Le silence, il arrive d'un coup. Le grondement du métro me berce, on se sent comme dans un recoin, parmi des gens, c'est un instant très logistique, on se déplace. Le regard n'est pas vraiment posé sur quelque chose, hypnotisé par les lumières du tunnel, il y a le bourdonnement constant, lointain mais pourtant juste sous nos pieds, comme un monstre marin frôlant la coque d'un cargo. On pense aux choses d'après, à la vie qu'on va mener hors du souterrain. On accélère, on court presque, pour bâcler au plus vite cette formalité collective.
Des gens plongés dans des livres, des écouteurs plongés dans des gens.
Une revue, un quotidien : on colorie vite fait la vie des autres, pour jouer aux énigmes. Tiens, il lit ce journal, avec cette tête, il doit penser ça. Il a une alliance, il est marié, il devait avoir cette tête là à son mariage, est-ce qu'il a un rire de cheval ou bien de fouine, est-ce qu'il a fait un discours, a pleuré, est resté perplexe, dit des blagues avec des belges, quelle tête avait-il pendant sa nuit de noce, sa cravate autour de la tête, à suer, dans une chambre de location au papier-peint neuf ?
Un autre passager chantonne, un peu fort, ça me dérange, il sort de sa réserve. Je m'aperçois que c'est stupide d'être dérangé par quelqu'un qui fredonne, même avec insistance, même mal. Il grince. Tant pis. Qu'est-ce qu'il veut prouver, au juste, en marmonnant ses trucs bizarres ? C'est un taré ? Il est pourtant bien habillé, il va bosser. Oh, il y a des tarés bien habillés. Il est bien rasé, il sait tenir un rasoir sans se trancher la tête. Ça va. C'est un taré qui s'est bien délimité, il déborde juste un peu, il fuit. Il y a peut-être un trop plein de chansons dans sa tête, qui sait, alors ça coule un peu, par la bouche, ça ruisselle sur les autres. Ce n'est pas comme le taré qui titube, qui virevolte d'un strapontin à l'autre, hirsute, et cherche le regard d'un inconnu pour se venger de l'humanité. Donc, alerte vigitaré maintenue au même niveau. C'est un gentil taré ordinaire, qui s'exprime, il est là, il nous rassure de lui, il dit qu'il n'a pas été aspiré comme un bain froid par le trou du néant, et ça lui fait du bien.
Puis au milieu d'un tunnel, la rame s'arrête, et le silence tombe, grandiose. Plus de bruit, plus de grondement, le silence nous sort de la rêverie. Le silence. On ouvre les yeux, on regarde vraiment ce qu'on est. Là, dans le calme englouti, on se voit, des centaines dans un wagon. On se respire. On s'entend respirer. On se constate, debout, serré, accroché, à craindre la fuite de l'équilibre comme des guirlandes. Les visages blafards, maquillés, coiffés, froncés ; il faut trouver un endroit neutre pour ne rien regarder vraiment. Il faut attendre. On se sait embarrassé, il nous demande des comptes, comme à des petits enfants, le silence. Il jette un oeil par dessus l'épaule, pour examiner la copie de chacun. Il passe dans le couloir, nous frôle, il dit mais vous êtes encore nombreux comme ça ? C'est pas bientôt fini ?
Je repense au jour où, dans un métro, il y a eu une petite explosion sous mon wagon, et des flammes, et l'odeur de brûlé. Je suis resté digne, consigné sur mon strapontin, idiot, avec un pantalon, et un sac à dos sur les genoux, comme les crétins de l'univers, j'ai pensé zut ça doit commencer comme ça pour les autres, c'est un peu comme Molière qui meurt sur scène, sauf que tout le contraire ; j'ai pensé à des faits divers, des cabines téléphériques, je suis sorti bien content, tiens, j'aurais pu pencher la tête pour respirer un grand bol de pot d'échappement tant j'étais satisfait d'avancer encore ma carcasse comme un pion, dans cette existence.
Puis les turbines se sont réveillées, et le silence a terminé son cirque, au coeur des conduits inextricables, c'est reparti, on a étendu à nouveau le voile du bruit sur la pudeur du monde.
Merci à Dorham pour avoir suggéré cette "bande sonore".
jeudi 13 mars 2008
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