Je suis face aux portes automatiques, il faut passer le badge magnétique afin de les franchir. Pour me prendre un café, je dois sortir du souterrain, et gagner le souterrain d’en face. Pour sortir du souterrain, je franchis deux portes automatiques et une porte non-automatique.
La porte non-automatique est en bois. Elle se reconnaît à son opacité et à son inertie toute boisée. Les deux autres, plus loin, sont en verre, elles coulissent à notre arrivée. On trouve parfois un employé, un gobelet à la main, qui patiente devant la porte en bois. L’employé est vêtu en général d'un pantalon en toile gris, monté assez haut au niveau du ventre, juste en deçà du nombril, ce qui laisse entrevoir des chaussettes, et même des mollets. On lui ouvre la porte devant laquelle il est planté, lui indiquant avec gentillesse : « elle n’est pas automatique ! » et il vous répond sèchement : « j’étais en train de réfléchir. » Excuse ou pas, peu importe, on ferme la porte derrière soi. On attend quelques secondes. On ouvre la porte en bois pour voir si tout vas bien. L’employé est toujours là, et répète : « j’étais en train de réfléchir ! »
Les portes en verre, elles, s’ouvrent seules, et lentement. Propres, elles savent se faire oublier à notre passage, et produisent un agréable bruit de glissement feutré. Cela étant, si on avance au rythme triomphant d’un Rastignac du secteur tertiaire, fonçant tête baissée dans les couloirs, on se prend la porte en verre très fort sur le visage. Réflexe pavlovien, au bout de quelques semaines, le rythme de marche est conséquemment ralenti. L’employé lambda avance prudemment, la main au gobelet légèrement aux avant-postes, pour détecter d’éventuelles portes ultra-transparentes, tel un animal craintif dans les couloirs blancs.
Afin de limiter les collisions, de gros cercles rouges ont été disposés au milieu des portes automatiques, à hauteur du visage. La hauteur choisie est standard, environ un mètre soixante-cinq, pour qu’hommes et femmes puissent bénéficier de cette alerte. Malheureusement, les employés nains ont souvent le nez meurtri.
Je tente de revenir dans mon sous-sol, mon café à la main. Il faut retrouver le badge, pour le détecteur. La carte est enfouie dans une poche de mon blouson, parmi d’innombrables papiers. Incommodé par mon gobelet, je ne la trouve pas, je décide alors de faire comme ces gens qui passent leur sac à main, ou leur portefeuille, dans les bornes du métro. Je m’approche donc du détecteur, et je frotte à l’endroit où le badge semble enfoui, au niveau du cœur. J’effectue quelques tentatives, m’y reprends à plusieurs fois, change de position, m’obstine, sautille, me tortille.
Puis, saisi de lucidité, je me représente contre cette paroi, en train d’effectuer des mouvements saccadés de va et viens, désespérés et obscènes, ahanant sur la pointe des pieds ; tels ces primitifs qui souhaitent féconder la Terre, je me surprend à vouloir enfanter mon sas de sécurité.
Une secrétaire passe. Alors que je suis surpris en train de m’accoupler au pylône, je dis, pour me justifier : « c’est que, j’ai du mal à entrer ».
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