Kéké a prononcé ces paroles, un soir, nous souriant d’un air complice : « c’est la joie des enfants ! ». Air complice, pourquoi, ces mots paraissaient tomber de la lune. Mais il avait son petit sourire entendu, fier. Alors je l’ai regardé, interdit, et j’ai fait celui qui comprenait parfaitement : « La joie des enfants ! Bien sûr ! ».
Il a dû entendre cette expression à l’école, peut-être une histoire de sa maitresse, « apprendre à lire, c’est la joie des enfants !», ou sans doute dans la cour quand les petits s’adonnent à des jeux barbares : « s’étrangler pour devenir tout rouge, c’est la joie des enfants !».
Cela a sonné comme un corps étranger dans son langage, dans notre langage commun, que nous partagions tous les trois, jusqu’à présent. C’est le monde extérieur qui s’y glisse. Et comme nous sommes très heureux qu’il s’ouvre au monde, très heureux de le voir grandir, et nous de vieillir, et de crever comme des chiens puants dans des fosses communes, nous l’avons félicité. C’est la joie des parents !
L’expression nous est restée. Depuis quelques jours, nous la déclinons jusqu’à l’absurde, en riant, pour tout. Se brosser les dents, finir ses brocolis, péter, jouer aux voitures, sortir les poubelles, aller pisser, tout ça, c’est la joie des enfants ! Il glousse quand on l’imite, satisfait d’avoir enrichi la famille de quelques mots, de nous fournir des fragments énigmatiques de son monde nouveau.
Ce matin, le réveil n’a pas sonné. On s'est levé, paniqué, avec la tête éclatée des vampires malpropres qui ont raté le crépuscule et qui vont se faire prendre par les contrôleurs de l’aube. On s’habille à toute berzingue, et nous voilà dans la rue. Kéké n’a pas l’air habillé, il a l’air emballé par ses vêtements, saucissonné, tout de traviole. Et il n’a pas l’air emballé du tout, en fait, d’aller à l’école. Il proteste, mécontent : « l’école, ce n’est pas la joie des enfants ! » et nous éclatons de rire.
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