La solution hydroalcoolique est clouée au mur. Les murs sont tapissés de solutions hydroalcooliques. Quand on marche il y a une succession monotone d’objets-repères. La série est : photocopieuse, machine à café, extincteur, borne de pointage, ascenseur, solution hydroalcoolique, toilettes, ascenseur, photocopieuse, borne, casier, extincteur, solution, hydro, alcoolique, etc. Les solutions ont leur niveau qui ne baisse plus. Elles sont figées, fossiles de l'hiver. La Pandémie est passée comme un rêve, on se demande, incrédule, si on n’a pas inventé cette histoire où il faut se laver les mains souvent et tousser dans sa manche. Dans vingt ans, on se déguisera en maintenant, on agitera dans les soirées-nostalgies des solutions hydroalcooliques.
Je me demande si on va les enlever. Si quelqu'un va prendre cette décision forte : bon maintenant on va les enlever, les solutions hydroalcooliques. Les laisser est peut-être une mesure raisonnable. On a fait l'effort de les mettre (des gens avec des perceuses), on ne va pas ajouter à cela l'effort de les enlever. Les solutions hydroalcooliques vont lentement constituer une strate supplémentaire s'ajoutant au sédiment sibyllin du monde. Elles vont rester au mur, le liquide visqueux, les bulles d'air immobiles, objects désactivés.
Cette désactivation est une sorte de déni, d'oubli ; on fait semblant de les ignorer, cela pourrait nous déconcentrer sinon, faire surgir une puissance grotesque des murs, comme des esprits bouffons. Quand on passe dans les couloirs, avec cet objet désactivé bien en évidence, on se prend à imaginer les autres objets soudainement contaminés par cette désactivation galopante. Pourquoi pas eux ? Pourquoi pas les autres ? Quelle différence ? La photocopieuse, la borne, le casier, l'affiche sans âge, le règlement intérieur. Tous figés. Abscons. Et puis la porte, les interrupteurs, les lumières. Tout accroché aux mur, y compris les murs eux-mêmes, tout se désactive, on se demande si cela aussi, cela n'est pas un rêve d'hiver. Une histoire dont l'origine est devenue floue, un mythe, un conte, une légende, un bruit ; on regarde incrédule ce tout qui, au printemps de la vie, semble une rumeur.
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