J’ai les cheveux courts ! Je me les suis fait couper dimanche, après manger, par ma mère, que je n’avais pas vu depuis six mois. Sur la table, il y avait des grandes tasses de café, il faisait enfin soleil, nous allions faire un automne à ma tête. Une petite serviette autour du cou, je me rappelais des moments chez le coiffeur, lorsque des gens bavards faisaient de mon crâne important une sorte de jardin à la française, en regardant des catalogues de caniches tondus pour surtout ne pas me réussir.
Et qu’allez-vous faire pour les vacances ? Me demandaient les coiffeuses. Rien. Et vous faites quoi dans la vie ? J’exhume des cadavres pour me faire des colliers de phalanges. Dans le miroir très lumineux se reflétait mon visage blafard de non-surfeur. On va vous faire quelque chose de jeune, de très à la mode. Pitié.
Kéké, sur le canapé, allongé de tout son poids sur un chat aplati, observe tomber au sol ma tignasse, d’un air rêveur. Lui est né chauve, ma femme avait l’air bien embarrassée avec sa brosse aux poils mous, il n’y avait rien à coiffer. Au sol, des cheveux blancs font comme du parmesan saupoudré dans ma salade de cheveux.
Comme ça m’arrive à peu prêt tous les huit mois, j’ai toujours l’impression d’entrer dans les ordres, de produire du pull comme un mouton. C’est toujours spectaculaire. Sur le plancher, un nid de poil grandit, on dirait une compote de chatons, une sorte de scalp. Ça y est, je ressemble plus au grand chef comptable qu’à Kurt Cobain, c’est bizarre que les choses aillent toujours dans ce sens.
A dix-sept ans j’avais les cheveux longs. Plus tard, je suis entré dans un salon de coiffure, à côté du MacDo, et l’employée m’a dit vous êtes sûr ? Vous avez bien réfléchi ? J’ai haussé les épaules, ce n’est pas comme si je faisais euthanasier ma jeunesse, tout de même. Est parti dans l’aspirateur l’essentiel de ma tronche, qui m’a accompagné un moment, pour beaucoup de choses, des premières, et des dernières. Ça y est, pensais-je en sortant méconnaissable, je pouvais éventuellement envoyer un CV au MacDonald d'en face. Avant, des scouts ivres me murmuraient, le soir : va te faire couper les cheveux ! Maintenant, le chef comptable me veut sur sa liste UMP, pour les élections.
Le lundi matin, au petit déjeuner, E. me regarde et dit : "Tiens, ça ne marche plus.
- Quoi, dis-je ?
- Avant, fait-elle, mélancolique, une bonne coupe de cheveux, ça te donnait toujours un coup de jeune. Là, non. Tu as l’air aussi vieux qu’avant hier. Tintement de cuillère dans la tasse.
- Sympa"m’exclame-je, la bouche tordue, exagérément.
Elle éclate de rire. Je prends mon blouson, ma tête de vieux, mon écharpe, mes écouteurs, et tous ensemble, nous allons nous faire aspirer par le métro.
En arrivant, des collègues s’esclafferont, comme si ma tête était la chose la plus cocasse de l’univers.
Pour la naissance de Kéké, une amie de ma grand-mère a voulu lui offrir un disque. Comme la personne n’y connaissait rien, elle a regardé au hasard, les pochettes, dans la grande surface, pour trouver finalement une image de gros bébé nageur. Elle s’est dit : tiens, ça a l’air bien pour un bébé ! C’était le premier album de Nirvana.
Je lui ai fait écouter des extraits, vers trois ou quatre mois, pour rigoler ; il n’a pas eu l’air de trouver ça pire que ses dents. Ce disque, je l’écoute souvent, le matin. Ça va bien comme bande sonore, sur les visages immobiles des gens. Comme je ne m’entends pas parler, je dis « pardon » plus fort aux silhouettes qui, suspendues aux barres et aux poignées, semblent sécher comme des saucissons, au milieu du chemin. Alors, à mon passage, ils s’écartent en murmurant des choses confuses, ou bien, pétrifiés par une sollicitation imprévue, regardent droit devant eux, fixement, puis, bousculés, tombent comme des quilles sur le quai, remuant encore tels des poulets décapités. Je dois alors tous les ranger dans le wagon, soigneusement, les gens dérangés, avant que le métro ne s’en aille.
jeudi 14 février 2008
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