On parlait l'autre jour des rites initiatiques qui disparaissaient, ce samedi dernier, au matin, j'ai eu l'impression d'en passer un, un tout petit, un tout bête. J'ai accompagné Kéké au cabinet médical, sans rendez-vous. Là, dans le silence recueilli d'une demi douzaine de personnages ombrageux me scrutant, j'ai dû faire patienter mon fils, dans la salle d'attente, pendant deux heures. C'est long, un gamin qui s'ennuie, qui s'ennuie de s'ennuyer. Le camion benne poussiéreux et cassé de la salle d'attente, ça va bien cinq minutes. Je lui ai parlé gentiment, puis côte à côte, nous avons lu des histoires, et entretenu des discussions infiniment candides sur les hippopotames et les pompiers.
Ensuite, nous sommes sortis, nous avons crié : libres ! Enfin libres ! Voilà, comme l'alpiniste qui revient changé et libéré de quelques doigts depuis les sommets, nous avons grimpé la petite colline de la patience, tous les deux. Puis nous avons pris du pain. Puis nous avons fait des détours. Puis nous sommes rentrés. Puis il a dit : "encore marcher ?" Puis j'ai dit "Si tu veux." Nous avons recommencé à cheminer, alors, sur le trottoir, il m'a indiqué la couleur des voitures, au fil de notre lent périple. Puis nous avons regardé les camions poubelles, majestueux, défiler sur le boulevard Barbès comme un 14 juillet.
Dimanche soir, je l'ai accompagné au manège. C'est idiot, tous ces enfants joyeux, dans la lumière hystérique du soir, ça me donne envie de mourir. Ça me fend le cœur à chaque fois, j'ai envie de les aider. J'ai l'impression que le monde souffre et qu'il faut que j'abrège ses souffrances ; je crois que je deviens psychopathe. Je suis comme le type, le peintre, dans ce film, qui voit déjà, derrière un homme qui se baigne dans un lac, un noyé. Je me mets au bord de la piste, parmi les parents qui font coucou. Je me détends, comme le grand sinistre, peu à peu, je fais coucou avec conviction, avec rage, avec violence, il me sourit dans son panda, ou son camion, ou sa voiture, ou sa moto ; la vie est plus que belle, elle est profonde, dense.
Quand je l'installe dans son véhicule, il s'agrippe au volant. Il prend le ticket, à remettre au monsieur, j'adore comme il remet son ticket au monsieur, avec cette conviction, cette volonté concentrée sur le bout de la main, il fait comprendre qu'il va avoir droit à un sacré tour de manège, bon sang de bon soir, il va falloir que ça tourne ! Je m'éloigne, je le regarde si sérieux, au loin, parmi les enfants qui éructent. Il reste immobile, je vois que sa joie est toute intérieure, il ne sourit pas, je surprends juste ses lèvres remuer, il fait "broooum", discrètement.
Puis le manège tourne, les enfants s'entendant hurler hurlent de plus belle, par contagion. Je réfléchis, observant les machines colorées, les ampoules qui clignotent, à ce que je pourrais bien raconter dans un billet pour inciter les gens à nous faire décrocher le pompon, au Festival de Romans. Ma belle-mère a envoyé des mails à chacun de ses collègues. Puis elle a écrit des mots pour les glisser dans chaque casier de son collège, invitant les professeurs à voter. Je nous imagine bien dans un radio-crochet, à chanter "Alexandrie, Alexandra", avec ma belle-mère dans le public, et un grand panneau pour nous encourager. Et puis moi, coiffé en Tokyo hôtel.
Le pompon s'agite, justement, virevolte entre les enfants aux mains tendues. Il y a ceux qui se lèvent, quitte à perdre l'équilibre, ceux qui tendent un peu la main sans espoir, résignés, ceux qui ne sont pas sur la bonne orbite du manège, et qui ne sont pas concernés par ce cirque. Je reste songeur, à les voir dévoués, petits êtres combatifs, pour le tour gratuit. Au sommet d'un carrosse, un des deux petits cochers décroche la queue du mickey, il hurle de joie. Son collègue, à côté, si près du but, se met à pleurer infiniment, avec la plus grande détresse possible. L'autre, le vainqueur, tandis que le manège tourne, arrête peu à peu de répandre sa joie, et coupable, tourne vers lui un regard désolé. Sa joie semble éteinte, alors. Puis il lui donne le pompon, lentement. Ils en tiennent chacun un bout, le partage.
Quand la fête est finie, les tickets dépensés, je tente de m'emparer de mon fils, mais il parait soudé au siège. Impossible de le récupérer. Je l'empoigne, je tente de le détacher, de l'extraire, mais il dit : "non, encore !", et son corps reste incroyablement adhéré à l'engin, les mains, les fesses, il ne proteste même pas, il reste juste collé. Je suis obligé de l'arracher, là il proteste, et tend son index devant cette féérie fugitive du week-end terminé.
Nous rentrons, nous n'en finissons pas de rentrer.
La nuit est tombée, nous errons, comme si nous avions inventé le plaisir d'errer, avec Kéké, comme si, détenteur du brevet, pour nous, c'était gratuit. Les sorties ressemblent de moins en moins à des expéditions commandos, avec le paquetage de survie pour le nouveau né. Là, on se balade, on s'est donné la main ; enfin, il m'a donné la main, je lui ai donné le doigt.
Il discute avec un clochard, il lui dit que la lune est dans le ciel. Nous passons entre les vendeurs de maïs, puis les spectres maigres des toxicomanes ; il marche, blindé par sa candeur, sa tête de bonnet.
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A propos de pompon, et de Festival de Romans, je vous invite à voter pour tous ces gens (et pour moi aussi). C'est simple, vous utilisez un email, vous confirmez une seule fois votre premier vote numéro un (j'insiste ?), et vous pouvez déposer après un vote pour tous ces blogs.
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Et puis merci aussi à ces deux blogueurs fous qui nous ont fait une réclame d'enfer :