sur Dalida qui avait repris parolé parolé en français. J'étais persuadé que c'était le contraire, qu'elle avait adapté cette chanson en diverses langues. Pas grave, je n'objectai rien, j'étais juste l'objet muet sous le cliquetis sec des doigts agiles.

La coiffeuse commença par me dire, une fois engoncé face au miroir gigantesque : "je vous écoute". Je n'aime pas ce moment, parce que je ne sais pas quoi dire, chaque année. En général je dis "plus court", et je pense aussitôt : "va dire plus long, espèce d'andouille". Alors je dis : "plus court, mais pas trop court non plus". Huit mots qui font de moi un client honnête avec une opinion honnête de pourquoi il est là. Avant, je disais : "Pas les cheveux en brosse, surtout." Avec un peu trop de conviction, peut-être ai-je dit une fois : "Pas comme ces salauds de fascistes mussoliniens !", mais vu le passé douloureux de ce pays, je n'ai pas voulu froisser la coiffeuse. Alors j'ai failli dire pour ne pas la heurter: "Plus court, pas en brosse, sauf votre respect et sans faire d'amalgame avec le passé des italiens, pas forcément tous fascistes à vrai dire."

Mais en vérité, pour me faire comprendre, j'ai simplement ajouté ce mot, qui coute un peu au début, mais de moins en moins tandis que l'on se rapproche de la mort et de la putréfaction : "court, en fait, une coupe classique". Immédiatement, j'ai vu un jardin à la française sur mon crâne, des violonistes en livrée dans une partie fine avec des experts-comptables. Finie, trahie, reniée, la frénésie sexuelle d'un Robert Plant torse nu sur scène avec son jean moule bite, fini, jouer de la basse avec mes dents avant de les ramasser par terre, mes dents (les cordes sont grosses, c'est ballot). Le mot était lâché, et je n'ajoutai plus rien, me transformant en buisson symétrique selon mes propres consignes.

A la fin, elle sortit un miroir pour la nuque : il y avait moi sous tous les angles. "Qu'en pensez-vous ?" me fit elle. Eh bien, ne sachant que dire, et pour honorer son travail sur mon ciboulot de gendre idéalisé, je fis cette brève et présomptueuse réponse : "C'est très bien !"

mardi 2 mars 2010

Esprit de câble

Je réfléchissais sur la nature des pensées qui me traversent, et j’ai trouvé l’image qui correspondait : celle d’une chaine télévisée du câble. Je compare mon esprit à un chaine du câble, diffuseur obstiné, obscur, à petit budget, avec ses programmes cheap qui tournent en boucle. Avec ses séquences improbables qu'il faut bien empiler pour remplir, pour boucler du matin jusqu'au soir. Par exemple une chaine de sport avec ses matchs de football féminin Danemark / Islande, commentés par Patrick Battiston et Harald Schumacher, mollement captivés par un jeu de fin du monde. Par exemple des séquences de soi dans la nature en train de marcher sur un champignon dont on ignore le nom, en train de fouler du sable en vacances, ou d'occuper glorieusement une chaise molle au travail.

J’imagine a contrario Albert Einstein dans son coin, avec son puissant cerveau explosif ; son esprit devait ressembler à un cinéma panoramique, en 3D, les neurones dedans étaient comme sous la Géode, des effets spéciaux, du souffle, de l'épique, vlan la Masse, paf la Matière, shazam l’Energie, plop la Vitesse au carré. L’esprit d’Einstein déployait, dans un péplum savant, des milliers de figurants, sur des chars conceptuels, tous braillaient à l’assaut de la forteresse-énigme, du mystère de l'espace et du temps.

