Quand je perds mon téléphone portable dans l’appartement, je prends le téléphone fixe, et je fais sonner le portable. Guidé par le son, je le retrouve. S’il ne sonne pas, je serre mes poings fort, et je suis en colère en m’écoutant dire bêtement au bout du fil que je suis bien sur mon répondeur et que je ne suis pas disponible actuellement. Un jour, j’ai retrouvé le mobile au fond de la poubelle. Je ne sais pas comment il a atterri là.
Tandis que j’enlevais le contenu de la poubelle, écartant avec philosophie la carcasse du poulet et d’autres objets très gras, je me demandais ce qui avait pu se passer dans ma tête pour m’en débarrasser ainsi. C’est intrigant, parce qu’en général, j’agis de manière sensée. Je jette les os de poulet à la poubelle, je range le téléphone dans ma poche. J’ai vérifié ma poche, heureusement, un os de poulet n’en dépassait pas.
Comme j’égare souvent mon téléphone portable, le faire sonner est devenu un réflexe. Par déformation, quand je perds mon trousseau de clef, je me dirige machinalement vers le téléphone fixe, et pendant un instant, j’ai la ferme intention de composer le numéro du trousseau pour le faire sonner.
La semaine dernière, je préparais des steaks pour Kéké et moi. J’avais les steaks emballés dans la main quand le téléphone sonna. Je décrochai, je marchais un kilomètre dans l’appartement car je dois marcher en téléphonant sinon les mots ne sortent pas, et une fois raccroché, les steaks avaient disparu. Pendant une fraction de seconde, un automatisme m’a dicté de prendre le fixe pour faire sonner les steaks.
Je fouillai aussitôt la poubelle : il m’est arrivé une ou deux fois, après avoir déballé de la nourriture, de la jeter et de me retrouver avec l’emballage à manger.
Parfois, je perds le téléphone fixe, qui ne l’est pas. (Fixe). Je m’empare donc du portable pour faire sonner le combiné du quasi-fixe. Quand je suis en veine, j’ai deux sonneries : celle du socle, qui ne bouge jamais, et celle du combiné manquant. Alors je cours dans l’appartement entre le socle et le combiné, à toute allure avant de déclencher le répondeur et de perdre ainsi une unité. Je retrouve le socle systématiquement, mais c’est un leurre, et j’arrête ces aller-retours frénétiques avant de me mettre à aboyer.
Pour retrouver le combiné du fixe, il faut necessairement utiliser le téléphone portable, et lorsqu’il est également introuvable, j’ai le réflexe de le faire sonner en utilisant le fixe, celui qui est perdu et que je cherche à la base. On ne s’en sort pas. Je regrette alors le temps des appareils tout gris sur un naperon, avec un cadran rond à trous.
La viande ne sonne pas. Je la cherche dans tout l’appartement en m’arrachant les cheveux. Je suis à deux doigts de hurler : « Kéké, ce soir on ne mange pas, car papa est un con. » Je cherche dans le congélateur, dans le linge sale, le tri, le congélateur, sous la table, le congélateur. Je soulève une serviette, au bord du Van Goghisme. Je tente de garder mon calme : « Réfléchissons calmement. A l’origine, il y a avait les Coptes, qui ont inventé la cooptation. » Je cherche encore dans le congélateur. Je soulève une serviette, tandis que kéké murmure : « papa, je vois des étoiles, le monde bouge, je chancelle, j’ai trop faim, pourquoi tu fais ça, où sont mes vrais parents qui m’ont abandonné ? ».
Je vide la poubelle, je classe méthodiquement les déchets par ordre alphabétique, tandis que Kéké s’afflige : « papa, on va encore manger les choses dans la poubelle ce soir ? » Et en désespoir de cause, j’ouvre le tiroir pour prendre une cullière. La viande est rangée dans le tiroir à couverts.
Je suis content, comme lorsqu’on retrouve le nom de cet acteur, le second rôle dans la Croisière s’amuse, qui est resté sur le bout de la langue pendant trois jours, tandis qu’un autre, indésirable, revenait à sa place. Les steaks majestueusement placés dans leur écrin d’assiette, j’explique à mon fils, non sans fierté : « ton père a encore triomphé de cette journée au milieu des choses matérielles. »
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