A cet enfant, j'ai essayé de raconter les choses le plus logiquement possible, de manière rationnelle, pour essayer qu'il devienne aussi intelligent que moi, ou, si cela est placer la barre trop haut, aussi intelligent que sa maman. Parallèlement à cela, nous avons tâché de garder une part de magie, quand même, car l'enfant aime le n'importe quoi, comme la tarte au caca, ou les répétitions interminables, ou les poneys volants.
L'explication rationnelle est pratique, pour dissiper par exemple les craintes se dissimulant dans les recoins de la maison ; pour disperser les vampires, les fantômes car techniquement, cela n'est pas possible. L'enfant qui grandit voit un monstre d'intelligence lui pousser dans la tête, et cette puissance lui fait peur, et se répand partout, dans les placards et sous le lit. Je lui montre d'ailleurs, en exemple, moi : "Est-ce que j'ai peur des vampires volants ?" (je prends l'air placide et joyeux de quelqu'un qui n'a tout-à-fait-pas-peur, l'air foufou du cartésien comblé et sans crainte). "Et bien non !" et dans ma forteresse d'adulte nettoyée définitivement des fantômes et des monstres, je peux m’apprêter à voir le "Retour des Morts Vivants" en toute quiétude.
D'un autre côté, la tentation est forte pour les adultes dotés d'une carte "Carrefour" de préserver cette zone floue et étrange se situant avant la compréhension froide du monde, où l'on aperçoit le raisonnable au bout d'un tunnel de chaos, où le doute n'est pas triste mais plein de potentialité. Quelque chose que j'aurais du mal à expliquer nous convainc de garder encore quelque temps en vie les petits lutins qui fabriquent des jouets, entre autres, ce pays où vont les animaux morts. Cette magie là, qui ne plait plus aux adultes (je n'aime pas le principe du "rester en enfance"), on souhaite ne pas la saper trop tôt, peut-être pour donner le loisir de se métamorphoser.
Or donc, j'étais l'autre jour tranquillement assis par terre, quand mon fils a commencé à me poser des questions fort précises et techniques, après des jours de réflexions, un peu comme ces ordinateurs ancestraux qui imprimaient le fruit de leur travail après des nuits de calcul :
"Le Père-Noël, où habite-il exactement ? Pourquoi il vit dans un pays froid, et qu'il ne s'est pas installé dans un pays chaud, surtout qu'il est vieux ? Pourquoi il est vieux, quel âge il a, s'il n'a pas d'âge, pourquoi il n'est pas jeune ? Est-ce qu'il va mourir un jour ou pas ? S'il ne meurt pas, pourquoi il est toujours vieux, et pourquoi il est pas resté jeune du fait qu'il ne vieillisse pas ? Comment il fait pour entrer dans la chambre de tous les enfants du monde ? C'est possible ? Alors les monstres et les vampires aussi peuvent entrer dans ma chambre comme ça ? Pourquoi ses rennes volent ? Pourquoi ils sont magiques ? Ça existe les animaux magiques ? Pourquoi le Vélociraptor avec ses plumes ne pouvaient pas encore voler du fait de l'évolution des espèces, et le Renne magique du Père Noel peut voler alors qu'il n'a même pas de membrane comme les chauves souris ou de plumes comme les oiseaux ?"
Après une pilonage de questions similaires, véritable Pearl Harbour sur mes certitudes pédagogiques, le mieux est de s’asseoir en tailleur, et de commencer par "écoute...", et de balbutier n'importe quoi, de préférence la bouche pleine, sans trahir de secret, tout en étant honnête, et en mentant sans trahir la vérité. Jamais pris de court sur la marche des planètes, jamais avare d'une pédante envolée lyrique, je suis alors tout muet et tout interdit. Des fois, je crie : "regarde ! le chat clignote des yeux !", et la diversion fonctionne.
J'ai plus tard eu droit à une seconde couche, sur le "pays des morts" où séjourne notre chat roux parti il y bientôt deux ans. L'enquête est précise sur sa localisation exacte : dans l'espace ? Dans le ciel ? Entre les nuages et l'espace ? Posé sur des nuages solides ? Ou bien sous la terre ?" La question revenant, je tente diverses réponses : je dis mystérieusement que c'est un symbole. Je dis aussi que l'humanité n'en sait rien car c'est l'Inconnu. J'ai aussi dit que, logiquement, ça devrait se situer vers Saturne, car il y a de la place, et des anneaux.
Lorsqu'il me demande tout ça, il me scrute, avec dans son regard une confiance terrible. Le monde du merveilleux protège, colmate, mais dans l'humanité qui croit, il inquiète aussi. Vient un jour le moment où la vérité est une déception, et un soulagement. Je ne me souviens plus bien, quant à moi. Ceux qui ont toutes les solutions dans leur poche n'ont sans doute pas traversé beaucoup de mystères.