Moi, mon esprit est lent. Une idée apparait, elle a le visage glauque de Derrick. Tout heureux d'avoir un programme, tout surpris d'avoir des visions à la place du vide, l'idée est rediffusée avec la ferveur aveugle des organisateurs de festival international du saucisson. L'idée, idée top-model de télé-shopping, idée-célébrité-anonyme, idée-casting, idée-qui-n'en veut, on la développe, on la contredit, on l'arrange, on la maquille. Elle meuble. Elle meuble, hystérique. C'est mieux que la mire, ou le brouillard agité du milieu de la nuit, mieux que les ondes nocturnes qui nous viennent en scrutant l'écran quand plus rien n'existe. Au fil du temps, cette mince rediffusion, cette rediffusion de soi-même, juste parce qu'elle se répète, s'acharne, s'obstine, persiste, cette rediffusion se verrait bien son propre classique, sa propre histoire, au fond, elle s'inventerait presque une nostalgie d'avoir été.

Au bout d'un moment, quand cela semble en péril, quand ce rien en boucle n'intéresse plus personne, ça en vient à prendre sa propre défense. Il semble alors oeuvrer pour un cinéma de quartier, local humide racheté par un Naturalia. Pensant à soi, à ses moyens limités, à ses habitudes déclinées, il nous vient l'idée de présenter le tout sous le signe d'un pittoresque de proximité. Nous sommes une personne de proximité. Un petit épicier de la remarque, de l'objection, de sa propre opinion à soi, en péril face aux Hyper-Einstein qui se dressent et vont tout emporter. Il serait tellement dommage de nous fermer. De nous faire racheter par un Naturalia. Etre soi. C'est un peu pourri, certes, mais c'est tellement typique.

samedi 27 février 2010

Jim

Sur la tombe de Jim Morisson, il y avait plein de gens venus se recueillir. C'était sans doute des gens qui, affranchis des conventions, des traditions et des dieux, étaient venus faire un... pèlerinage. Un jour avec un ami, nous avons fait un pèlerinage sur la tombe du type qui était enterré à côté de Jim Morisson. Quel était son nom ? Robert La Loose ? Peu importe. C'était bien, comme acte gratuit, après nous avons fêté ça dignement avec quelques bières.

Sur la tombe de Jim Morisson, il y avait des bougies. Un vrai mémorial. Sur la tombe de Robert La Loose, à côté, il y avait des fesses de jeunes filles venues voir Jim Morisson. Leur popotin foulant le marbre environnant, comme si ces macchabées jouxtant l'idole n'étaient que de vulgaires sidemens, des bassistes par exemple. Mais sur celle de Jim Morisson, il n'y avait pas de fesses de jeunes filles, juste des bougies à la noix. Finalement, quand on regarde ça avec beaucoup de recul, on se demande qui a vraiment loosé, dans l'histoire. Celui qui a sur sa tombe des bougies à la noix, ou celui qui accueille des fesses de jeunes filles.

vendredi 26 février 2010

Le Contrat

Samantha, se retournant, dit à Jason : je crois qu'il faut vendre la propriété de Père, nous n'avons plus le choix. La proposition de Monsieur Randolfsky ne peut pas se refuser. Et avec Stub, mon demi-frère qui semble ressuscité de son accident d'avion, et qui veut des parts de la Laiterie, il nous faut faire face ! Qu'en penses-tu, Jason ? Elle se mit la tête entre les mains et soupira, belle et rebelle à la fois. Mais Jason paraissait surtout fasciné par un détail sur le mur. Il s'en approcha, titilla une aspérité de la tapisserie, lentement, avec l'ongle. Il était totalement fasciné par sa découverte, et ne prêtait plus attention aux gémissements de Samantha. Jason ? M'entends-tu ? Jason raclait le bout de tapisserie, cela semblait bien collé, mais il parvint à en enlever un petit bout. Il contempla le petit bout de tapisserie coincé entre ses doigts. Les murs étaient parfaits, un beau blanc impeccable, lisse, sans le moindre défaut. Mais il tenait un bout de tapisserie dans sa main, et du côté du mur, dans le trou, il y avait une sorte de plâtre, un peu mou. Il paraissait totalement aspiré par sa trouvaille, même si le moment semblait mal choisi. Samantha s'approcha doucement de Jason, avec patience, elle lui posa une main, tendrement, sur l'épaule. Jason, tu ne sembles pas dans ton état normal. Que se passe-t-il. Stub a encore essayé de te contacter ? Il veut t'entrainer dans un crime que tu n'as pas commis ? Tu as reçu des mauvaises nouvelles de la Laiterie de Mère ? Mais Jason ne répondait pas. Il sursauta. Tu n'as pas l'air dans ton état normal, Jason, tu as subi beaucoup de stress aujourd'hui, à la Société ? Une blessure secrète de ton passé est en train de ressurgir à la surface de ton souvenir ? Jason se retourna et dévisagea Samantha. Il se saisit doucement d'un mèche blonde de ses cheveux, et la compara avec le morceau de tapisserie blafard qu'il venait d'arracher. J'ai compris quelque chose, fit Jason. Il y a quelque chose derrière ce mur. Il désigna le mur. Il y a quelque chose qui n'est pas vrai, et nous sommes enfermés à l'intérieur. Il pencha un peu la tête, félin, considéra la paroi satinée. Puis il se mit à cogner le mur, attentif, guettant un bruit sourd ou un bruit mat, ou un bruit creux. Il colla son oreille contre la cloison, et continua à sonder, éprouvant le mur de ses phalanges.

