La voiture de location m’attend au fond du parking. Elle est loin, je m’en rends compte, le déverrouillage à distance des portes ne marche pas encore. Je crispe mon pouce sur la clef, dans le silence, en vain.
J’aime déverrouiller les portes des voitures de location, de loin. Je sors la clef de ma poche, fends l’air de mon bras, plie les genoux, la main tendue visant des véhicules ; rien. Je range le trousseau dans ma poche, fais encore quelques pas, puis dégaine à nouveau. Là, le rayon file à travers l’espace, tranquillement invisible, et la voiture caressée clignote amoureusement de tous ses phares ; l’appareil sursaute, fidèle au signal, déclenche toutes ses serrures, s’offre enfin à moi. A cette distance, j’ai le temps de verrouiller l’auto, pour l’ouvrir encore, deux ou trois fois ; tout en m’approchant. C’est beau.
Au volant, je sens l’odeur enivrante du plastique neuf. Une page vierge. Un cahier intact le jour de la rentrée. Le parfum rêche des possibles. Les tapis sont inhumainement propres. La boite à gants vide. Le tableau de bord contient des centaines de manettes inconnues, un arsenal de clignotants, un luxe de boutons, une myriade de phares à actionner comme toutes les phases de la lune ; c’est excitant, le volume de l’autoradio est disponible sur le volant. Je tourne le contact, la voiture cale déjà, une vitesse était enclenchée. Puis le moteur vibre comme un chat. J’allume immédiatement la radio, la moindre variété convient à la nuit naissante, je monte le son du pouce, imperturbable, sans ôter les mains du volant comme l’aurait fait un prolétaire en sueur, je baisse le son, le monte, le baisse, le monte, le baisse, le monte. Je baisse également la vitre de la portière, la monte, la baisse, la monte, pour atteindre la configuration idéale. Même les rois n’avaient pas les boutons de volume sur leur trône. L’automobile recule, trop vite, rentre dans un plot. Le bruit du phare fracassé retentit, j’ouvre la porte et je constate les dégâts.
On ne vit qu’une fois, et encore, une fois, c’est un bon score. C’est un carton plein. Parfois c’est juste agréable de parcourir la route avec les bons accessoires. La nuit est neuve, elle aussi, elle sent le plastique, toute l’obscurité du zénith cuit sur les brûleurs rouges des usines, et moi je file dans le véhicule silencieux. Pour alimenter mon lyrisme d’accessoires, je monte le son. Trop fort. Puis le baisse, en quête de calme, et ceci, évidemment, sans lever la moindre main du volant. Je baisse également la fenêtre, pose un coude dans l’air glacé par la vitesse. Je respire. Nous pourrions aller loin, comme ça. Les échangeurs se succéderaient aux voies rapides, sur l’asphalte interminable du monde harmonisé, sur les voies rectilignes du continent rapide ; seuls les enseignes changeraient de langue. De temps en temps, nous mangerions, dans de vastes restaurants sans âme surplombant des amas de rocades.
J’arrive. J’ai rendez-vous. Je tente un créneau, bouscule vivement la voiture derrière, puis culbute la voiture devant, enfin, je suis rangé ; j’ouvre avec entrain la portière qui vient vigoureusement s’abîmer contre un poteau.
J’attends Bunny en bas de l’immeuble.
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