Le soir, je me perds dans des conjectures déraisonnables.
J’imagine des terroristes, des martiens, des cannibales, des braqueurs de supermarché. Ils arrivent et aboient : tout le monde à terre ! Des hurlements affreux. Tous les clients, les caissières, les vigiles se jettent à terre. Même les manutentionnaires terrorisés sortent de leur réserve pour se jeter à terre, les comptables à l’étage descendent vite l’escalier, pour se jeter à terre, en plein milieu, le type qui fumait sur le parking écrase précipitamment son mégot, prend son élan, arrive à toute allure, fait un saut de l’ange en montant sur une palette de bouteilles d’eau minérale, et s’écrase parmi les clients, tellement est forte la peur, et le désir de se jeter à terre. Même les employés en congé font le détour, prennent les transports en commun ou la voiture, regagne leur lieu travail, pour se jeter à terre. Par solidarité spontanée, dans tous les enseignes du pays, les gens se jettent à terre, les mains sur la tête, comme un vent de peur atomique qui vibre dans l’atmosphère. Une scène d’apocalypse, de deuil, de mort et de destruction, aussi.
Seul, je reste debout, les mains en l’air. Ma cravate marron vole doucement au souffle d’un ventilateur de démonstration. Le chef des méchants est le Squale, je le reconnais. Je dis : comme on se retrouve, le Squale. Il se tourne lentement vers moi, il a trois ou quatre fusils, un dans chaque main.
Tiens minus, tu as survécu, il me répond. Moi je rétorque un truc. Je suis dans mes pensées, je fais ce que je veux, quelle que soit la réplique que je sors, ça marche. Je dis, et toi face de rat, tu as trouvé un miroir volontaire pour te servir de reflet ? Des rires discrets sortent de la masse des clients gisant au sol.
Je le vois qui devient rouge. La colère gonfle son visage comme un ballon dans un anniversaire de chez MacDonald. Je poursuis, en verve, comme dans le discours du mariage, hey, tête de moule, ferme la bouche, on voit tes tripes ! L’hilarité est générale. Des gens s’emparent de leur téléphone portable pour raconter la bonne blague à leurs proches.
Humilié, il dit alors à ses cinquante complices : tuez les tous, parlant de moi tout seul ! Il en arrive de partout. Les premiers, bien sûr, veulent s’en prendre à moi avec des instruments de ninja. C’est assez étrange cet armement pour un braquage, mais j’imagine que les malfaiteurs, se voyant suffisamment nombreux, ont jugé bon, pour des raisons esthétiques, de s’accorder des services plus tarabiscotés. Souple, vif, calme, j’esquive, je riposte, ils volent dans les airs en poussant des cris de rage et de dépit. A un moment, je prends même le temps de fumer une cigarette tout en dégustant un bon café. J’en ai assommé au moins cent. Cent autres arrivent qui subissent le même funeste sort. Des gémissements de désir émergent de la foule, on griffonne sur des bouts de papier des demandes en mariage qu’on jette vers moi avec désespérance… des femmes sublimes appellent leur conjoint pour les quitter sur le champ.
Il ne reste que le Squale. Ses yeux. Mes yeux. Mes yeux encore plus de près. Ses yeux immensément près. Mon œil, gigantesque. L’intérieur de son œil, noir. Une molécule de moi. Un atome de lui. Un quark. Une onde. Le zoom s’interrompt.
Tu vas mourir, hurle le Squale. S’ensuit un long cri de rage. Je ne comprends pas pourquoi les méchants perdent autant de temps à supprimer les gentils. Toujours à tergiverser, à se gratter, à pérorer. Cette patience les perd, fatalement. Vanité des méchants. Pragmatisme des gentils.
Puis il arrive en courant, décharge toutes ses armes en ma direction. J’ai une oreille transpercée. Je dis juste : ça tombe bien, il me fallait un piercing. Puis j’enfonce mon index dans sa poitrine, avant de conclure : tu es déjà mort, mais tu ne le sais même pas.
Il réfléchit. Il s’interroge. Consulte les messages sur son mobile. Puis explose affreusement, répandant ses organes dans l’espace dans un bruit de corneed beef. J’ai touché un point secret d’acupuncture, le centre névralgique du karma sidéral. Aucun être n’y résiste.
Elle est là, je la relève. Elle est toute petite. Elle me dit : oh comme vous êtes fort. Je réponds, modestement, oh vous savez, c’est facile pour moi.
Un prêtre se redresse sans l’assemblée des otages et dit : je peux vous marier immédiatement si vous le souhaitez ! Une chorale en déplacement entonne de magnifiques chants de Noël. Tout le monde allume une bougie. Tout le monde se sent un peu frère et sœur. Des couples se forment. De toutes les couleurs, de toutes les cultures. Chacun apprend à aimer les différences des autres. Un tibétain dit à un chinois : je te pardonne. On danse. Des slows. Nous dansons aussi, au centre de la piste, la journée s’éternise, dans une pluie de lumières rouges.
Je me tourne vers les chiffres rouges du réveil qui percent l’obscurité. Il est tard, il faut dormir. Des appareils ménagers poursuivent sans faiblir leur silence électrique.
Je m’endors, la gorge nouée.
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