Jason, repris Samanatha, tu n'as pas l'air dans ton état normal, que se passe-t-il, tu as une liaison ? Mais non, répondit agacé Jason, haussant les épaules, voyons, qu'est-ce que tu racontes... tu vois, je commence à comprendre. Nous pourrions peut-être... (il semblait dire n'importe quoi) changer de vie ? Mais la Laiterie de Mère fit Samantha, réellement surprise, et la propriété de Père ? Samantha, désemparée, subissait ce nouveau coup du sort, avec dignité, certes, mais cela commençait à faire à la longue, à s'accumuler ; il faut dire que Jason avait coutume d'être tout le temps dans son état normal, et que cet état normal était normal pour Jason. Il était sérieux et volontaire, sous ses airs bourrus il avait un coeur d'or, une brute au coeur tendre à vrai dire, il ne fallait pas se fier aux apparences, l'habit ne fait pas le moine, mais là Jason se comportait vraiment de manière farfelue. Il se mit à jauger le plafond, puis les lampes feutrées au coin de la pièce, en proie à une suspicion maniaque, débordante. Il y a quelque chose, je le sens. Je comprends. Je suis sur le point de comprendre !

Je vais appeler Docteur Randolfsky, Jason, tu es surmené par cette histoire d'achat de parts avec ta demi-cousine et je crois qu'un peu de repos te ferait du bien, tu veux peut-être boire un brandy ? Jason la désigna avec son index. Docteur Randolfsky, fit-il. Monsieur Randolfksy et le docteur Randolfsky. Pourquoi ont-ils le même nom ? Samantha resta muette, et Jason poursuivit sur sa lancée. Simplement parce qu'il n'y a pas de docteur Randolfksy, Samantha. Tu viens de l'inventer. Il n'y a pas de docteur Randolfsky ! Puis Jason se remit à gratter le mur, avec plus d'obstination. Il y a quelque chose derrière ce mur, j'en suis sûr, il n'est pas normal, un mur aussi propre ça n'existe pas. Il y a quelque chose. Il méditait. J'ai l'impression, comment dire, que nous sommes... du mauvais côté du mur. Tu comprends ? Il faudrait approfondir cela. Il me faudrait un couteau. Si j'avais ... une masse ? Je pourrais voir, juste vérifier, ce qu'il y a de l'autre côté du mur. Jason s'illumina : tiens, appelle moi donc un garçon de chambre, qu'il me monte un brandy-coca. Il se tenait les bras croisés, comme si cette décision pouvait tout résoudre, tout prouver, tout finir.

