Dohram a sorti un chouette texte sur les poubelles des supermarchés. Je lui ai dit que j’en avais un dans mes brouillons, aussi. L’air du temps ! Zoridae l'avait fait, en novembre 2007. Il a lancé ensuite un « sujet ». D’autres s’y sont mis. Coïncidence misérable, le journal le Parisien a consacré sa une à ce « phénomène », lundi. A noter également l’article trouvé chez CSP. Promesse faite, je mets à jour ce texte, dans un esprit « pas grand chose à ajouter ».
Il y a quelques temps, les employés du supermarché sortaient les poubelles, le soir, les laissaient sur le trottoir, et allaient prendre leur pause. Les larges bacs verts restaient collés côte à côte un moment, en attendant le camion poubelle, alors un ou deux clochards soulevaient le couvercle.
Les clochards ont la peau tannée. Même déguisé en locataire, on les repère à leur visage, on reconnaît leur masque de cuir. On n’est pas surpris de les voir la main dans la poubelle. Ils ont peut-être mal travaillé à l’école. Ils sont peut-être feignants. Ils aiment peut-être trop leur liberté. Alors ils fouillent les poubelles.
Des femmes se sont donné rendez-vous, aussi. Avec des cabas, regroupées sur le trottoir d’en face, elles discutent dans l’entrée d’un immeuble, cachées par un camion de livraison. Je les voyais, elles avaient toutes un chiffon sur la tête. Vieille musulmanes au front tacheté de bleu ; roumaines petites avec des robes roses ; vieilles dames coiffées d’un fichu.
A un moment, j’ai dû dire pardon pour me frayer un passage. Ils s’étaient multipliés assez rapidement, derrière le camion de livraison. Vous voulez que je vous dise un truc sympa ? C’est lorsque j’ai vu le jeune avec sa tête d’étudiant, que j’ai eu un coup de tristesse. Vous comprenez, je ne suis pas une vieille femme avec un fichu. C’était triste un pour peu les gamins, aussi, mais bon, un gamin ça a la vie devant soi. Avec son petit cabas, ramasser les jambons avariés, ça a quelque chose de ludique. Peut-être qu’il va devenir rock star, tout est possible. Il dira alors : vous savez, j’ai mangé du jambon enragé, dans ma jeunesse. Mais l’étudiant, avec sa petite barbiche, ses boutons, son sac de cours, comme moi avant, le voir s’agiter dans les sacs noirs ronds comme des baudruches, je me suis identifié, que voulez-vous. C’est normal.
Et puis, un autre coup de tristesse, je l’ai ressenti quand j’ai eu le soupçon de l’ombre d’une envie. Un tas de provisions à l’œil, ça doit être sympa quand même. Les mois ont tendance à se terminer tôt, en ce moment, ils doivent durer quinze jours, c’est sympa, l’été arrive plus vite à ce rythme. Des fois, les mois se finissent à peine commencé. Des fois, le mois suivant se finit dès le mois d’avant. Méditant sur moi, je me suis identifié, que voulez-vous, c’est normal.
Puis tout d’un coup, les pauvres ont disparu. Avec mon fils dans les bras, lors du traditionnel passage du camion poubelle, j’ai pu constater que les employés guettaient désormais le passage des boueux avant de sortir les bacs dès que l’engin stationnait, et les rentraient aussitôt. Les gens ont dû gueuler, ça faisait vraiment Galerie Lafayette la veille de Noël, dans la rue.
Sauf que ce soir, il pleut. Il pleut averse, après le pont ensoleillé du 8 mai. Les employés se dépêchent de sortir les poubelles, les abandonnent sur le bitume, avant de retourner à l’abri. Sous les trombes d’eau, deux gitanes surgissent. Des robes roses. Elles se hissent, fouillent, et prestement, prennent des paquets de jambons, de la viande. Pour fouiller plus au fond, l’une tire vers elle l’imposant bac. Celui-ci bascule, penche, manque de se renverser, fait reculer la fille qui se courbe sous le poids. Là bizarrement, je me dis qu’à sa place, pour faire au mieux, pour aller plus vite, peut-être que je renverserais le bac au sol, quitte à mettre les déchets par terre. Peut-être. Ça serait sale. Mais efficace. A sa place. Les gens gueuleraient, moi aussi, les roumains qui renversent les poubelles, quand même. Là, elle ploie toujours sous le bac rempli, se gorgeant d’eau, tandis que la seconde tente d’attraper des provisions. Je pense : vas-y, lâche. J’ai bien vu que la poubelle était trop lourde, personne ne t’en voudra pas, tu vas te casser le dos. Une fois fini, en grimaçant, de toutes ses forces, ce modèle réduit de femme soulève la poubelle, la remet en place, à côté des autres.
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