Je m'avance sur la passerelle Debilly, large monticule de planches. Un étrange individu arrive en face, il regarde au sol, se penche, semble ramasser quelque chose et s'approche de moi. Il me tend l'objet en répétant : "chance ! chance !"
Je refuse de prime abord, il doit s'imaginer que je l'ai perdu avant mon passage, je le prends pour un demeuré. Mais il insiste. Il me confie alors une volumineuse bague, puis s'en va. Je regarde dans ma paume : c'est une chevalière massive, sombre, elle semble en or, j'inspecte l'intérieur, remarque une sorte de poinçon. Sans rien y connaître, j'imagine qu'un poinçon, c'est du sérieux.
L'anneau dans le creux de la main, je reste un instant interdit, je vois partir l'inconnu sur la passerelle, sans réaction. Puis je reprends mon chemin. C'est la vie, c'est comme ça, des gens vous donnent des bagues en or, sur des ponts.
Peu après avoir repris la marche, je sens le plancher vibrer sous mes pieds, je me retourne : il revient. Il me réclame de l'argent. Ou un ticket restaurant. Naturellement, comme si nous terminions une répétition, et que nous avions à reprendre la scène du début, je lui rends la bague, et j'hausse les épaules, nous n'avons pas été très crédibles, tous les deux.
Tandis qu'il s'éloigne, la bague serrée dans le poing, je médite sur cette déconcertante technique pour faire la manche. Qu'est-ce qui a pu lui traverser l'esprit pour qu'il en arrive à mendier en distribuant des bijoux ?
Un bateau-mouche obèse vrombit sous mes pieds, des gens hilares me font coucou, je suis seul au centre de la passerelle, avec en contrebas le fleuve fendu d'un grand V. Puis je me pose la question : et si j'étais parti, si j'avais continué mon chemin avec la bague, ou refusé de la lui rendre ? A l'extrémité de la structure, je croise une sorte de molosse ombrageux, accoudé à la balustrade, prenant le frais avec une feinte nonchalance : j'ai ma réponse.
mardi 25 mars 2008
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