La garçon arriva, discrètement, silhouette rouge dans l'embrasure de la porte, il entra et proposa le brandy-coca à Jason. Samantha gémissait, la tête dans ses mains, elle ne semblait pas triste, mais elle ne savait pas quoi faire, alors elle gémissait. Attendez, cria Jason au garçon de chambre. Celui-ci sursauta, il se ratatina, puis fut sur le point de s'enfuir en courant quand Jason cria : jeune homme ne partez pas, quel est votre prénom ? Le garçon confondu sembla réfléchir, puis ne trouvant rien, il chercha de l'aide, implora Samantha des yeux, puis il présenta ses mains pour s'excuser avec une affreuse grimace. Alors, fit Jason, garçon de chambre, vous êtes muet ? Mmm mmm, fit le garçon de chambre, et il lui montra son pouce en signe de triomphe romain, car visiblement il était soulagé d'être muet, cela le sortait d'une situation bien embarrassante. Mon oeil ! cria Jason, s'emportant pour de bon. Vous n'êtes pas muet du tout ! J'en ai lu un hier, chez Maitre Cameron, de contrat, je le sais, vous êtes une silhouette, et si vous parlez, ce n'est plus le même contrat, c'est beaucoup plus cher ! Alors vous ne parlez pas, bien sûr ! C'est votre contrat ! Vous êtes tous sous contrat ! Une silhouette sous contrat ! Le garçon sans pouvoir ouvrir la bouche, niait autant qu'il pouvait, agitait ses mains, suppliait, pleurait presque. Samantha, pendant ce temps, gémissait de plus en plus fort, rebelle, belle, très embêtée, elle regardait autour d'elle, cherchant une issue elle aussi, dans la pièce absolument dépouillée. Jason, en vainqueur, s'empara du verre et le gouta. Pouah. Vous parlez d'un Brandy ! Il rit. C'est du jus de fruit. Il leva ses deux poings en signe de victoire : libre ! Je suis libre ! Il se tapa le torse comme un singe. Liberté ! Liberté ! Sexe ! Ordure ! Masturbation ! Coloquinte ! Enfin, il se tourna vers le mur, et se mit à faire le tour de la pièce, joyeux, palpant les quatre murs les uns après les autres, à l'affut du moindre creux, du moindre vide, de la moindre faille, murmurant : je m'en doutais ! Je m'en doutais ! Je l'ai toujours su. La sortie est proche, la fin aussi.

mardi 23 février 2010

Solution hydroalcoolique

La solution hydroalcoolique est clouée au mur. Les murs sont tapissés de solutions hydroalcooliques. Quand on marche il y a une succession monotone d’objets-repères. La série est : photocopieuse, machine à café, extincteur, borne de pointage, ascenseur, solution hydroalcoolique, toilettes, ascenseur, photocopieuse, borne, casier, extincteur, solution, hydro, alcoolique, etc. Les solutions ont leur niveau qui ne baisse plus. Elles sont figées, fossiles de l'hiver. La Pandémie est passée comme un rêve, on se demande, incrédule, si on n’a pas inventé cette histoire où il faut se laver les mains souvent et tousser dans sa manche. Dans vingt ans, on se déguisera en maintenant, on agitera dans les soirées-nostalgies des solutions hydroalcooliques.

Je me demande si on va les enlever. Si quelqu'un va prendre cette décision forte : bon maintenant on va les enlever, les solutions hydroalcooliques. Les laisser est peut-être une mesure raisonnable. On a fait l'effort de les mettre (des gens avec des perceuses), on ne va pas ajouter à cela l'effort de les enlever. Les solutions hydroalcooliques vont lentement constituer une strate supplémentaire s'ajoutant au sédiment sibyllin du monde. Elles vont rester au mur, le liquide visqueux, les bulles d'air immobiles, objects désactivés.

