Derrick entre dans la pièce. Il regarde autour de lui : la pièce. L'inspecteur Harry Klein, son fidèle associé, est assis une fesse sur la table. Il dit à Derrick : "Bonjour Derrick." Celui-ci regarde autour de lui, surpris ; son regard opaque derrière ses vastes lunettes cherche et soudain, trouve : Derrick, c'est lui.
Harry Klein de manière très cordiale lève sa main pour la tendre vers Derrick, qui est à quelques mètres, dans l'embrasure de la porte, la main recouverte d'un gant de cuir allemand posée contre le chambranle. Derrick observe son associé, la main ainsi tendue, un sourire pincé, dans le lointain. Il se demande ce que fait Harry, cette main à la proue de lui même, barrant le passage à on ne sait quoi, semblable à une barrière de passage à niveau. Derrick regarde un peu à gauche et à droite, en quête d'un train imaginaire dont la main d'Harry Klein serait le sémaphore. Puis soudain il part, réfléchir à cette énigme dans le couloir et marche pendant quelques minutes. Au loin, le brouillard s'étale dans Berlin.
Derrick revient, Harry Klein a sa main toujours dressée devant lui, avec son sourire bienveillant, son visage, une sorte de masque de bonté, puis Harry Klein soupire et cesse de tendre la main, qu'il pose par lassitude sur sa cuisse. Il dit : "Inspecteur, nous avons une nouvelle affaire ce matin."
Harry Klein saisit un dossier, il y a des photographies dedans, brillantes, obscènes, celle d'un corps affreusement mutilé, il y a aussi, glissée par erreur, la photographie d'un berger allemand triomphant sur un rocher, dans la nature, beaucoup moins obscène, voire tout à fait roborative.
Derrick opine de la tête, puis il comprend. La main. Il dit : "Ah oui, Harry, bonjour." Puis il tend la sienne, tandis que Harry est absorbé par les photographies du cadavre. Derrick reste un instant dans cette position, puis il se rend compte que le salut du jour a échoué, encore une fois ; dans l'indifférence du monde moderne s'est ajouté un malentendu de plus, symbole de tous les malentendus du monde, de l'incommunicabilité fondamentale des êtres qui se côtoient sans se comprendre ; cela, quand il y songe, rend Derrick bien maussade.
Sa main tendue, il l'observe étonné, semblant la découvrir pour la première fois. Il aperçoit en effet l'étiquette encore pendouillante du gant en cuir, avec le prix, et se dit qu'il a oublié de l'enlever, lorsqu'il a acheté la paire, hier. Harry Klein lève la tête, puis constatant l'inspecteur en mannequin de main avec l'étiquette de son gant, il dit : "Ah inspecteur, vous avez des nouveaux gants." Derrick hoquette, c'est une sorte de petit rire, il répond aimablement : "Vous êtes si perspicace Harry."
Il n'y a aucune ironie, dans ces propos. Harry Klein sourit, il dit sobrement : "Merci inspecteur". Une grimace d'aise remue le visage de l'inspecteur Derrick, il comprend qu'Harry Klein n'a nullement été offensé par la potentielle ironie de cette remarque, et cette absence de malentendu compense le malentendu précédent du salut, Derrick se dit que la vie peut passer ainsi, parmi quelques moments tranquillement vides d'ironie, ce qui nous sauve du gouffre.
"Qu'est-ce qu'on a, poursuit-il.
- Un meurtre. Un homme qui vivait seul avec son fils, un jardinier municipal, chargé de l'entretien des haies.
- Tiens donc."
Derrick se penche sur les photographies du cadavre, les regarde une à une, d'un air désapprobateur. Il s'exclame soudain, découvrant le cliché du berger allemand : "Oh, la brave bête !" Puis il semble tout à coup aspiré par un rêve lointain. Il ajoute, après un temps : "J'ai eu un chien, il y a quelques années.
- Ah bon ? fit Harry Klein, s'animant : qu'est-il devenu ?
- Il est mort."
Derrick se rembrunit, un silence pesant s'installe dans le bureau. "Désolé", fait Harry sans savoir qu'ajouter. "Ce n'est rien, il était malade, de toute façon", conclut Derrick.
Et pour chasser ces idées funestes, il demande : "Quel est l'arme du crime ?"
- Un taille-haie d'horticulture. Il y a pas mal de traces d'engrais organiques sur son veston, c'est au labo, on attend le résultat.
- Intéressant", fit l'inspecteur Derrick.
lundi 1 février 2010
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