Elle te fait envie cette PlayStation, hein. Il ne dit rien. Il ne dit pas non. Il a sa fierté. Il marmonne dans sa non-barbe, ouais m’en fous oof pourquoi pas. Ses joues deviennent couleur steak haché. Il regarde par en dessous, la paroi de verre impeccable de la Fnac, paradis de cent mille volts où d’élégants Macintosh gris, dressés comme des visages d’argent de l’Ile de Pacques, illuminent les yeux d’insatiables trentenaires. Il marmonne, pourquoi pas, sa voix de scie, un peu brisée. Je sors mon porte feuille, maroquin d’écailles, j’ouvre la fermeture, le zip fait comme un bruit de pantalon, avec mes ongles qui luisent tels des stroboscopes. Allez.
A la caisse, je lui murmure appelle moi maman si tu as honte, pour le taquiner. Un gloussement éclate au fond de ma gorge. Il reste muet. J’introduis délicatement la carte Visa dans la bouche plate du robot bancaire, tape le code. Paiement accepté. Ça ne lui arrive pas souvent, Lolito, avec sa carte de la Poste sans les chiffres en relief. Le ticket sort. Ticket gagnant. Je fais un clin d’œil. C’est beau la vie, hein. Lolito serre son gros emballage marron, il le serre un peu trop, comme si le vigile allait le lui voler.
Nous marchons. Tu as faim Lolito ? Tu veux un hamburger ? Il aspire son milk-shake, avec sa bouche en cul de poule. On discute un peu, il fait des fautes d’orthographe même quand il parle. Il a deux ou trois boutons secs s’effaçant sur le front. Je le vois, son regard, comme des patrouilles d’éclaireurs imprudents, s’accidente parfois sur ma poitrine, il se reprend, abandonnant les éclaireurs à leur funeste sort érotique.
Sur le trottoir pianotent mes talons, comme des doigts qui disent : là, tout de suite ; un martèlement voluptueux ; je sais bien que je suis vraiment pas mal encore. Lui est silencieux, légèrement voûtée, le regard bas, pour éviter les bouches d’égout mal refermées, sans doute.
On rentre. Dans l’allée, je dégrafe mon manteau, au milieu de ma jungle de ficus. L’odeur doucement bourgeoise du pot pourri nous accueille confortablement. Au milieu du couloir, il est là, les bras ballants, il observe son gros sac marron de la Fnac. Je lui dis : tu enlèves tes baskets, Lolito ? La femme de ménage est passée hier. Il hésite, il se déchausse, il a deux chaussettes dépareillées, une blanche, une grise. Ses pieds se rejoignent un peu, aux orteils, égarés. Ah, à ton âge on vit d’amour et d’eau fraîche, hein. A propos, tu veux un verre d’eau ? Un coca ? Tu veux du Cognac. De l’Armagnac ?
Il n’a pas l’habitude, il doit plutôt boire des Jeanlain, achetés chez l’épicier, bues sur des bancs, à même la rue. Echoué au milieu du canapé, abandonné dans un Vietnam de coussins, son verre ocre à la main, il est un peu pompette, un peu bavard ; il aimerait être une vedette, comme tout le monde. Il fait des fautes d’orthographe ; même quand il parle. Il vérifie de temps en temps si le gros sac marron de la Fnac n’est pas parti, tout seul, avec ses petites pattes électroniques.
Puis je m’assois à côté de lui, comme souvent, il est perplexe, tu vas prendre le volant de la navette spatiale, hein. Tous ces boutons, toutes ces manettes. Tous ces voyants qui clignotent. Cet arsenal. Ce convoi. Je sens un parfum sophistiqué, somme des petits sacs tarabiscotés qui pendent au bout du doigt, dans les rues aux larges trottoirs à peine souillés par les crottins de chiens minuscules. Voilà. Je parle un peu de football, il sourit, m’explique des règles, fait celui qui sait, me sort des âneries. Je fais semblant de lui laisser l’initiative, l’accélérant un peu. Il déglutie, je me dégrafe, il s’exécute. Il sent le T-Shirt de jeune, la sueur propre, la fraîcheur maladroite du pissenlit. Je l’accélère, et puis c’est l’inverse, j’ai tout le temps le pied sur le frein ; ne soit pas donc si pressé de te reproduire, espèce de labrador.
Voilà. Il enfile son jean. Regarde par la fenêtre. Nous fumons tous les deux, c’est un bon moment de silence, paisible comme une large avenue au mois d’août, avec des centaines de places pour se garer. Il hésite, puis je confirme d’un signe de tête. Je fais une sorte de oui avec un rond de fumée. Mes traits de maquillage se sont estompés, je suis comme floue. Il sort sa Playstation, je vois le contentement sur son visage, il parcourt le mode d’emploi au hasard, vite, et allume mon grand téléviseur, accroupi, sur les genoux, les deux orteils se rejoignant sous ses fesses. J’ouvre un magazine, pas tout à fait vêtue, et me ressers un verre d’Armagnac ; encore un autre. Il est heureux, Lolito.
jeudi 3 avril 2008
La lanterne magique
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