Dans le métro, le Marseillais est dépité. Il est soumis à un cruel dilemme : il est déchiré entre la terrible souffrance d’être dans un métro parisien, loin du soleil chaud qui réchauffe la peau, avec les gens entassés comme des animaux, et son infini extase de ne pas être parisien, mais d’être Marseillais en fin de compte. il est prêt à avouer un crime imaginaire, horrifié, réjoui, découvrant l’enfer souterrain de la capitale comme une foire de scandales, redécouvrant sans discontinuer le don du ciel d’être marseillais.
« Ohlala, que je suis bien contengue de ne pas vivre ici ! »
Le Marseillais, en tant que Marseillais, est une surprise pour lui-même. Il se découvre incessamment comme un paquet à la Noël ; après s’être déballé du papier parisien, pendant une brève introspection, il s’exclame, ravi, touché : oh, je suis content, un Marseillais !
Le Marseillais est un être humain, il vit normalement, il vit comme on devrait vivre, et qu’on ne vit pas ou plus, autre part. Il le dit d’ailleurs, il l’exprime avec courage : « on est serré comme des animals, ici ! »
Sa peine d’être à Paris est un bonheur permanent d’être marseillais.
Régulièrement, toutes les quatre minutes, quand les usagers montent et descendent de la rame, il réitère sa mise en scène favorite, un peu comme le bébé jamais lassé par le jeu du « coucou qui c’est ? ». Il se dit : mais qu’est-ce que je fais ici ? Ou me trouve-je ? Qui suis-je ? Et soudain, la révélation, il écarte ses mains et découvre son visage rieur : mais non ! Je suis Marseillais ! Ouf ! Et il referme ses mains sur son visage, et reconstruit malicieusement son ludique suspense.
Le Marseillais, tel l’étudiant en théâtre du cours Robert portant un bleu de travail impeccable, signale comme il respire son état de Marseillais. Il n’est pas de ceux-là. Il ne mange pas de cet air là. Il ne se sent pas tranquille tant que le wagon, le restaurant, la boulangerie, la salle des urgences de l’hôpital, ou les victimes agonisantes de l'attentat à la bombe ne sont pas toutes au courant de son état de Marseillais. On ne sait jamais, au cas où le Jugement Dernier tomberait sur la ville, et que les anges trieraient les êtres humains des parisiens, il ne prend pas de risque, il tient à être sauvé de cet état des choses, et s’insiste Marseillais comme un témoin de Jéhovah.
« Non vraiment, je n’ai pas l’habitude de ce métro, toutes ces stations, c’est trop t’inhumain. Quand je suis sous terre, je ne suis vraiment pas au soleil dans ma ville natale de Marseille où j’habite en tant que Marseillais, comme des êtres humains qui sourient et qui se parlent. »
Il est en effet chaleureux et convivial. Il se plaint à la ronde de ces « gens qui font tout le temps la gueule. » En effet, comment ne pas se scandaliser que ces populations dans les transports en commun ne scandent pas continuellement : « ohé ! Bonne mère ! On va à la plage du Prado après le boulot, à 15 heures ? » ou d’autres « Ah te voilà toi Pomponette », que les contrôleurs ne fassent pas : « ohé, minot, tu n’as pas ton ticket, tu me fends le cœur ! » Comment peuvent-ils être aussi tristes, au spectacle d’enviables Marseillais répétant ces pittoresques « et tous ces congues qui font la tronche, Dieu me préserve, fan de chichoune ! » ?
La sentence tombe alors : « Vous les parisiens, vous n’êtes vraiment pas convivials. »
Le Marseillais est sur le point de porter sur le dos, à l’instar du commandant Cousteau, une bouteille d’air comprimé avec de la brise du Frioul, pour survivre. Dauphin envoyé dans la zone obscure peuplée de benthosaurus et d’autres anaplogasters chers à mon fils, par leur filiale, pour une formation, pour aller « au siège », il pense au bon temps où il reprendra une goulée d’air à la surface, dans l’unique atmosphère respirable, celle du refuge phocéen. Entre collègues Marseillais, ils s'interpellent gaiement : "oh hé, papet, tu n'as pas l'heure, Marseillais ? A quelle station on descend, les Marseillais ? A la station Marseille Sembat ? Ah non, pardon, peuchère, Marcel Sembat, j'ai confondu avec notre bonne ville de Marseille, les Marseillais, vous vous rendez compte ? Ah comme je me languis, comme il me tarde, ça pègue tellement, tiens, je prends mon téléphone portable pour appeler un Marseillais vivant : allo ? Marseillais ? Ah, tu me fais plaisir, tu es à la Base ? Nous on est en orbite, on a rencontré une forme de vie autour de nous. Ils parlent pointus tu te rends compte ?" L'interlocuteur au téléphone leur dit en retour : "couvre toi bien, peuchère, ne viens pas à attraper mal dans le nord et les volcans islandais."
Alors le Marseillais soudain, descend. Il s'en va. On ne l'entend plus. Le silence renait dans le wagon. Gagnés par l'émotion, les usagers se serrent dans les bras, et la paix retrouvée, ils fraternisent. Ils conviennent alors de se diviser en quatre groupes : basse, ténor, alto, soprano. Ils entonnent, tandis que la rame arrive à Chatelet, le solennel chant de Beethoven, 4ème mouvement de la 9ème symphonie : "l'Hymne à la joie..."
"Freude, schöner Götterfunken
Tochter aus Elysium..."
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