vendredi 29 février 2008

La chasse à la biche

Il me dit : maman tu es obligée de faire ça ? Comment ça on dirait que tu as honte, marche à côté de moi, arrête de marcher lentement, pour rester à deux mètres en arrière, je ne vais pas boiter tout de même, mais maman, tu es sûre qu’on ne peut pas prendre un moment pour le réparer ton talon, mais non, le talon est cassé et bien cassé, et je marche pieds nus, et sil les autres ne sont pas contents, je leur pisse à la raie, à tous ces connards ! Maman, s’il te plaît, ne parle pas si fort. Il rougit, regarde à la dérobée autour de lui si on nous écoute. Allez, en route, mauvaise troupe. Il tangue avec son cartable. Et je me dandine, pas mal contente sur le coup, avec les escarpins brisés à la main comme des revolvers, et j’avance sur le trottoir bleu et sa crème antirides en merde de chien, je marche à l’instinct, comme dans les revues des pipoles.

Allez viens Bonhomme. Bonhomme c’est mon fils. Qu’est-ce que tu fais Bonhomme. Ben je lis. Et qu’est-ce que tu lis, fais voir. Ah ouais, c’est qui qui gagne à la fin, Bambi ou Choupinette ? J’éclate de rire. Maman, c’est sérieux. Pardon. Je te fais un bisou. Attends, un texto. Je fouille ma poche, vite, j’ai trente-six mille tickets de métro qui tombent, les clefs, je le lis. Je souris. Chienne de vie. Allez, viens, je te le lis, Bambi, si tu veux. Et je malaxe ton crâne d’œuf doux comme un coussin en plumes d'or, raclure. Et je lis pendant une heure. Tant pis, on mangera tard ce soir. Allez viens, on va regarder le film. Et mes devoirs ? Ah tu n’es pas drôle. Mais j’ai des devoirs, c’est important. Bon. Tu veux que je baisse le son ? Au fait, qui c’est la plus belle du monde ? Il sourit d’extase. C’est toi, maman.

On est en retard. Attends, j’envoie un texto. Je glousse. Allez maman. Putain fais chier l’ascenseur, bordel de merde, j’appuie cent mille fois sur le bouton. Chut maman, je t’en prie. Il n’y a personne dans l’allée, arrête de brimer ta pauvre mère. Je marche, j’ai d’autres talons. Bonhomme transporte son enclume sur le dos, j’avance, j’aime bien quand les types oublient de démarrer au feu vert en croisant mon regard, et que l’abruti de derrière klaxonne, et qu’ils se rentrent dedans avec l'abruti du devant, ils font un constat, et ils parlent fort chacun de leur côté comme des agents de la circulation face à face. Nous, avec bonhomme, on est loin. Maman, on traverse, le feu est vert ? Attends. Maman. Je finis mon texto. On est en retard. On s’en fout. Maman, je vais me faire gronder. Ok. Allez vite, Bonhomme on est en retard, alors, tu ne veux pas finir chomiste, tout de même. Chômeur on dit, maman. Mais je le sais bien, tu me prends pour qui, Bonhomme, pour une conne ? Pardon maman, je sais que tu sais. Il baisse les yeux. Allez, je ne t’en veux pas, moi, ta pauvre mère.

Ce soir, Bonhomme, j’ai un ami qui vient à la maison. Tu seras sage, Bonhomme ? Oui maman. C’est qui la plus belle ? Est-ce que c’est la maîtresse ? Est-ce que c'est ta petite camarade, comment déjà, Kevina ? Jessica ? Pff, c’est toi maman, bien sûr ! Allez viens contre moi, ordure, je te serre, je te serre, je te serre, jamais rien ne nous séparera.

Il a une voiture Raoul, tu vois comme elle est grande. Spacieuse. La télécommande de l'autoradio sur le volant, tu montes le son avec les pouces. Ca c’est pas une voiture de pédé, me fait Raoul. Bonhomme ne dit rien. On ira dans la forêt ! Il y a des écureuils. Regarde, Raoul veut sympathiser ! Tu vois, fait Raoul, il suffit d’un 12/7 tu vises bien entre les yeux de la biche, et paf, normalement, tu la tues du premier coup, elle souffre pas, sa tête éclate ! La biche, comme la maman de Bambi, fait Bonhomme ? Exactement ! Il est fort ton mioche, il connaît bien tous les animaux ! Puis il me met la main aux fesses, le coquin. Tu connais les oiseaux, Bonhomme ? Il me fait à moi, Raoul, toi tu sais où trouver un petit oiseau que tu aimes bien, hein, il rit comme un kilo de beurre de porc, je dis : sois pas vulgaire devant le gamin, s’il te plait. Il taquine Bonhomme, il lui tire l’oreille pour rigoler. Bonhomme s’amuse, ou il se force. Il est un peu lourd Raoul, aussi. Il a pas de gamin, il sait pas. Maman, tu fais quoi, me fait Bonhomme en serrant ses petits poings, voyant que je traine ? Il fait la tête. Si tu crois que c’est facile d’avancer en forêt, comme ça, c'est accidenté ! Mais pourquoi tu mets des talons, maman, aussi, pourquoi ? J’ai envie de faire pipi, je dis, attendez-moi ! Mais t'as envie tout le temps !

On s’amuse bien avec Raoul. Il dit parfois, d’un ton grave, en me mettant la main sur les seins : oui, tu sais, je suis comme un modèle, pour ton fils, il a besoin d’un père. Si tu l’élèves toute seule, il finira pédé, comme ceux qui vivent avec leur mère tout le temps. Il est trop fort, Raoul. C’est un colosse, dans son genre.

Plus tard, Bonhomme oublie de dire merci quand Raoul lui passe le sel, il est dans ses rêves, Bonhomme, il les bricole comme dans un garage secret, avec des milliers d’outils lumineux sur les murs, et des cargos et des archipels. Raoul dit : qu’est-ce qu’on dit ? On dit mer… ? Raoul fait ...de. Merde. Puis Raoul se lève, et dit, non mais tu vas me faire preuve d’un peu de respect, c’est fini la récréation maintenant, puis il lui fout une taloche et Bonhomme voltige loin de sa chaise. Alors je suis pieds nus, encore. Pas un cheveu, je dis. J’ai mes chaussures à la main et je lui refais le portrait, à Raoul. Je lui dis : tu ne touches pas à mon gamin, pas un seul cheveu de sa tête, espèce de sous-merde, je lui répète un million de fois, avec un coup sur le crâne pour rythmer, c’est un colosse Raoul, il est trois fois plus épais que moi, mais il est asphyxié par ma hargne, je pourrais lui servir ses burnes en sauce le soir même, il laisserait un pourboire en faisant des compliments. Je lui lance des assiettes, des disques, des statuettes de Bouddha. Je le poursuis dans la rue, je lui lance mes escarpins, et je rentre à pied, et c’est fini. Plus de Raoul. Au loin caché derrière une poubelle, il me traite de salope, de garce, Marie-Couche-Toi-Là, de pute finie, de salle allumeuse de ses deux. Il est parti. On regarde la télévision avec Bonhomme. Il est bavard, Bonhomme, il commente chaque scène. Je lui caresse la tête, je suis la seule à le pouvoir. Pas un cheveu, pas un seul de ses cheveux.



Il s'agit d'un jeu, que l'on nommera hâtivement "Changer de sexe", initié par Zoridae et poursuivi par Dorham et Nefisa.

[source photo ]

La lanterne magique

Quand l'étincelle a disparu, dans cette lanterne magique qu'est la tête, le film du monde est laid. On regarde le soleil qui s'y...