C’est une grande maison, avec la nuit qui tombe. Elle est en bois : chaque pas produit des grincements plaintifs et douloureux dans le silence. La maison est pleine d’étages, une incohérente accumulation d’étages, trop. Dans la campagne déserte, non loin de la réserve à loups où quelques cris déchirent la nuit obscure, la lune monte, rouge, et on peut contempler derrière les rideaux agités par le vent tout un paysage bucolique. D’un côté, le cimetière. De l’autre, le ravin où jadis s’est écrasé l’autobus des jeunes filles.
Nous lisons dans la chambre, tout en haut, la maison, avec ses centaines de pièces froides craque sous le vent dément. Par superstition un peu stupide, nous avons emménagé dans la seule pièce où il n’y a pas eu jadis de massacre, l’absence de tâche noirâtre dans les recoins est moins déprimante, nous a-t-il semblé. Ah quelle bonne soirée, murmurons-nous ! Qu’il est agréable de lire un ouvrage passionnant loin de la ville et de sa fureur !
Alors, dans un claquement sec, les plombs sautent. Nous nous retrouvons dans les ténèbres. Manque de chance, la lune rouge est en fait nouvelle, nous n’y voyons rien. Il y a en outre une éclipse, ce qui n'arrange pas les choses. Je vais descendre à la cave, où as-tu rangé les clefs ? La cave est à gauche en bas des marches ? Non, à gauche, c’est la chapelle mortuaire, avec les ossements, la cave est à droite. J’y vais ! A toute à l’heure. Je viens avec toi. Mais non, reste donc à lire tranquillement, je peux me débrouiller seul. Stupide crétin décérébré, il fait noir, comment puis-je lire ?
Nous descendons à tâtons les escaliers qui gémissent, encore et toujours. Je te donne la main, tu sembles avoir froid. Tu me dis : donne moi la main, s’il te plaît, je n’y vois rien. Je te réponds : mais je te donne déjà la main. Tu me dis : non, tu ne me donnes pas la main. Alors, de qui tiens-je la main, du pape, peut-être ? Bref. Nous en discuterons plus tard, tu es tellement entêtée.
Au rez de chaussée, nous ouvrons la porte de la cave. Au fait, pense à acheter du désodorisant, cette odeur fétide qui monte des soubassements, je ne la supporte plus. Puis nous l’entendons monter les marches quatre à quatre, il arrive : le monstre.
Bon sang, je crie, effrayé, le voilà ! Horreur ! Il faut fuir ! Qui donc, me fais-tu ? Le monstre ! Il arrive ! Qu’allons nous faire ? Pendant ce temps, le monstre arrive, à toute allure en poussant des cris rauques. Oh mais vite ! De quel côté doit-on partir ? Par ici, ou par là ? Nous ne sommes pas d’accord. Tu es vraiment entêtée. Tu veux toujours avoir le dernier mot. Fuyons par là ! Et mon polar ? Je l’ai oublié. Le monstre, quatre marches à la fois, déchaîné, fou, ivre de hargne, arrive toujours, à toute allure. Je crois qu’il est temps de fuir, fais-je. Comme si je n’avais pas compris toute seule ! Me réponds-tu excédée. Nous nous décidons à partir, mais nous nous rentrons dedans. Fais donc attention ! Et le monstre d’arriver en agitant ses membres, sa tête dans tous les sens.
Dans le hall, il nous faut choisir : ouvrir la porte d’entrée et fuir dans la campagne pour rejoindre le commissariat à deux cent mètres, ou prendre les escaliers qui mènent aux étages au risque d’être coincé dans la maison obscure. La vie est une affaire de choix, nous faisons le mauvais : pourquoi, nous demandons-nous, montant les escaliers, n’avoir pas choisi de partir dans la nature ? Pourquoi. Le commissariat est à deux cent mètres. Le monstre est toujours à nos trousses, et nous courrons, harassés. Nous renversons au passage une petite fille inconnue et livide qui joue aux billes, étrangement.
Au bout du couloir, les portes sont fermées à clef. Le monstre arrive, il court, il n’y a pas de marche, mais avance tout de même quatre à quatre. Et si nous prenions le vide-ordures ? Un vide-ordures dans une grande demeure en bois, ce n’est pas réaliste. Passons, c’est moi qui raconte. Je rentre dans le conduit, difficilement, et je glisse, les bras en avant, le long du tunnel aux parois suintantes, et j’arrive dans un tas de viande rance, parmi le royaume des rats. Je t’attends, rien, je tâtonne dans l’obscurité, bousculant des restes nauséabonds, parcouru par les rongeurs rendus fous couinant à la mort. Enfin, je trouve la porte et je m’extrais des ordures. Encore un couloir. Des marches. Je suis dans la cave, visiblement.
La porte, tout en haut s’ouvre. Que se passe-t-il, je lance ? On t’a fait du mal ? Je te vois, ta silhouette dans la lumière au sommet de l’escalier, je t’entends chuchoter, je ne veux pas qu’on te fasse de mal, j’arrive à ta rencontre, montant les marches quatre à quatre, et je vous entends crier, me dévisageant avec horreur : qu’est-ce donc ? Fuyons ! C’est le monstre !
mardi 11 mars 2008
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