Cette désactivation est une sorte de déni, d'oubli ; on fait semblant de les ignorer, cela pourrait nous déconcentrer sinon, faire surgir une puissance grotesque des murs, comme des esprits bouffons. Quand on passe dans les couloirs, avec cet objet désactivé bien en évidence, on se prend à imaginer les autres objets soudainement contaminés par cette désactivation galopante. Pourquoi pas eux ? Pourquoi pas les autres ? Quelle différence ? La photocopieuse, la borne, le casier, l'affiche sans âge, le règlement intérieur. Tous figés. Abscons. Et puis la porte, les interrupteurs, les lumières. Tout accroché aux mur, y compris les murs eux-mêmes, tout se désactive, on se demande si cela aussi, cela n'est pas un rêve d'hiver. Une histoire dont l'origine est devenue floue, un mythe, un conte, une légende, un bruit ; on regarde incrédule ce tout qui, au printemps de la vie, semble une rumeur.

mercredi 17 février 2010

Vétérinaire pour les poissons



Nous sommes avachis avec Kéké sur le canapé, nous parlons de poissons. C'est le grand sujet du moment. Aux voitures de courses, Ferrari, Porsche et autres Renault Twingo ont succédé les créatures des océans ; requins blancs, globicéphales, bélugas, dauphins vrilleurs. Il me confie qu'il veut être vétérinaire pour les poissons, plus tard. Et pour les chiens ? Non juste les poissons. Et si on t'apporte un adorable petit toutou mignon blessé et qui gémit avec ses grands yeux plein de supplications, tu le soignerais quand même bien sûr ? Non, juste les poissons. Il est catégorique.

(J'ai la vision funeste d'un cabinet vétérinaire au bord de mer, dans un phare, avec mon fils ombrageux en train de dire : "Non, je fais pas dans les chiens. On n'a qu'à le piquer, madame, votre bête, là. C'est marqué sur la pancarte. Je fais juste les poissons. Les poissons !")

Évoquant les vertus du vétérinaire guérisseur de sardines, une inspiration métaphysique s'empare de lui. Il me demande : s'il s'occupe des poissons, qui de son côté soigne le vétérinaire quand il est malade ? Je réponds, rassurant : mais mon enfant, il y a les docteurs, pour soigner les vétérinaires !

Et le sujet semble clos. Mais non. C'est sans compter sur la puissance intellectuelle qui habite mon enfant-mais-où-va-t-il-donc-chercher-tout-ça-toute-cette-intelligence-peut-être-dans-ses-gènes-du-côté-de-son-père-allez-savoir. Ma réponse le trouble encore. Après un temps de réflexion, il poursuit : mais dans ce cas, si les docteurs soignent les vétérinaires, qui soigne les docteurs quand ils sont malades ? Moi aussi, je produis du silence. C'est une sacré bonne question en fait. Vu sous cette angle, je m'en gratouille la barbiche. Je réponds, au hasard : d'autres docteurs. Les docteurs se soignent entre eux, en fait. Ils se débrouillent. Ils font leur sauce. Entre eux.

Le médecin prend son téléphone, il tutoie un confrère. Ils plaisantent à propos de médicaments. Peut-être que, se faisant examiner, le docteur malade n'a pas à se sentir comme un petit garçon en slip, fautif de son ignorance. Dans ce cas, le docteur soignant peut lui en imposer tout de même, en donnant une explication sur un sujet incompréhensible ("la larve du gastéropode est pourvue d'une petite coquille spirale operculée et d'un voile cilié... il me semble..."). Soit, ému de se sentir égal face à un égal, il peut lui confier quelque chose, qu'il aurait voulu être un artiste, par exemple.)

Je crois que Kéké vient de pointer une faille organisationnelle assez préoccupante dans l'univers du monde. A un moment, l'escalade des responsabilités s'élève jusqu'au flou le plus total. Si, tout en bas, les poissons glissent dans les obscures profondeurs, l'oeil rond, dans leur paix froide et opaque, tout en haut, les dieux sont seuls avec eux-même, dieux pour d'autres dieux, tuteurs intérimaires, instigateurs en roue libre, chefs-orphelins désemparés, et il y a sur leur front beaucoup d'inquiétudes.

Puis la conversation se poursuit, en vrac, ce doute est momentanément mis de côté, sans réelle conclusion ; du coup, trouver une chute à cette histoire n'est pas vraiment une sinécure.

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...